Les scientifiques ont beau nous le dire sur tous les tons, chaque jour qui passe nous rapproche de dangereux points de bascules environnementaux, que ce soit au niveau de la nature comme du climat. En d’autres mots, si nous n’arrêtons pas au plus vite nos bêtises, tout deviendra hors de contrôle. Avec la promesse, entre autres, d’un emballement climatique. Et s’il existe quelques voix dissonantes à ce propos, celles-ci concernent surtout le fait de savoir si ce point n’aurait pas déjà été franchi. Autant dire que nous sommes dans la mouise totale, quel que soit le point de vue adopté.
Il faut dire que nous l’aurions un peu cherché. Malgré les avertissements ressassés, nos ambitions en faveur de l’environnement restent extrêmement timides. Quant aux actions entreprises pour enrayer ces phénomènes, elles sont, elles, carrément à l’état larvaire. De ce fait, la véritable question que l’on est en droit de se poser aujourd’hui est : voulons-nous vraiment d’une société décarbonée ? Certes, d’un point de vue politique et économique, l’on connaît depuis longtemps la réponse; mais quand est-il au niveau citoyen ? Qui, parmi les populations profitant le plus de notre système, serait en effet partant pour un changement de paradigme, sachant que cela signerait de facto une réduction drastique de sa zone de confort ?
Pourtant, tous les indicateurs sont là : avec une année 2023 où les températures avaient déjà dépassé des niveaux jugés à peine un an plus tôt par les experts « exceptionnellement élevés », 2024 aura, elle, réussi l’exploit de dépasser le seuil de réchauffement préconisé de 1,5 °C. Quant à cette année, elle promet elle aussi de battre tous les records, en atteste d’ailleurs la vague de chaleur sévissant à Maurice depuis quelques semaines. Aussi faudrait-il être complètement aveugle pour ne pas accepter l’évidence, à savoir que la Terre se réchauffe de manière accélérée, ce que nos modèles climatiques n’avaient absolument pas prévu.
Aujourd’hui, non seulement donc les conséquences sont connues, mais elles se matérialisent de manière plus concrète encore à chaque semaine qui passe, les catastrophes ayant en effet tendance à se multiplier aux quatre coins du globe. Par conséquent, en toute logique, le problème devrait être traité comme n’importe quel autre, soit de manière purement mathématique. Un peu comme une équation de type A – B = C, où A serait la cause, B le remède et C la conséquence. Résoudre cette équation dans le contexte actuel n’est d’ailleurs que pure formalité. Puisque la planète se réchauffe du fait de nos émissions de gaz à effets de serre, il suffit de réduire ces derniers en conséquence, et le tour est joué.
Malheureusement, notre monde globalisé ne répond plus qu’aux équations économiques, reléguant celles qui concernent l’urgence climatique à un sujet de peu d’importance, car pensons-nous traitable. Au point qu’au lieu de s’engager réellement dans la voie de la décarbonisation de nos sociétés, nous en aurons même accentué les effets. Croire ainsi que le génie humain, ses capacités d’adaptation à toutes épreuves, et la force de notre puissante ingénierie nous sauveront de ce mauvais pas est d’ailleurs une totale ineptie. Quant à nos technologies, les rares d’entre elles mises à profit pour réduire notre facture environnementale ne compenseront jamais celles qui, au contraire, viennent l’alourdir, à l’instar de l’intelligence artificielle générative, qui fait exploser les bilans carbone des entreprises.
Inscrits donc depuis des décennies déjà dans cette logique consumériste, avec pour seul objectif de faire gonfler le gâteau mondial sous l’effet de la croissance, nous nous sommes rendus à un point tel dépendants des facilités offertes par nos sociétés capitalistes que plus rien, si ce n’est d’hypothéquer ce même confort, ne semble nous émouvoir ou nous faire peur. Or, c’est justement ce sentiment d’invulnérabilité qui pose problème, car ce faisant, nous nous engouffrons chaque jour un peu plus dans le dangereux processus menant à notre perte, et possiblement même à notre extinction.
La raison ayant déserté le rang de nos politiques, et des conglomérats qui les dirigent plus ou moins directement, il ne nous reste donc plus à espérer que la masse populaire finira un jour par se désintoxiquer de ces fausses promesses d’un monde meilleur à la croissance éternelle. Notre planète existe en effet depuis 4,5 milliards d’années, et existera encore quelques autres milliards d’années. Et qu’elle soit ou non débarrassée de notre poids ne modifiera aucunement son orbite autour du soleil.
Michel Jourdan