Du tambour au triangle

Il y a quelques années encore, les défenseurs de la cause climatique descendaient chaque semaine par milliers dans les rues des plus grandes capitales du monde, maintenant ainsi vivant le frêle espoir de rallier à leur cause quelque politique ou autre influenceur de l’ordre mondial. Force est de constater que, usés probablement par les années et les kilomètres parcourus, ces militants de la première heure se font désormais plus discrets, et leurs rassemblements plus timides. Il faut avouer que leur combat, qui, il y a peu encore, nous faisait espérer de voir renaître un regain d’humanité chez l’hominidé moderne, ne fait plus « rêver ». En lieu et place, l’indifférence climatique aura lentement gagné du terrain, jusqu’à nous en faire oublier les causes profondes de la crise et, en aval, les conséquences toujours plus dramatiques que nous promet celle-ci.
Triste est le constat donc : que ce soit dans les rues, devant les temples de l’économie ou encore devant le QG des Nations unies ou autres parlements, les manifestants, pour peu qu’ils se déplacent, sont, au mieux, ignorés, et au pire, arrêtés. Alors, exception faite d’indécrottables « anarchistes », l’on range le tambour et l’on sort le triangle, bien moins tapageur et bien plus politiquement correct. Qu’à cela ne tienne, diront certains, la révolution, on peut tout aussi bien la faire chez soi. Oui, mais à quoi bon ? Sans compter que lutter contre nos émissions carbone nous détourne de l’essentiel, à savoir que le changement climatique n’est que l’un des nombreux symptômes de notre système capitaliste.
Le capitalisme, nourri de notre système de marché et de consommation à outrance, ne se contente en effet pas de massacrer la planète, de laquelle l’on s’octroie le droit d’en extraire la moindre ressource, mais, d’une manière générale, détruit à petit feu ce qui nous reste d’humanité. Avec pour finalité que le paraître l’emporte sur le bon sens. En résumé, le danger est double, notre système socio-économique constituant une menace à notre survie à la fois corporelle et morale. Comment ainsi ignorer les liens de cause à effet de ce même système sur l’ensemble de nos problèmes anthropiques ? Que ce soit les fléaux sociaux – tels que le trafic humain ou de stupéfiants –, la perte de la biodiversité, la pollution, la déforestation, le développement outrancier, nos habitudes alimentaires, ou même l’arrivée de nouveaux virus… dans quelque direction où l’on regarde, la corrélation avec le capitalisme est toujours présente, même si quelquefois de manière indirecte.
Pour autant, il y a plus édifiant, dramatique et consternant encore que la perte de vies humaines dans les catastrophes dites naturelles, à savoir l’altération progressive, mais indéfectible, de ce qui fait justement de l’humain un humain. L’avidité, l’égocentrisme, la soif du « toujours plus », la recherche constante d’une hausse de notre niveau de vie, de notre confort… Tout cela contribue à alimenter le système actuel et à déstructurer l’humanité, laquelle finit par lentement s’éteindre sur le plan intellectuel, culturel et des valeurs qu’elle entend défendre et propager.
Enracinés dans cette logique prônée par la doctrine du capital, nous en aurons donc oublié l’essentiel de ce qui fait de nous ce que nous sommes. A contrario, nous sommes conditionnés à cette maxime subliminale selon laquelle nous aurions raté notre vie si nous ne devenons pas millionnaires à 25 ans. Message conditionné, digne d’une aliénation du genre humain, mais combien nécessaire pour maintenir en place le statu quo des classes sociales. Sachant évidemment que pour la majorité d’entre nous, cela signifie d’accepter notre appauvrissement continu, et pas seulement sur le plan financier.
Le plus triste, c’est qu’il n’y a pas besoin d’être un expert pour comprendre l’absurdité de la situation. Jamais calcul n’aura en effet été plus simple : la croissance étant liée à l’exploitation de nos ressources, et nos ressources ne pouvant se renouveler, la croissance ne peut donc être éternelle. De fait, le gâteau (comprenez par là la « richesse ») ne peut grossir indéfiniment. Avec pour résultat que le cercle des très riches devient de plus en plus select, tandis que le camp des plus mal lotis, lui, grossit de manière exponentielle. Plus qu’un simple raisonnement, il s’agit d’une logique mathématique. Réalité que d’aucuns préfèrent dissimuler de peur de voir s’effondrer tout le système. Jusqu’à ce que même les triangles se taisent.

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Michel Jourdan

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