En quelques décennies seulement, l’humanité aura connu nombre de bouleversements et de crises, la plupart faisant trembler sur son piédestal notre sacro-saint système capitaliste, à l’instar de la crise économique de 2007/08 ou encore de la récente crise sanitaire. Certes, nous nous en serons jusque-là à chaque fois relevés, mais à quel prix ? Sans oublier, surtout, que nous n’aurons rien appris des leçons passées, nous exposant ainsi chaque jour davantage à la résurgence de tensions planétaires. Avec, au bout du chemin, un effondrement de nos civilisations consuméristes, et peut-être même intrinsèquement de l’humanité entière.
Face à la décadence actuelle de nos sociétés, et par ricochet des valeurs qu’elles sont supposées véhiculer, les anciens – ceux ayant connu les années glorieuses, soit de 1950 au milieu des années 1980 – rabâcheront certainement encore longtemps que « c’était mieux avant ». Et en un sens, ils n’auraient pas totalement tort. Du moins dans le sens où, hormis quelques crises épisodiques, le train de vie moyen conférait à l’époque un certain confort, et ce, alors sans aucune crainte apparente pour l’avenir. « Apparente », car nous étions alors loin de penser qu’en baissant ainsi notre garde et en pensant la croissance éternelle, nous avions déjà laissé entrer le loup dans la bergerie.
Le fait est qu’aujourd’hui, « le monde ne tourne plus rond », et que les défis qui se présentent devant nous, changement climatique en tête, semblent insurmontables. Et ce, d’autant plus qu’en étant enfermés dans notre carcan capitaliste, l’idée d’un changement radical de système est automatiquement mise hors-jeu par ceux dont les intérêts sont étroitement intriqués à ce même système, et qui leur confère de facto la liberté de mener comme ils l’entendent les affaires du monde. Aussi, nombre de voix s’élèvent désormais parmi eux en vue d’apaiser la tension, climatique entre autres. Notamment en tentant de convaincre l’humanité que la technologie nous sauvera, ce qui ne pourra se faire sans le maintien de notre modèle économique.
D’où la question : pourra-t-on atteindre une maturité technologique suffisante pour éviter le pire ou, au contraire, se dirige-t-on inexorablement vers un effondrement civilisationnel ? Un point important et d’autant plus légitime que certains promettent que nous serions déjà dans la capacité de faire un « bond de géant » en remplaçant l’ancien ordre industriel par un « Nouvel Ordre ». Ainsi, selon eux, en mettant en pratique de nouvelles techniques, fraîchement développées, nous serions à même de procurer au monde à la fois l’énergie, le transport, la nourriture et les connaissances nécessaires sans avoir à nuire à la planète. Bref, l’on cherche à instaurer le « capitalisme vert ».
Malheureusement, cette vision optimiste – pour ne pas dire utopique – se rebute à de tristes réalités, dont la première est le (trop) peu de temps qu’il nous reste pour la mettre en chantier, du fait notamment du changement climatique, qui poursuit pour l’heure toujours tranquillement son petit bonhomme de chemin. Vient ensuite le problème des « techniques » dont il est ici question, et dont certaines ne sont pas totalement au point, alors que d’autres n’ont pas encore fait leurs preuves. Sans compter que quand bien même elles seraient pleinement exploitables, cela ne signifierait pas pour autant qu’elles seraient immédiatement adoptées. Et ça, c’est plus une question politique que technologique.
Voici d’ailleurs le dernier point allant à contre-courant de cette conception idéologique selon laquelle nous pourrions résoudre la plupart des défis actuels d’origine anthropique par un renouvellement de nos techniques industrielles. Car sans politique – à l’échelle mondiale, cela va sans dire –, jamais on ne pourra envisager de changement de paradigme, y compris dans nos formules de production. Comment en effet imaginer un avenir radieux avec la montée en puissance des politiques autoritaires à laquelle on assiste un peu partout dans le monde ? Avec une Chine, une Inde et un Brésil, entre autres, en pleine croissance, et un Trump qui rempile à la Maison-Blanche, que pouvons-nous réellement espérer ?
En fin de compte, nous sommes arrivés à un carrefour paradoxal de notre évolution : soit nous continuons sur notre lancée, avec en bout de course un effondrement total (entraînant même la disparition du vivant), soit nous empruntons le chemin de l’évolution, qu’elle soit technique ou non. Une question à laquelle le monde a déjà répondu d’ailleurs, d’où le côté paradoxal du choix. Entraînant une autre certitude : s’il est vrai que le monde était mieux avant, c’est une tout autre histoire pour ce qui est de « l’après ».
Michel Jourdan