Rezistans ek Alternativ se félicite de l’organisation d’une cérémonie officielle au Fort Frederick Hendrick, à Vieux Grand-Port, le 2 février
Pour la première fois, depuis 190 ans, il y aura une cérémonie officielle organisée par l’État, aux ruines de l’ancien quartier général des Hollandais à Vieux-Grand-Port, dans le cadre de la commémoration de l’Abolition de l’esclavage. C’est une requête de Rezistans ek Alternativ, depuis des années, pour que l’acte de rébellion d’Anna de Bengale et de ses compagnons soit officiellement reconnu. Il est estimé par le parti de gauche que cette femme esclave a jeté les bases de la revendication et de la liberté.
Depuis quelques années déjà, Rezistans ek Alternativ (ReA) a choisi comme lieu de mémoire, pour commémorer l’Abolition de l’esclavage, les ruines du Fort Frederik Hendrick, à Vieux-Grand-Port. En 2014, le parti avait lancé une pétition, pour demander à l’État de reconnaître, officiellement, l’acte de rébellion d’Anna de Bengale, considéré comme le premier acte d’insurrection des travailleurs à Maurice. Le devoir de mémoire est d’autant plus important, a toujours fait valoir le parti, car les livres ne disent pas toujours l’histoire du point de vue des opprimés.
Pour Stephan Gua, il est important de se réapproprier l’histoire. C’est la raison pour laquelle Rezistans ek Alternativ avait réclamé cela dans son accord avec l’Alliance du Changement. « En mettant le feu à la caserne des Hollandais sur laquelle les Français ont reconstruit par la suite, Anna de Bengale et ses compagnons ont effectué le premier acte de liberté. Pour nous, c’était un événement important », affirme-t-il.
Malheureusement, poursuit-il, lorsqu’on se rend aux ruines du Fort Frederick Hendrick aujourd’hui, avec un musée sur la colonisation hollandaise à proximité, rien n’est mentionné à ce sujet. « Tout le narratif sur place ne concerne que les colons. Il n’y a rien sur l’acte de révolte d’Anna de Bengale du 18 juin 1695. Il fallait rétablir l’histoire. »
Cet acte, ajoute Stephan Gua, fait partie de la longue marche des opprimés vers la liberté. « Pour nous, c’est la première forme du mouvement des travailleurs à Maurice. Nous avons voulu connecter notre combat avec cet événement », ajoute-t-il. Au-delà des travailleurs, cette action a aussi mené à l’émancipation de la société mauricienne, précise-t-il.
La reconnaissance officielle de l’État se traduira par une cérémonie protocolaire au Fort Frederick Hendrick, à Vieux-Grand-Port, le 2 février prochain. Celle-ci débutera à 16h15 par une performance artistique. Il y aura de la musique et du slam, notamment, au programme. Trois femmes prendront la parole lors de la partie protocolaire, comme pour symboliser le rôle important mené par Anna de Bengale, lors de la rébellion de 1695. Elles sont Véronique Leu-Govind, Junior Minister aux Arts et à la Culture, Anishta Babooram, Junior Minister à l’Égalité des genres et députée de la circonscription Vieux-Grand-Port/Rose-Belle, ainsi que Babita Thannoo, députée de Rezistans ek Alternativ. Les ministres Mahen Gondeea et Ashok Subron seront aussi présents.
Une figurine en découpe de métal, représentant quatre personnages avec un flambeau, sera dévoilée à cette occasion, ainsi qu’une stèle avec un panneau informatif, expliquant le symbolisme de la figurine. On y retrouvera les noms d’Anna van Bengale, Esperance van Bengale, Anthony van Malabar et Aron de Amboina.
Dans le jargon populaire, l’acte de rébellion d’Anna de Bengale a donné naissance à l’expression Dife Bengal. Même si cette dernière et ses compagnons ont été capturés et exécutés, leur révolte a semé la panique dans le camp des colons, qui craignaient d’autres soulèvements.
Quelle place pour le monument de Pointe Canon ?
Avec la reconnaissance du Fort Frederick Hendrick comme lieu de mémoire et la célébration officielle de l’Abolition de l’Esclavage organisée chaque année au Morne, quelle sera la place du Monument aux Esclaves de Pointe-Canon, Mahébourg ? Chaque année, les politiciens de l’opposition y défilaient pour un dépôt de gerbe.
Qu’en sera-t-il cette année, car rien à ce sujet ne figure sur le programme présenté au conseil des ministres du 17 janvier dernier ? Renseignement pris, il nous revient qu’une cérémonie de dépôt de gerbes sera organisée par le ministère des Arts et de la Culture, à Pointe-Canon, dans l’après-midi du 1 er février. Soit après la cérémonie officielle au Morne. Le vice-président de la République, Robert Hungley, en sera l’invité d’honneur.
Parlant de Pointe-Canon, Stephan Gua affirme qu’il faut préserver ce lieu de mémoire : « Il ne faut pas opposer les lieux et les dates. L’esclavage s’est déroulé dans plusieurs parties de Maurice et il n’y a pas d’exclusivité sur les lieux de mémoire. Pour moi, Pointe-Canon est aussi important que les autres endroits, comme le Bassin des esclaves, à Pamplemousses. »
Joël Edouard retranscrit le procès d’Anna de Bengale
Chercheur d’origine rodriguaise, Joël Edouard a fait le voyage en Afrique du Sud pour retrouver les archives de la période hollandaise, dans le cadre de sa thèse de doctorat. C’est ainsi qu’il s’est intéressé à l’histoire d’Anna de Bengale. « Malheureusement, il n’y a pas beaucoup d’informations sur elle, en tant que personne. Nous savons qu’elle est originaire de l’Asie du Sud et qu’elle a peut-être été achetée en tant qu’esclave au Bengale. Cela ne veut pas dire qu’elle venait du Bengale. »
Selon la procédure en cours à l’époque, elle a été envoyée à Batavia, actuellement Jakarta. De là, elle a peut-être voyagé jusqu’au Cap de Bonne Espérance, puis à Maurice. Ou alors, elle est venue directement de Batavia à Maurice. Joël Edouard a pu, en revanche, retracer les documents liés au procès d’Anna de Bengale et de ses compagnons. « Les archives mentionnent que l’incendie a eu lieu le 11 juin 1695 et qu’Anna de Bengale a été exécutée le 23 juin 1695, en même temps qu’Espérance de Bengale. »
Le jeune homme – qui a vécu plus de dix ans en Hollande pour des études –, a ainsi pu transcrire ce document du néerlandais à l’anglais. Ce livret sera lancé officiellement lors du colloque sur la Route des Esclaves, qui se tiendra à l’Université de Maurice, du 3 au 5 février. « Ce livret est un préliminaire, car je suis toujours en train de terminer mon doctorat. En 2019, j’ai débuté un projet avec le Dr Vijaya Teelock, pour essayer de répertorier des documents néerlandais sur Maurice. Mon déplacement en Afrique du Sud était financé par l’Université de Radboud, aux Pays-Bas, où je fais mon doctorat. Mon temps était limité. Mais j’ai trouvé beaucoup de documents sur Maurice qui méritent que j’y retourne. »
Il cite en exemple, les journaux de l’administrateur de la période 1679 à 1681. « Il faut les transcrire pour savoir ce qu’ils contiennent. Cela peut nous apprendre beaucoup de choses. Toutefois, la transcription n’est pas toujours simple, car le néerlandais du 17e siècle n’est pas le néerlandais standard. Parfois, les documents ont été écrits par plusieurs personnes dans différents styles et différentes écritures. »
Revenant sur le « Trial » d’Anna de Bengale, Joël Edouard explique que le document est assez sommaire. Ce qui donne l’impression que la procédure a été rapide. « Nous savons que les Hollandais avaient peur des esclaves marrons qu’ils n’arrivaient pas à capturer. Ils craignaient que l’acte d’Anna de Bengale ne provoque d’autres révoltes. C’est pour cela qu’elle a été exécutée rapidement. L’officier en charge a dit dans une lettre qu’il fallait donner l’exemple. »
Quant à savoir si l’acte d’Anna de Bengale est le premier acte de rébellion sous l’occupation hollandaise, Joël Edouard répond par la négative. « Il y a eu une première révolte en 1678, toujours à Vieux Grand-Port, mais personne n’a travaillé dessus. Elle impliquait un soldat, un exilé du Timor et des femmes esclaves. Toutefois, ces dernières n’avaient pas un rôle prépondérant comme Anna de Bengale. »
Le chercheur ajoute que l’année 1695 a été difficile pour Maurice. « En février, il y a eu un cyclone qui avait tout détruit. Quatre mois plus tard, il y a eu la révolte des esclaves. »
Joël Edouard est détenteur d’une licence en anglais et histoire de l’Université de Maurice. En 2013, il s’envole pour la Hollande, pour faire une nouvelle licence spécialisée en histoire, après avoir décroché une bourse à l’Université de Leiden. Après quoi, il a fait une maîtrise de recherche en histoire toujours, dans la même université. Il a ensuite postulé pour un doctorat à l’Université de Radboud, où il a décroché un contrat de quatre ans. Il enseigne en parallèle avec sa recherche.
Le thème de sa thèse de doctorat est : « Information Networks and the Dutch Slave Trade in the Indian Ocean in the 17th and 18th Century. » Il explique à ce sujet, qu’il a voulu comprendre comment les Hollandais avaient les informations nécessaires pour s’organiser par rapport à la traite, car Maurice est très éloignée.
Pour ses recherches, il a dû apprendre le néerlandais. « J’ai suivi des cours du soir et j’ai eu de l’aide de mes amis et de mes collègues. Cependant, le néerlandais du 17e est assez mélangé. Il y a de l’allemand, du français, de l’indonésien, du malais, entre autres. » Pour arriver à transcrire les documents, Joël Edouard a suivi un cours de paléographie ancienne.