Le lundi 13 janvier 2024, Air Mauritius a annoncé la recomposition de son conseil d’administration. Une décision qui a immédiatement suscité un flot de critiques et d’interrogations, tant au sein du secteur aérien qu’auprès des observateurs économiques et politiques. Si pour certains ces nouvelles nominations peuvent sembler offrir un certain gage de stabilité et d’expérience, elles suscitent néanmoins scepticisme parmi une grande partie de la population et des parties prenantes de la compagnie aérienne. Retour sur les nouveaux visages qui vont désormais diriger Air Mauritius et les enjeux complexes qui se profilent.
Après une période marquée par une série de turbulences financières et opérationnelles, le nouveau board de direction de la compagnie nationale a été constitué. Le plus frappant dans cette nouvelle composition est sans conteste la réintégration de plusieurs anciens membres du conseil d’administration d’Air Mauritius, datant principalement de la période 2005-14, sous le précédent mandat du Premier ministre Navin Ramgoolam. Parmi ces figures, on retrouve des noms qui ont déjà traversé les crises successives de la compagnie, notamment Kishore Beegoo et Dass Thomas.
Le nouveau président du conseil d’administration, Kishore Beegoo, fait son grand retour à la tête d’Air Mauritius après avoir occupé diverses fonctions au sein de la compagnie dans le passé, dont celle de directeur du département cargo. Ancien haut cadre d’Air Mauritius, il remplace Marday Venketasamy, démissionnaire après les élections générales du 10 novembre 2024. Ce retour est-il une garantie d’un changement de cap pour la compagnie nationale ou un simple retour à une politique de nominations selon les anciens réseaux et alliances politiques ?
L’un des autres noms qui soulèvent des interrogations est Appalsamy (Dass) Thomas, ancien président du conseil de 2012 à 2014, qui fait également son retour dans un rôle de directeur. Il est également une figure controversée en raison de son parcours et de ses liens politiques. Son mandat à la tête d’Air Mauritius avait été marqué par la gestion des achats des Airbus A350-900 en 2014, une décision encore aujourd’hui débattue dans les coulisses de la compagnie. Son passé, en particulier sa lutte judiciaire contre Air Mauritius en 2000 après avoir été évincé en tant que directeur, soulève encore des questions, d’autant qu’il a obtenu de grosses indemnisations de la compagnie d’aviation nationale.
L’une des critiques les plus virulentes à l’égard de ce nouveau conseil d’administration concerne le retour d’un système de “clans” au sein d’Air Mauritius. En effet, de nombreux observateurs pointent la persistance de ces liens entre le gouvernement et les figures historiques de la compagnie. Pour beaucoup, ce système de nominations basées sur des affinités personnelles ou politiques risque d’empêcher une véritable rupture avec le passé, et donc d’entraver toute véritable réforme structurelle. Il est difficile pour certains de croire à un véritable renouveau, tant attendu par la population et les employés de la compagnie, avec des figures qui, pour la plupart, ont été responsables d’échecs économiques passés.
Le doute persiste également sur la capacité de ce nouveau conseil à redresser la situation de la compagnie sans tomber dans les travers d’une gestion clientéliste ou d’un système de clans. Certains craignent que les nominations soient dictées plus par des considérations politiques ou personnelles que par la recherche de compétences spécifiques. En effet, parmi les nouveaux membres du conseil, on retrouve également des personnalités ayant déjà siégé dans des entités liées à la gestion de l’aéroport, comme Suresh Seebaluck (Secrétaire au Cabinet) et Dheeren Dabee (Solicitor-General), sans oublier François Woo, actionnaire principal de Cargotech, qui a également fait son retour. Leur présence alimente la crainte d’un retour à des pratiques d’un autre temps : une gestion opaque et une absence de transparence qui ont longtemps entaché la réputation d’Air Mauritius. Beaucoup redoutent qu’Air Mauritius ne fasse que se répéter les mêmes erreurs du passé, dans une logique de “changement sans changement”.
Les défis auxquels Air Mauritius fait face sont immenses : un endettement record, des déficits récurrents et une perte d’image au fil des années. Face à cette situation de crise, le nouveau président du conseil, Kishore Beegoo, a évoqué les priorités, dont la mise en place d’une enquête approfondie sur la période de gestion de l’entreprise sous Voluntary Administration (2020-2021), et notamment sur les décisions contestées telles que la vente de la flotte et les licenciements massifs de personnel. Mais pour beaucoup, ces mesures ne suffiront pas si elles ne sont pas accompagnées d’un changement de culture radical au sein de la compagnie, avec la fin du système des clans et de la népotisme.
Les interrogations autour de la gouvernance d’Air Mauritius sont d’autant plus vives que la structure même de la société holding, Airport Holdings Ltd (AHL), qui supervise la compagnie, demeure floue. Alors que le gouvernement détient 51% d’AHL et la Mauritius Investment Corporation (MIC) les 49% restants, une question clé émerge : qui, exactement, contrôle réellement la stratégie et les décisions à long terme d’Air Mauritius ? En l’absence d’une clarification formelle de la part des autorités, ce flou nourrit les spéculations et l’inquiétude chez les employés et les parties prenantes.
Une autre question cruciale qui s’impose est celle du futur de Charles Cartier, actuel directeur général d’Air Mauritius. Son maintien en poste est en effet envisagé jusqu’à nouvel ordre, mais le gouvernement semble déterminé à mettre en place une direction plus en phase avec ses objectifs de redressement. Le choix du futur CEO est d’autant plus sensible que celui-ci devra incarner non seulement la compétence, mais aussi la capacité à effacer l’héritage d’une gestion marquée par la politique et le clientélisme. Parmi les noms qui circulent, celui de Dass Thomas reste fréquemment mentionné, ce qui renforce les inquiétudes sur la direction que pourrait prendre la compagnie. Certains estiment qu’Air Mauritius a besoin d’un “coup de balai”, d’un changement radical de gouvernance pour se sortir de sa situation financière difficile, et non d’un retour des figures passées.
La nomination de ce nouveau conseil d’administration pourrait-elle marquer un véritable tournant dans la gestion d’Air Mauritius, ou s’agira-t-il d’un éternel recommencement ? La reconstitution du board de MK semble avoir été réalisée dans l’urgence, sans tenir compte des réalités de la compagnie et des enjeux auxquels elle fait face. Les décisions qui seront prises dans les prochains mois seront cruciales pour l’avenir de la compagnie. L’un des enjeux majeurs du nouveau board d’Air Mauritius est de restituer la confiance des employés, des partenaires et du grand public dans une compagnie qui a été marquée par des scandales de mauvaise gestion, des décisions controversées et un manque de transparence. Les employés, les syndicats, et les observateurs du secteur attendent de voir si ce conseil saura rompre avec la culture de clans et de népotisme qui a marqué la compagnie, et s’il parviendra à remettre Air Mauritius sur la voie du succès.
Le gouvernement a promis un changement de culture de gouvernance, avec des objectifs clairs de transparence et d’efficacité. Mais pour que ce changement soit réel, il faudra plus que de simples annonces et de nouvelles nominations. Les actions devront parler plus fort que les mots. Air Mauritius, symbole de la fierté nationale, mérite une direction capable d’incarner cette ambition de renouveau, loin des pratiques du passé qui ont plombé son développement.
Le scepticisme est bien là, mais il n’est pas trop tard pour que le conseil d’administration d’Air Mauritius prouve qu’il est en mesure de changer le cours des choses. Le temps des promesses est révolu. Il est désormais question de résultats. Le grand défi, désormais, sera de convaincre que cette équipe, par ses compétences et son intégrité, saura réellement faire renaître la compagnie. Si le nouveau board d’Air Mauritius veut éviter d’être perçu comme une simple répétition du passé, il doit se montrer à la hauteur des attentes populaires : une gouvernance transparente, audacieuse et débarrassée de tout conflit d’intérêts.
L’AMCCA appelle à une réforme urgente
après des années de souffrances des employés
Alors qu’Air Mauritius se réorganise avec la nomination de Kishore Beegoo à la tête de son nouveau conseil d’administration, les employés, notamment ceux représentés par l’Air Mauritius Cabin Crew Association (AMCCA), lancent un appel pressant à la réforme. Dans une lettre ouverte adressée au nouveau président, Yogita Babboo, présidente de l’AMCCA, met en lumière une situation alarmante qui, selon elle, n’a que trop duré.
Si l’accueil du nouveau président est marqué par des félicitations, le ton du message est loin d’être optimiste. Le bilan de ces dernières années est amer : depuis l’entrée en administration volontaire en 2020, les salariés de la compagnie aérienne nationale ont payé un lourd tribut. Les conditions de travail se sont détériorées de façon drastique, tandis que les rémunérations ont chuté de 50%, sans que les efforts demandés aux employés ne faiblissent. Le personnel navigant commercial, déjà réduit en nombre, s’est vu contraint de faire face à une surcharge de travail, dans un environnement de plus en plus toxique et démoralisé.
Dans sa communication, Yogita Babboo n’hésite pas à dénoncer une gestion qui a plongé l’entreprise dans une crise de confiance interne. « L’atmosphère est devenue toxique, les employés sont épuisés et la motivation est en chute libre », déclare-t-elle. Selon elle, ce climat de travail dégradé a fait des ravages bien au-delà des simples chiffres : « Les employés se sentent écrasés, isolés et démunis face à une direction qui semble sourde à leurs souffrances. »
La présidente de l’AMCCA appelle à une rencontre urgente avec Kishore Beegoo afin de discuter de ces préoccupations et de proposer des solutions pour redresser la situation de la compagnie. L’objectif : redonner à Air Mauritius sa fierté en tant que compagnie nationale et restaurer des conditions de travail dignes pour les employés qui, selon l’AMCCA, ont longtemps été les oubliés de la restructuration. La demande de l’AMCCA est claire : un retour à des conditions de travail respectueuses, une révision des salaires et une nouvelle vision stratégique qui mette fin à l’ambiance délétère qui sévit au sein de l’entreprise. Mais surtout, la présidente de l’AMCCA appelle à une remise en question de la gestion actuelle des ressources humaines et des processus décisionnels qui, selon elle, ont contribué à aggraver les tensions internes.
Un cri d’alarme qui survient dans un contexte de remaniements à la tête de la compagnie. Les syndicats, particulièrement l’AMCCA, espèrent une écoute attentive de la part du nouveau président afin de mettre en place des réformes structurelles nécessaires, tant pour la survie de l’entreprise que pour le bien-être de ceux qui la font vivre au quotidien. Il est clair que sans une approche sérieuse de la part de la direction, la situation risque de s’aggraver. La présidente de l’AMCCA souligne la nécessité d’une approche collaborative pour « réinstaurer la dignité des employés et redonner à Air Mauritius son statut de leader régional. »
La question désormais est de savoir si Air Mauritius pourra, sous cette nouvelle direction, renouer avec l’excellence et restaurer un climat de confiance entre la direction et les employés, tout en reconstituant l’image d’une compagnie aérienne de premier plan au service du pays.
Employés au sol — Appel à une action immédiate face
à l’impunité et au favoritisme au sein MK
Alors que Kishore Beegoo vient d’être nommé président du conseil d’administration d’Air Mauritius, l’attention des employés se porte déjà sur les attentes qu’ils placent en lui pour résoudre des problèmes internes profondément enracinés. Un groupe d’employés au sol a adressé une lettre au nouveau président, ainsi qu’au Premier ministre, Navin Ramgoolam, soulevant des préoccupations urgentes et des dossiers sensibles qui exigent une intervention rapide pour restaurer l’ordre et la justice au sein de la compagnie aérienne nationale.
Les employés d’Air Mauritius ne demandent pas seulement des mots, mais des actions décisives. Dans leur lettre à Kishore Beegoo, ils mettent en lumière deux dossiers qui, selon eux, illustrent une gestion problématique et une gestion de l’impunité, susceptibles de saper toute tentative de redressement. La question de la discipline interne et des promotions suspectes, dans un contexte déjà tendu, est plus que jamais au cœur des préoccupations du personnel.
Le cas de Ryan Ramsamy
Le premier point d’achoppement concerne le cas de Ryan Ramsamy, ancien président du syndicat AMSA et actuellement suspendu pour des raisons disciplinaires. Selon les informations fournies par le personnel, Ryan Ramsamy, qui bénéficie de l’immunité syndicale, semble se jouer des règles en retardant indéfiniment sa comparution devant le panel disciplinaire. Malgré sa suspension, il s’agrippe toujours à sa position de président de l’AMSA, un mandat expiré en novembre 2024, pour éviter les sanctions.
Ce maintien en poste, que certains interprètent comme un manœuvre pour échapper aux conséquences de ses actes, provoque un ras-le-bol parmi les employés. Alors que le personnel réclame un changement de culture à Air Mauritius, cet exemple d’impunité semble tout droit sorti d’un autre temps. L’absence d’action de la part des précédents dirigeants sur ce dossier est perçue comme un symbole d’une gestion laxiste sans tenir compte de la justice interne. Les employés exigent donc une action immédiate pour faire face à cette situation, avant que les dérapages ne deviennent la norme.
La culture du favoritisme à Air Mauritius
L’autre sujet brûlant soulevé dans la lettre concerne Anba Manikam, suspendu depuis l’année dernière après des plaintes répétées concernant sa gestion. Les employés de la compagnie pointent des promotions attribuées à des proches d’Anba Manikam, qui auraient été propulsés à des postes de direction sans posséder les qualifications ou expériences requises. Cette pratique de « nominations de petits copains » déjà largement dénoncée dans les coulisses, alimente un sentiment de frustration chez les travailleurs honnêtes qui peinent à comprendre pourquoi ces nominations sont maintenues malgré les dénonciations répétées.
Selon les dénonciations des employés, ces promotions n’auraient pas seulement pour objectif de récompenser des loyautés personnelles, mais auraient également contribué à une culture de gestion opaque et inéquitable, où la compétence et l’éthique semblent passer après les réseaux de relations internes. Cette situation de « deux poids, deux mesures » est perçue comme un coup de poignard pour ceux qui, dans l’ombre, continuent de travailler avec dévouement pour redresser la compagnie.
Les employés demandent donc une enquête en profondeur sur les décisions de promotion prises sous la direction d’Anba Manikam. Ils insistent également sur le besoin urgent de rétablir des critères clairs et équitables pour la gestion des ressources humaines, afin de garantir que l’avenir d’Air Mauritius repose sur des bases solides et transparentes.
Loin d’une simple réclamation, la lettre des employés d’Air Mauritius témoigne d’une profonde inquiétude concernant la direction future de la compagnie. Si critiquée, la nomination de Kishore Beegoo à la tête du conseil d’administration laisse toutefois espérer un vent de changement, et les travailleurs appellent à une prise de décision rapide et audacieuse pour éradiquer les pratiques de favoritisme et d’impunité.
Un appel clair à un changement radical
Pour les employés, le redressement d’Air Mauritius ne passera pas par une simple réorganisation du top management ou des changements de façade. Il faut, d’après eux, un changement de culture profond au sein de la compagnie, un retour à des principes de justice et d’équité, où la compétence prime sur les liens personnels. L’instauration de mécanismes disciplinaires et d’une gouvernance transparente et intègre est désormais une nécessité, et ce, sans délais.
Les employés attendent que le nouveau président fasse preuve de leadership en agissant rapidement pour traiter ces dossiers sensibles. Le personnel semble plus que jamais déterminé à voir des changements concrets et à en finir avec les pratiques qui ont déstabilisé la compagnie pendant des années. La nomination de nouveaux dirigeants pourrait-elle marquer le début d’un renouveau pour Air Mauritius, ou bien s’agira-t-il simplement d’un changement d’hommes pour une continuité de pratiques inefficaces ?