Oskar Benedikt (Ambassadeur de l’Union Européenne :  « L’Europe fait partie de l’histoire de ce pays » 

Dans une interview que l’ambassadeur de l’Union européenne (UE), Oskar Benedikt, a accordée à Le- Mauricien, il réitère le fait que l’Europe, à travers les instances de l’UE, a toujours fait partie de l’histoire de Maurice depuis son accession à l’indépendance. Aujourd’hui encore, elle est la principale partenaire commerciale du pays et également la plus importante en tant qu’investisseur direct étranger. Sans compter que plus de 60% des touristes à Maurice viennent des pays européens. La délégation de l’UE à Maurice gère actuellement 42 projets avec des financements à hauteur de 215,8 millions d’euros. Les principaux domaines de coopération sont la transition et la résilience climatique, la gouvernance, les droits de l’homme et l’inclusion, le commerce et l’économie durable, la sécurité et la sûreté maritime. Il présente Maurice comme un modèle de sécurité et de paix.

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Accroches
« Le changement de gouvernement ne change pas notre coopération. Il est évident que nous devons maintenant examiner les priorités du nouveau gouvernement et voir ce qui correspond à nos priorités »

« Nous voulons collaborer avec Maurice d’un accord commun. Nous sommes prêts à aider, à coopérer, mais sur un pied d’égalité. Parce que Maurice est vraiment une Success Story »

« Trois choses sont extrêmement importantes pour l’UE : la démocratie et la liberté d’expression, le droit international et l’État de droit. En matière de démocratie, la façon dont les élections générales et la transition du pouvoir se sont déroulées est exemplaire. En ce qui concerne le droit international, j’ai en tête les Chagos, mais aussi l’Ukraine »

Depuis l’arrivée du nouveau gouvernement au pouvoir en novembre dernier, vous avez déjà eu l’occasion de rencontrer plusieurs ministres. Envisagez-vous un réajustement dans le partenariat économique et social entre l’UE et Maurice ?
Lorsque nous regardons les données de base de la coopération, nous constatons que l’UE est le premier partenaire commercial de Maurice. Environ 24% des échanges commerciaux de Maurice se font avec l’Europe. Ensuite, 66% des touristes qui viennent en vacances à Maurice sont des Européens. Ce taux inclut les touristes en provenance de La-Réunion, qui fait partie de l’Union européenne. Il n’y a pas que les Français. Nous avons un vol direct, trois fois par semaine, entre l’Autriche, mon pays d’origine, et Maurice. Cela signifie qu’il y a beaucoup d’Autrichiens ainsi que les Allemands qui aiment beaucoup Maurice.
Et puis, nous sommes les premiers investisseurs directs étrangers dans l’île. En 2023, 35% des investissements directs étrangers provenaient de l’Union européenne. Ce taux était de 50% durant le premier semestre 2024. La France, qui est membre de l’Union européenne, est un partenaire important de Maurice du fait de la proximité du pays avec l’île de La-Réunion. Nous avons donc une relation très étroite.
Nous avons une histoire commune avec Maurice depuis son accession à l’indépendance de fait. Il y a eu différents protocoles de développement, dont la Convention de Lomé. Maintenant, nous avons l’accord de Samoa. En fait, nous avons toujours soutenu le modèle de développement de Maurice. Cela a commencé avec le Protocole-Sucre. Ensuite, il y a eu la transformation de l’industrie sucrière. Et puis, le textile, le tourisme, les investissements, etc. L’Europe fait partie de l’histoire de ce pays. Nous avons toujours eu une très bonne entente.
Maintenant, il y a un changement de gouvernement. Cela ne change pas notre coopération. Il est évident que nous devons maintenant examiner ses priorités et voir ce qui correspond à nos priorités. Lors des premières réunions que j’ai eues, j’ai constaté que certaines questions sont toujours très importantes, dont la protection de l’environnement, la gestion des déchets, le réchauffement climatique, l’érosion côtière. Il y a aussi le vieillissement de la population qui entraîne une importation de la main-d’œuvre.
Les enjeux sont là. Ils concernent Maurice, mais nous avons toujours accompagné ce pays dans cette démarche d’adaptation. Nous voulons collaborer avec Maurice dans un accord commun. Nous sommes prêts à aider, à coopérer, mais sur un pied d’égalité. Parce que Maurice, si nous regardons ça, c’est vraiment une Success Story.
J’ai lu récemment dans The Economist un article sur l’Afrique. Il n’y a pas beaucoup de pays qui ont connu une croissance, un niveau de vie plus élevé, une réduction de la pauvreté. Ce n’est pas la même chose dans des pays comme les Seychelles, Maurice. Cela montre déjà que le modèle a fonctionné.

Et quel est ce modèle ?
Pour l’Union européenne, trois choses sont extrêmement importantes : la démocratie et la liberté d’expression, le droit international et l’État de droit. En matière de démocratie, la façon dont les élections générales et la transition du pouvoir se sont déroulées est exemplaire. En ce qui concerne le droit international, j’ai en tête les Chagos mais aussi l’Ukraine. L’État de droit est important parce qu’il garantit la stabilité et la permanence du pouvoir.
Je suis convaincu que nous avons une base commune. Ensuite, il y a aussi le multiculturalisme qui est là avec les personnes de différentes communautés qui vivent ensemble en bonne intelligence. C’est vraiment admirable ! Maurice peut servir de modèle pour les autres. Donc, je pense que nous avons cette base commune.
Avec le nouveau gouvernement, c’est ce dont nous allons discuter. Nous espérons avoir, au premier semestre de cette année, un dialogue de partenariat qui est prévu dans l’accord de Samoa. Ce sera une rencontre entre le gouvernement mauricien et les représentants de l’ensemble des 27 pays membres de l’Union européenne pour discuter de toutes les questions que nous avons en commun pour développer, éventuellement, des actions communes. Il s’agira d’intensifier nos relations dans tous les domaines.

Il sera question, entre autres, de l’accord de libre-échange que l’Union européenne a conclu avec cinq pays de la région, à savoir Maurice, les Seychelles, les Comores, Madagascar et le Zimbabwe. Nous négocions un approfondissement de cet accord. Nous espérons pouvoir conclure ces négociations cette année. Je pense que cela va accroître la croissance économique de Maurice dans la mesure où l’accord donnera de nouveaux avantages aux entreprises mauriciennes.

Nous avons déjà évoqué ce dossier avec la MEXA. Maurice, en tant que petite économie ouverte sur le monde, a besoin de ces accords pour pouvoir continuer à croître, à s’enrichir, à augmenter la qualité de vie. Oui, parce que nous sommes trop petits.   
Et cela permettra aussi d’aligner, d’une certaine manière, les modèles économiques, etc. Je pense donc que c’est très important. Nous avons également discuté avec le secteur privé. Je pense qu’à la MEXA, l’Association des exportateurs, ils comprennent que Maurice, en tant que petite économie ouverte au monde, a besoin de ces accords, de cet approfondissement, pour pouvoir continuer à croître, à s’enrichir, à augmenter la qualité de vie.

La pêche fera l’objet d’une importante réunion la semaine prochaine. Pouvez-vous nous en parler ?
Depuis 1989, l’Union européenne a conclu plusieurs accords de pêche avec Maurice. Le dernier accord a été signé en décembre 2022 et entériné par le Parlement européen en 2023. Et nous avons un accord de partenariat qui est entré en vigueur en 2014. Et dans cet accord, il y a des protocoles pluriannuels, sur plusieurs années. Les prochaines négociations auront lieu en 2026.

Une réunion annuelle de la commission mixte pour examiner cet accord aura lieu la semaine prochaine. La délégation européenne sera dirigée par le directeur international pour l’économie bleue. Cet accord est très important pour les deux parties.

Comme vous le savez, le gouvernement veut faire de l’économie bleue un pilier de l’économie mauricienne. Est-ce qu’il peut compter sur le soutien de l’Union européenne ?
Oui, absolument. Nous sommes en contact avec le gouvernement à ce sujet. J’ai rencontré le ministre de l’Agro-industrie, Arvin Boolell, pour aborder la question. L’économie bleue est naturelle pour une île comme Maurice. Mais qu’est-ce que cela signifie, l’économie bleue ? À notre avis, l’île doit vraiment utiliser sa position d’étoile et de clé de l’océan Indien. Nous sommes prêts à apporter notre aide. L’accord de pêche en fait partie.

Dans le cadre de l’accord avec Maurice, l’UE verse une contribution annuelle de 725 000 euros, soit plus de Rs 30 millions, à Maurice. Elle comprend 275 000 euros pour les droits d’accès aux eaux mauriciennes, 275 000 euros sous forme de soutien au secteur de la pêche à Maurice et 175 000 euros destinés à aider Maurice à développer la politique maritime et l’économie bleue.

Les pêcheurs européens alimentent les usines de production de thon en boîte, dont Princess Tuna qui exporte ses productions vers l’Europe. Nous avons un modèle gagnant-gagnant. Le développement d’une politique maritime et de l’économie bleue fait l’objet de discussions avec le gouvernement. Ces discussions portent également sur le fonctionnement du port parce que l’économie bleue ne se limite pas qu’à la pêche. Elles concernent le chantier naval, la maintenance des navires ainsi que toutes sortes de choses. Il ne faut pas oublier que les lignes maritimes sont opérées pour la plupart par les opérateurs européens.
Le gouvernement est bien conscient que des réformes doivent être apportées au niveau portuaire. Et nous sommes prêts à l’aider. Nous avons également ce que nous appelons le Global Gateway. Il s’agit d’un nouveau programme en Europe, destiné à investir dans des infrastructures sociales. Il vise à promouvoir les connexions intelligentes, propres et sécurisées dans les secteurs du numérique, de l’énergie et des transports, et à renforcer les systèmes de santé, d’éducation et de recherche dans le monde entier.

Dans le cadre de ce programme, l’UE participe financièrement à l’extension du port aux Seychelles. Nous sommes également prêts à examiner cette question avec le gouvernement. Nous avons également un programme pour tout ce qui concerne la sécurité portuaire. Des programmes régionaux sont exécutés par l’intermédiaire de la Commission de l’océan Indien pour la sécurité maritime.

Concernant la pêche dans la région, on déplore également la surpêche, qui affecte le stock de poissons dans la région. Est-ce que c’est un problème qui vous préoccupe ?
Nous participons aussi à la lutte contre la pêche illicite non déclarée et non réglementée dans les eaux territoriales de Maurice et d’autres pays. Nous ne voulons pas que des produits de la mer ou des produits transformés qui arrivent en Europe proviennent de la pêche illégale, non déclarée et non réglementée. Il faut vraiment faire beaucoup d’efforts, car nos propres réglementations en Europe nous interdisent d’importer ces produits.

L’année dernière, nous avons eu une mission d’experts et de nos propres fonctionnaires qui sont venus discuter avec le ministère de la Pêche. Il y a un programme commun mis en place pour lutter contre ce fléau. Il faut maintenant le mettre en œuvre. En décembre, une nouvelle loi a été votée, qui prévoit, par exemple, une augmentation des amendes pour ce type de délit. Il y a donc eu tout un programme commun.

Un des secteurs qui intéresse beaucoup l’UE est le service financier. Comment évaluez-vous ce secteur aujourd’hui ?
Oui, quand je suis arrivé ici il y a un an, la première chose dont on m’a parlé a été la fameuse liste noire dans laquelle Maurice avait été placée. Il faut reconnaître que Maurice est sortie très vite de cette liste avec notre aide.

J’ai eu l’occasion de rencontrer la ministre des Services financiers, Jyoti Jeetun. Je constate que le gouvernement a pris conscience de la nécessité de préparer la nouvelle visite de contrôle du Groupe d’action financière prévue en 2027 pour passer en revue les mesures prises contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Ces aspects sont aussi extrêmement importants pour nous en Europe. Nous avons donc décidé de créer un nouveau programme pour soutenir Maurice dans sa préparation. Afin d’être sûr qu’il n’y a pas de surprises lors du contrôle comme c’était la dernière fois, il faut bien se préparer en amont. Et donc, on a un nouveau programme d’expertise. Un montant de 500 000 euros sera pour cet accompagnement pour bien se préparer. Nous pouvons croire que deux ans, c’est très long mais ce n’est pas le cas. 2027, c’est demain. Les mesures correctives, si cela s’avère nécessaire, ne pourront être apportées à la dernière minute. Il faut vraiment qu’elles soient mises en œuvre maintenant. Et nous souhaitons bien sûr beaucoup de succès au gouvernement.

Un autre dossier qui vous intéresse est l’économie circulaire. Comment se présente ce projet ?
Vous savez, l’Union européenne génère plus de 2,2 milliards de tonnes de déchets chaque année. Les modèles économiques linéaires qui extraient, fabriquent, consomment, ont donc un impact sur notre environnement et nous ne pouvons pas continuer comme ça. Nous sommes donc passés de l’économie linéaire à l’économie circulaire. L’idée est qu’il faut moins de gaspillage possible.

À Maurice, Mare-Chicose est un exemple. Ça ne peut pas continuer. Il faut changer des modèles de fonctionnement. Une feuille de route a été préparée et nous allons maintenant soutenir la transition vers une croissance durable. Nous avons également besoin d’investissements dans ce domaine.

Dans ce contexte, l’UE et l’Agence Française de Développement (AFD) ont lancé le programme Sunref, un programme de prêt qui promeut la croissance verte et inclusive. Cet argent va aux banques qui soutiennent l’économie circulaire. Une équipe d’experts est actuellement à Maurice pour rencontrer tous les partenaires publics et privés afin de préparer un programme de 3,5 millions d’euros pour établir l’économie circulaire dans le secteur de la construction. Nous nous concentrons sur la construction parce que nous avons vu qu’il y a eu beaucoup de constructions ces derniers temps.
Le programme Sunref permet depuis plusieurs années d’accorder des prêts aux entreprises pour leur transition écologique, mais aussi pour un accompagnement technique. Donc, la troisième phase de ce programme est en cours depuis 2018. Il s’agit d’un financement de 75 millions d’euros de l’AFD et d’un autre de 7 millions d’euros de l’Union européenne. Nous venons d’approuver une réorientation de ce programme qui vise à renforcer le développement de la finance durable à Maurice, en consultant sur les capacités, les connaissances et les mesures réglementaires des institutions financières gouvernementales, entre autres.

Nous travaillons avec la Banque de Maurice, la Financial Services Commission, la Mauritius Bankers Association, mais aussi Business Mauritius pour mettre en œuvre ce programme qui s’étendra jusqu’en 2026. Les 4 et 5 février, il y aura une conférence sur ce sujet, une grande conférence qui sera organisée conjointement avec l’Agence française de développement, Business Mauritius et nous-mêmes, dans le cadre du projet Sunref.
Un autre domaine qui nous intéresse en ce moment, c’est la gestion de l’eau. Si nous pouvons aider, nous aimerions le faire en tandem avec l’Agence française de développement, dans le cadre de l’Équipe Europe. Nous sommes également intéressés à la transition énergétique, car nous avons besoin de davantage d’énergies renouvelables. Et puis, l’érosion côtière, car elle fait l’objet d’une grande expérience en Europe.

L’UE s’est beaucoup intéressée à l’industrie sucrière, la production énergétique à partir de la bagasse dans le passé. Il semble que ce ne soit plus le cas…
C’est le cas, car l’industrie sucrière constitue toujours l’épine dorsale de l’économie. Elle est importante en raison de son histoire. De plus, la bagasse joue un rôle important dans la production énergétique.
Il y a de toute façon beaucoup de terres. Donc, c’est toujours important. Par exemple, nous avons financé et réalisé un programme concernant le statut d’Indication géographique pour les sucres spéciaux mauriciens pour que nous ayons une indication géographique claire pour les sucres de Maurice. Nous travaillons sur le rhum mauricien et le citron de Rodrigues afin qu’ils obtiennent le statut d’Indication géographique reconnu en Europe. Ce qui permet de donner à ces produits une valeur ajoutée.

L’UE a aussi soutenu Rodrigues dans le passé…
Nous continuons à le faire. Les programmes concernant le reboisement de l’île se poursuivent, notamment pour les plantes endémiques. Nous sommes également engagés dans la gestion de l’eau. Nous continuons à travailler en étroite collaboration avec l’Assemblée régionale de Rodrigues. Nous cofinançons l’extension de l’aéroport avec la Banque mondiale qui gère le projet. Nous apportons également notre soutien à la pêche artisanale et à d’autres projets sociaux. Et nous nous occupons également de l’eau avec l’AFD.

Vous regardez l’avenir du partenariat avec Maurice avec beaucoup d’optimisme.
Il y a beaucoup de choses qu’il faut améliorer et des défis à relever. Ce partenariat a toujours été très intense. Nous avons beaucoup travaillé ensemble et voulons continuer à le faire. Je suis optimiste en raison de notre histoire commune et des intérêts communs. L’Union européenne et Maurice ont toujours été des amis.

Nous voulons renforcer l’indépendance, la coopération régionale et la sécurité maritime. Maurice se présente comme exemple pour d’autres pays. La sécurité et la sûreté maritime sont très importantes. Il faut se donner les moyens pour que l’épisode du Wakashio ne se reproduise plus. La lutte contre la piraterie et la pêche INN se maintient. Nous avons des programmes avec la COI concernant la surveillance des mers.

L’Inde est également engagée dans la sécurité maritime. Est-ce qu’une coopération est envisageable ?
Bien sûr. Dans le cadre de l’Indo-Pacifique, nous avons tout intérêt à collaborer avec l’Inde. La coopération entre l’UE et l’Inde se renforce. Il y a un nouvel ambassadeur de l’Inde à Maurice, on verra si on peut développer une synergie dans ce domaine. Nous avons, à travers la coopération régionale, des centres de surveillance. Nous sommes également un partenaire de IORA. On renforcera notre coopération. Nous prévoyons d’organiser un séminaire sur la sûreté maritime durant le deuxième semestre avec la France, La-Réunion et les partenaires de l’IORA afin de dégager une action commune et nous préparer contre tout problème éventuel.

Le mot de la fin…
Nous sommes heureux de poursuivre notre partenariat avec le gouvernement mauricien et la société civile. Je félicite la population mauricienne et tout le monde pour la conduite de ces élections et pour la transition du pouvoir exemplaire par rapport à d’autres pays. Je souhaite que Maurice reste le modèle de stabilité et de paix qu’il est maintenant.

 

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