Mustupha Mosafeer, conseiller fiscal, compte plus de 50 ans d’expérience en matière de fiscalité. Il a été Commissaire de l’Income Tax avant la création même de la Mauritius Revenue Authority et a aussi occupé les fonctions de directeur de la Large Taxpayer Department and International Taxation Unit à la MRA. Mustupha Mosafeer est l’auteur de « An insight into Mauritius Tax Conventions » paru en 2016 et il vient de publier la deuxième édition de Income Tax in Mauritius, qui prend en compte les amendements apportés à l’Income Tax Act depuis 2023. Il estime être de son devoir de partager l’expérience et l’expertise acquises au fil des années avec ceux qui s’intéressent à la fiscalité. Dans l’interview accordée à Le Mauricien, Mustupha Mosafeer plaide pour la rédaction d’une autre Income Tax Act, qui remontant à près de 30 ans, a été amendée à plusieurs reprises. Il souhaite également que le système de « remittance basis » soit revu avant que les résidents mauriciens ayant des comptes bancaires à l’étranger puissent payer la taxe non seulement sur les revenus obtenus localement mais aussi à l’étranger.
Beaucoup se souviennent de vous pour l’ouvrage Income Tax in Mauritius. Qu’en est-il de vos projets ?
Deux ans après avoir publié la première édition du livre Income Tax in Mauritius, et à la demande des personnes intéressées par les impôts, je publie cette année une deuxième édition qui prend en considération les amendements apportés à l’Income Tax Act par la Finance Act 2023 et la Finance Act 2024.
Concernant les impôts, il n’y a pas eu d’amendements majeurs mais ils méritent d’être soulignés. Ainsi, avant le 1er juillet 2023, le seuil d’exonération sur le revenu (Income Exemption Threshold) prenait en considération les déductions personnelles ainsi que les déductions concernant un nombre limité de personnes dépendantes du contribuable, dont son épouse et les enfants. Depuis 2023, cette exonération a été remplacée par une déduction personnelle d’un montant de Rs 390 000 qui est inclus dans le taux d’impôt entre 0 et 20%. D’autres déductions sont prévues pour l’épouse et pour les enfants.
Le deuxième changement concerne le taux d’imposition. Auparavant, il y avait un barème de 15%. Il a été remplacé par un taux progressif jusqu’à 20%. Le problème : quel que soit le revenu d’une personne, le taux d’imposition était de 15% maintenant ce taux atteint 20% pour les revenus élevés. Les individus peuvent également bénéficier d’une exonération fiscale pour l’adoption des Pets qui est de Rs 10 000, jusqu’à un maximum de trois.
Depuis 2017, la Negative Income Tax (NIT) a été introduite à Maurice. Ce qui a apporté une nouvelle dimension à l’impôt sur les revenus afin de venir en aide aux plus démunis. Dans le cadre de la NIT, une allocation mensuelle est payée aux employés dont le salaire de base est moins ou équivalent à Rs 9 900 et pas plus de Rs 20 000 par mois. Ces personnes bénéficient d’une allocation variant entre Rs 100 et Rs 1 000 par mois. Il est intéressant de noter que durant la période de Covid, le gouvernement a introduit une série de mesures afin d’aider financièrement une catégorie spécifique d’employés et d’employeurs.
Pourquoi cette tâche a-t-elle été confiée à la MRA, qui est un collecteur d’impôts ?
Je pense que parmi les institutions gouvernementales, la MRA est parmi les meilleures en matière de système. Cette instance est habituée à gérer le système PAYE, etc. Le ministère de la Sécurité sociale n’est pas suffisamment équipé pour le faire. Or, nous savons que dans certains cas, des personnes décédées continuent à recevoir leur pension. Comment pouvons-nous confier à la sécurité sociale des tâches plus complexes. Or, la MRA est en mesure de gérer tout ce qui est lié d’une manière ou d’une autre aux salaires. Ensuite, cette institution dispose de tout un département dédié entièrement aux technologies informatiques. Ce qui leur permet de procéder à tous les paiements électroniques.
Y a-t-il eu des changements concernant la taxe sur les compagnies ?
Il n’y a pas eu de grands changements sauf l’introduction du Corporate Climate Responsibility Levy de 2% qui est imposé sur les compagnies dont les chiffres d’affaires dépassent Rs 50 millions. Même les entités opérant dans les services financiers sont sujettes à ce prélèvement.
Dans mon livre, je vais un peu plus en profondeur sur certaines mesures comme l’Alternative Tax Dispute Resolution Panel. Normalement, la MRA dispose d’un service pour traiter les objections et les protestations. L’Alternative Tax Dispute Resolution Panel est une instance qui se penche sur les conflits plus complexes. Le livre fait également un constat de l’évolution des taux d’imposition durant les 50 dernières années.
Dans les années 1970-1974, le taux d’imposition sur le revenu pouvait aller jusqu’à 80% auquel s’ajoutait un prélèvement spécial de 10%. Ce taux a baissé graduellement pour atteindre 70% en 1984-1985. Ce taux d’imposition maximale est tombé à 35% pour atteindre 30% dans les années 1998-1999.
En 2007-2008, la taxe était de 15% pour les premières Rs 500 000 et 22,5% sur la différence de revenus. Entre 2008-2009 et 2023-2024, le taux d’imposition était de 15% across the board. À partir de 2024-2025, un taux variant entre 2% et 20% est imposé après une exonération de Rs 390 000. Le taux d’imposition sur les compagnies était de 60% entre 1977 et 1985 pour passer à 15% à partir 2008-2009 jusqu’aujourd’hui.
Les compagnies engagées dans l’exportation, la manufacture, le port franc, ainsi que celles engagées dans les secteurs médical, biotechnologique et pharmaceutique ainsi que dans l’éducation supérieure sont frappées d’une taxe de 3%.
Aujourd’hui, quelles sont les mesures fiscales qui, d’après vous, devraient être introduites pour la relance de l’économie ?
J’ai plusieurs propositions. Je considère que la loi en vigueur est très complexe et impose un fardeau à ceux qui ne sont pas des contribuables potentiels. Ainsi, ceux dont les revenus dépassent Rs 390 000 doivent obligatoirement soumettre leurs feuilles d’impôt. Admettons que les revenus d’un contribuable atteignent Rs 400 000 et qu’après les différentes déductions prévues, il ne doit payer aucun impôt, il doit malgré cela soumettre sa feuille d’impôt.
Je pense que ce n’est pas juste surtout pour les retraités. Ces derniers ne sont pas des IT Literates et ils doivent obligatoirement trouver une personne pour les aider à remplir la feuille d’impôt électroniquement alors qu’ils n’ont rien à payer. Cela s’applique aux employés qui, après avoir reçu un Overtime pendant un ou deux mois et qui a dépassé légèrement les revenus de Rs 390 000, se voient dans l’obligation de soumettre une feuille d’impôt, même si après les déductions ils n’ont rien à payer. Je pense que les Low Income Earners et les retraités ne devraient pas soumettre des feuilles d’impôt.
La MRA publie des statistiques pour annoncer qu’elle a reçu 250 000 Returns. Je mets cette instance au défi d’indiquer combien de contribuables ayant soumis leurs feuilles d’impôt sont taxables. Je vous assure qu’il y a moins de 50%.
Pourquoi donc forcer le reste à soumettre des feuilles d’impôt ? J’ai l’impression que la MRA n’a pas intérêt à le faire juste pour sa publicité et démontrer sa performance ou encore pour faire plaisir à ses supérieurs.
J’affirme donc que les déclarations des revenus peuvent être améliorées en mettant l’accent uniquement sur les contribuables potentiels et se concentrer sur les fraudeurs qui ne déclarent pas tous leurs revenus.
Faites-vous d’autres propositions dans votre livre ?
La structure administrative des impôts sur les revenus concernant ceux qui veulent contester les décisions de la MRA à leur encontre est trop lourde. Les structures existantes pour effectuer les évaluations des déclarations d’impôts des contribuables doivent être simplifiées ; elles sont dépassées et ne marchent pas comme il le faut. Elles découragent les employés de la MRA à effectuer leur travail convenablement.
Le résultat est que bon nombre de personnes soumettent des objections après s’être acquittées de 10% de leurs impôts sans qu’il y ait un suivi professionnel de leurs dossiers. Allez voir les montants des arrérages qui n’ont pas été payés au fil des années. Le montant est impressionnant.
L’administration de la MRA est-elle dépassée par les événements ?
À force d’exécuter tout ce que le ministère des Finances et d’autres institutions, dont l’Economic Development Board (EDB), lui demandent de faire, la MRA est débordée.
Si vous allez dans les locaux pour régler un problème fiscal vous ne savez pas à qui vous adresser parce que tout le monde est occupé avec les nombreuses allocations que la MRA doit traiter. Je me demande s’il ne faudrait pas créer une agence sous l’égide de la MRA qui s’installerait dans un local autre où siège cette autorité, et qui s’occuperait de toutes les questions ayant trait aux allocations les plus diverses sans affecter le travail de ceux focalisés sur les taxes.
Un autre dossier qui requiert l’attention des autorités est le Foreign Sources Revenue des Mauriciens qui ont des investissements et des affaires à l’étranger. Ces revenus sont imposables uniquement lorsqu’ils entrent à Maurice. La réaction naturelle est de ne pas orienter ces revenus vers Maurice. Est-ce que nous pouvons contribuer au développement de l’économie de cette façon ? Certainement pas. Il faut encourager les opérateurs à reconduire leurs revenus au pays.
Par ailleurs, il faut savoir que l’Income Tax frappe essentiellement les revenus, et non les capitaux. Nombre de ressortissants mauriciens disposent de sommes importantes dans des comptes bancaires à l’étranger. Il faut attendre que cet argent arrive à Maurice pour qu’il soit imposable.
Je crains qu’il ne soit jamais transféré à Maurice. Or, il se trouve qu’ils utilisent cet argent pour leurs dépenses à l’étranger ou pour financer les frais de séjours et d’études de leurs enfants à l’étranger sans avoir à payer des impôts à Maurice. Or, ceux qui disposent de leur argent à Maurice doivent de leur côté s’acquitter de leurs impôts. Nous sommes en présence d’un système qui favorise les gros capitalistes. Il faut donc revoir la Remittance Basis Charge.
Ainsi, si vous avez des revenus de l’étranger vous devriez payer la taxe – que vous les transfériez ou pas à Maurice. Ce serait une façon de contrôler les fraudeurs. Au moins les revenus seront déclarés. Il y a un travail à abattre à ce sujet. C’est une suggestion que je fais pour améliorer le système et traquer les fraudeurs.
Il y a, à mon avis, beaucoup d’améliorations à apporter à l’Income Tax Act. Je me souviens de l’équipe à laquelle je faisais partie avec le défunt M. Oozeer, qui avait travaillé sur l’Income Tax Act en 1995. Beaucoup d’amendements ont été apportés par la suite. Je suis convaincu que le Drafting peut être amélioré. Après plus de 30 ans, il est l’heure de rédiger une autre Income Tax Act. Il faut le moderniser et adopter une approche globale pour voir comment attirer les investisseurs sans leur imposer des fardeaux inutiles. Il faudrait un texte de loi simplifié.
Pour ce qui est de l’approche globale, vous consacrez tout un chapitre à la fiscalité internationale ?
Oui, j’ai beaucoup travaillé sur la fiscalité internationale. J’ai, d’ailleurs, publié un livre intitulé An Insight into Mauritius Tax Conventions où je passe en revue tous les traités de non-double imposition conclus par Maurice. Personnellement, j’ai été impliqué dans les négociations d’une soixantaine de traités et de Tax Information Exchange Agreement. J’ai aussi participé à la révision de certains traités lorsque cela s’avérait nécessaire. J’ai eu la chance de participer à plusieurs projets de l’OCDE et d’autres organisations internationales et régionales dont l’East African Community.
Le chapitre concernant la fiscalité internationale souligne que la mondialisation et le progrès technique ont donné un nouvel élan aux transactions transfrontalières. Dans le même temps, de nouvelles possibilités de fraude et d’évasion fiscale internationales ont été créées. L’évasion et la fraude fiscales internationales sont devenues un phénomène mondial qui n’épargne aucune juridiction. La nécessité d’un environnement fiscal mondial transparent et des conditions de concurrence équitables sont indispensables à la croissance économique. Pour résoudre un problème mondial, il est nécessaire de trouver une solution mondiale qui puisse être obtenue grâce à la coopération et à l’assistance internationales.
Les défis sont nombreux dans un monde en constante mutation. Parmi ces défis, figure la nécessité d’éliminer la double imposition sur la base de règles internationales convenues qui soient claires et prévisibles, la nécessité de promouvoir l’interaction de différentes règles fiscales créant une double non-imposition. Il y a également la prolifération de multinationales aux fonctions centralisées sur les plans régional ou international, l’essor du secteur des services et des produits numériques ainsi que la nécessité d’une planification fiscale agressive.
Le G20 et l’OCDE se sont lancés dans plusieurs projets fiscaux aux résultats prometteurs. J’évoque la participation de Maurice dans diverses initiatives internationales pour combattre la fraude et l’évasion fiscale à l’international. Les lecteurs trouveront aussi des détails concernant le Base Erosion and profit Shifting dont la mise en œuvre est suivie par l’OCDE.
J’espère que mes travaux contribueront à la formation des techniciens compétents qui seront à la base de tous les accords et conventions adoptés par la suite par des politiciens.
Jean Marc Poché