Alors Bonhomme Noël, vous venez de faire un long voyage en survolant une partie du monde pour venir à Maurice. Que se passe-t-il au niveau international ?
— La même chose que l’année dernière en pire. La Chine et les États-Unis continuent à se battre au niveau commercial en essayant de rallier des pays à leur cause. Malgré tous les grands sommets économiques internationaux où les « grands » de ce monde se font photographier en souriant, des centaines d’êtres humains vivent en dessous du seuil de pauvreté, d’autres ne mangent pas à leur faim et n’ont pas les moyens de se faire soigner s’ils sont malades, ce qui arrive souvent.
Votre analyse de la situation mondiale n’est pas réjouissante !
— Et encore, je n’ai fait que résumer rapidement la situation. Mais il n’y a pas que les problèmes économiques : il y a les guerres qui continuent aux quatre coins du monde, alors que les instances internationales censées gérer le monde sont impuissantes face aux vétos des uns et des autres. Ces guerres non seulement provoquent des morts, le plus souvent les civils et des enfants qui en sont les victimes collatérales, mais elles augmentent tous les autres problèmes que j’ai mentionnés. Comme je vous le disais l’année dernière, il existe de par le monde des millions d’enfants qui sont les victimes collatérales des guerres déclenchées et entretenues par les adultes. Ces enfants ont besoin d’eau, de nourriture et de médicaments, de sécurité, bref, de toutes conditions permettant de vivre normalement et qui n’existent pas dans leurs pays. Ou ce qui en reste !
Vous faites sûrement allusion à l’Ukraine et à la bande de Gaza…
— Ce qui en reste, c’est-à-dire pas grand-chose en ce qui concerne Gaza et avec beaucoup de dommages pour ce qui est de l’Ukraine. Pendant que les dirigeants des grands pays débattaient sur la signification du terme génocide — tout en fournissant des armes à Israël —, l’armée israélienne a rayé la bande de Gaza de la carte du monde avant de se diriger vers le Liban. Les autres pays en guerre sont plus nombreux qu’on ne le croit, ou qu’on veut le savoir, de par le monde. Certains pays sont passés maîtres dans l’art de ne pas voir certaines choses pour ne pas être obligés de prendre position, ce qui irait à l’encontre de leurs intérêts économiques ! Dans certains pays, les habitants sont forcés à l’exil pour essayer de sauver leurs vies. Imaginez ce qu’est le quotidien d’un enfant obligé de fuir sa maison, son village, son pays pour aller se réfugier dans des camps où il est parqué comme du bétail ! Imaginez la vie que mène un enfant réfugié rejeté de pays en pays en Europe et qui finit, au propre et au figuré, sur un bateau de fortune en Méditerranée ou dans la Manche, pour se faire expulser du ou des pays où il voulait se réfugier ! Imaginez l’existence des centaines de milliers d’enfants Rohingyas, cette population birmane de confession musulmane, qui a été obligée de fuir leur pays natal, chassés par des bouddhistes et l’armée pour se réfugier dans un des plus grands slums du monde au Bangladesh. Comment croire en des termes comme justice, démocratie, fraternité, partage et solidarité quand on vit, quand on survit dans ces conditions ? Pour ces millions d’enfants de par le monde, il n’y a pas de Noël. Sans intention de casser l’ambiance de fête qui règne à Maurice après le paiement du 14e mois, j’espère qu’on aura une pensée pour ces enfants privés de tout au moment d’ouvrir, mardi, les cadeaux que j’aurais mis dans les petits souliers, comme dit la chanson !
Vous avez entendu parler du 14e dans votre Laponie, située à l’autre bout du monde ?
— Vous le savez aussi bien que moi : avec les avancées technologiques, le monde est devenu un tout petit village où tout se sait. Je me suis mis à l’internet pour rester en contact avec mon public, qui m’envoie autant de lettres que d’emails et de SMS. À tel point que j’ai dû faire télécharger des applications pour traduire en langage compréhensible certains SMS. Car la façon de parler, d’écrire et surtout de résumer évolue avec une grande rapidité, et j’avoue que je suis souvent perdu avec les abréviations ou les nouveaux mots inventés, surtout dans les SMS. Mais heureusement qu’il y à ces applications qui permettent de les déchiffrer. Oui, j’ai entendu parler, depuis des semaines, du 14e mois par ceux qui l’espéraient sans trop y croire, jusqu’à ce qu’il devienne une promesse électorale par les deux grandes alliances politiques.
Est-ce que, selon vous…
— Ne me demandez pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose pour votre pays. Ce sont ceux qui le dirigent désormais et qui ont décidé de le faire payer qui doivent répondre à cette question. C’est à eux de savoir si une promesse électorale est plus importante que redresser l’économie nationale. Tout ce que je peux vous dire, c’est que les membres du troisième âge semblent ravis et se sont rués comme une armée pour prendre d’assaut les magasins et acheter les cadeaux. En tout cas, si le nouveau gouvernement fait comme le précédent, il n’y a plus d’avenir pour moi ici. Il a joué au Bonhomme Noël toute l’année et quand moi j’arrive le 24 décembre avec mes jouets et mes joujoux, on me remarque à peine !
Ce n’est pas vrai et je ne pense pas que le nouveau gouvernement aura les moyens de jouer au Bonhomme Noël l’année prochaine. Pourquoi vous dites que votre image est exploitée ?
— Parce que c’est le cas ! Mon image est utilisée partout dans le monde pour toutes sortes d’opérations commerciales et elle est tirée à des millions d’exemplaires. On me dit que la BoM et la MIC ont fait pareil chez vous. Elles n’ont fait qu’imprimer des billets de banque pour donner l’impression aux Mauriciens que le pays était prospère, alors qu’elles n’ont fait qu’augmenter la dette du pays.
C’est exactement ce qui s’est passé. On est en train d’ouvrir des enquêtes sur tout ça…
— On invente toutes sortes d’applications pour utiliser mon image à l’insu de mon propre gré. Il paraît qu’on ait mis au point une application qui permette de chatter avec le Père Noel.
Vous devriez être content. C’est une manière d’utiliser les nouvelles technologies pour permettre à un plus grand nombre d’enfants, petits et grands, de dialoguer avec vous…
— Maintenant, on ne dit plus dialogue ou conversation, mais chat. Vous voyez que je suis l’évolution technologique. Je ne suis pas content parce que je ne suis pas concerné ! Ce n’est pas à moi que les enfants, petits et grands, vont parler, mais avec une machine créée par l’Intelligence Artificielle ! Franchement, je crois qu’il est temps de réfléchir à ma retraite !
Arrêtez de grogner ! Vous savez bien que malgré les prouesses technologiques, vous êtes irremplaçable pour des millions de personnes à travers le monde. Quelles sont les demandes originales que vous avez reçues cette année de Maurice ?
— En fin de compte, c’est ça qui vous intéresse, pas ce que je ressens face à ce monde qui m’exploite.
O Mais pas du tout. Est-ce que celui qui signait N vous a écrit cette année ?
— Il m’écrivait tous les ans depuis des années pour me demander d’exaucer son souhait de retrouver le poste qu’il avait perdu en 2014. Cette année, sa lettre a changé. Il a eu recours à une phrase de la mère de Napoléon, quand ce dernier a été sacré empereur : pourvu que ça dure. Votre N a ajouté : pourvu que ça dure cinq ans et que Ton Polo ne m’oblige pas à le révoquer à cause de son bezer karakter, ce qui provoquerait la cassure que beaucoup attendent. Mais d’après le ton de sa lettre, je pense qu’il va tout faire pour éviter une cassure du gouvernement et de l’alliance.
D’après ce qu’on dit, si jamais Ton Polo provoque une cassure, il partira tout seul. Est-ce qu’il vous a écrit, lui ?
— Oui. Avant il rêvait de devenir un Vaish pour pourvoir prendre le pouvoir, mais on dirait qu’il ait changé. Cette année il avait commencé par dire que les élections étaient derrière la porte et que, marke-garde, il allait les remporter. Puis, il a envoyé un deuxième message pour dire que l’alliance avait balie karo, qu’il admirait Navin et était satisfait d’avoir un ministère sans portefeuille qui va lui permettre d’expliquer aux autres ministres comment il faut faire, dire et se comporter. Puisqu’il n’a rien demandé, il doit avoir obtenu tout ce dont il rêvait.
Pas de demandes des nouveaux ministres ?
— Il y a eu une demande annulée. Certains nouveaux ministres avaient souhaité avoir, comme cadeau de Noël, une plaque d’immatriculation personnalisée avec leurs initiales pour leurs voitures de fonction. Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais ils ont subitement annulé la demande.
Vous n’avez pas eu de demande de Rezistans ek Alternativ ?
— Non, et ça ne m’étonne pas parce, d’après ce que je comprends, c’est un parti socialiste pur et dur qui ne doit pas célébrer Noël. Encore que ce soit le cas dans tous les pays autrefois socialistes comme Cuba. Mais les choses évoluent : qui aurait pensé, il y a seulement quelques années, qu’un parti socialiste pur et dur aurait fait partie d’un gouvernement regroupant toutes sortes de sensibilités politiques, parfois antagonistes ?
Cette année, vous avez eu des demandes de Roshi et de Nandkumar ?
— Vous voulez dire de ces deux qui étaient sûrs et certains de devenir le prochain Premier ministre de Maurice ? J’ai appris qu’ils s’étaient finalement associés pour partager le poste et qu’ils ont été tous les deux balayés aux élections et que depuis ils se sont séparés. Cependant, ils n’ont pas changé d’avis : les deux m’ont demandé, séparément, de mettre leur souhait de devenir Premier ministre en stand-by jusqu’à 2029.
J’ai été surpris de ne pas avoir de requête du commissaire de police cette année. Il a pu régler les problèmes de son fils ?
— Je ne crois pas. Il a démissionné du poste de commissaire de police et on vient de découvrir qu’il a engagé des hommes de loi du privé pour ses procès pour la somme de Rs 14 millions ! Mais je sais pourquoi il ne vous a rien demandé cette année puisqu’il a eu son cadeau bien avant Noël : une Porsche de la force policière qu’il a payée seulement Rs 415 000 ! Dans mon courrier, j’ai reçu une lettre un peu bizarre d’un quelqu’un qui signe J.G.
Pourquoi dites-vous que cette lettre est bizarre ?
— Parce que celui qui l’envoie ne demande pas de cadeau, mais de l’aide psychologique pour l’aider à redevenir ce qu’il était. Cette personne écrit il faut l’aider à se rendre compte qu’il n’est pas un King Maker, que ce n’est pas à lui de choisir et de faire campagne pour les candidats à une élection en les prenant dans une catégorie socioculturelle précise. Il me demande de l’aider à retrouver son humilité, de perdre son arrogance et de ne plus mélanger politique et religion, et politique et chansons pour essayer de faire de la manipulation. Vous avez une idée de qui c’est ?
Oui. Comme on dit chez nous, on dirait que c’est enn perdi bann. Il faudrait faire des prières pour qu’il retrouve le bon chemin. Quelles sont les autres demandes sortant de l’ordinaire que vous avez encore reçues ?
— Il y a aussi cette lettre de votre ancien Premier ministre dont je ne comprends pas bien le contenu.
Que dit-il dans sa lettre ?
— Kifer tou sala finn arive ? Kisannla finn fer mwa fote ? Avant de se demander si tout ce qui est arrivé, n’est pas arrivé parce qu’il a trop écouté Kobi. Qui c’est cette Kobi ?
C’est sa femme, mais elle a plusieurs autres nicknames, dont Madam-la…
— Madam-la… j’ai vu ça quelque part. Ce n’est pas elle-même qui donnait des ordres à la MBC ?
Pourquoi vous me demandez ça ?
— Parce que j’ai reçu une lettre signée du DG révoqué. La personne qui l’a envoyée se présente comme honnête et que, malgré tout ce qu’ont pu dire sur lui — surtout les employés qui ont viré de bord au lendemain des élections —, il est un bon garçon qui fait toutes les prières qu’il faut avec ses amis dévots. Il dit qu’il ne doit pas payer pour les autres et que pour le journal télévisé et les programmes d’informations, il n’a fait qu’obéir aux ordres de Madam-la. Qui c’est cette Madam-la ?
Ou pa kon kisannla madam-la ?! Ayo, excusez-moi, je pensais que je causais avec un Mauricien. Madam-là c’est Kobi, comme son mari la surnomme, ou Lady Macbeth, comme l’appellent les autres qui ont été obligés de suivre ses ordres…
— Mais comment est-ce que cette Kobi pouvait donner des ordres à tout le monde ? C’était un ministre ?
Non. Elle n’était que la femme de l’ex-Premier ministre, mais avec sa clique, qu’on appelait Lakwizinn, elle contrôlait tout dans le pays…
— Mais on dirait qu’elle était un peu partout et qu’aujourd’hui on veut effacer ses traces. J’ai eu pas mal de lettres me demandant de trouver comme cadeau un programme électronique pour effacer les photos sur les réseaux sociaux. Ce sont les photos de la fameuse Kobi qu’on veut faire effacer ?
Il y a pas mal de personnes qui se sont fait photographier avec Kobi et son mari, et qui veulent effacer ces photos-là de leurs comptes. Elles prétendent qu’elles veulent faire de la place pour les photos qu’elles vont maintenant faire avec Navin et son épouse, Veena. Mais en réalité, c’est pour faire oublier qu’elles ont posé avec Kobi et son mari !
— Ce ne sont pas ces personnes qui changent de camp politique plus vite que Lucky Luke et qu’on appelle carapates chez vous ?
Ah, là vous êtes en retard Père Noël. Aujourd’hui on n’appelle plus ces personnes les carapates qui ont changé de chien, mais les chatwas qui ont viré. Ça veut dire la même chose en plus insultant !
— Plus ça change… ! J’ai remarqué une affaire curieuse dans mon courrier. Votre ex et votre nouveau Premier ministre ont fait la même demande : le premier avant les élections, l’autre juste après. Ils me demandent tous les deux de faire que les Anglais arrivent à convaincre les Américains de payer l’argent de la location de Diego Garcia.
O Pensez-vous que vous allez pouvoir satisfaire cette demande, Père Noël ?
— Ça va être très compliqué. Mari compliqué même, comme on dit chez vous. D’abord, en Angleterre, ils changent tout le temps de Premier ministre, et il paraît que les Anglais ne sont pas d’accord que l’actuel Premier ministre travailliste a dit qu’il allait rendre Diego Garcia à Maurice. Il ne faut pas oublier que les Anglais ont encore la nostalgie du colonialisme et sont attachés au bout de ce qui reste encore de leur défunt Empire, sur lequel le soleil ne se couchait jamais ! Du côté des Américains, c’est plus compliqué encore avec un Donald Trump réélu qui n’a qu’une idée en tête : casser toutes les décisions prises par l’administration Biden. Comme je vois les choses, ce n’est pas dans les prochains mois que Maurice va commencer à toucher la location de Diego Garcia. Mais si votre pays est dans si une mauvaise situation économique, pourquoi ne pas faire appel à l’Inde, qui est le grand frère de Maurice ?
Ça c’est ce que répétait tout le temps l’ex-Premier ministre, ses ministres et ses courtisans. Ils disaient que l’Inde ne laisserait jamais tomber le gouvernement de son petit frère. Le problème, c’est que Kobi a fait des commentaires désobligeants sur l’ambassadrice de l’Inde à Maurice…
— Mais elle intervenait dans tous les domaines cette Kobi-là ! On a parlé de la MBC, maintenant des relations diplomatiques. On aurait pu avoir l’impression que c’était elle le véritable Premier ministre de Maurice !
Il se chuchotait que Kobi faisait son mari avec le Premier ministre. En tout cas, c’est ce que beaucoup disaient à voix basse avant les élections. Maintenant on dit haut et fort que c’est à cause d’elle et de ses interventions — parfois avec des propos racistes — dans tous les domaines que son mari finn gagn enn bate bef aux dernières élections…
— Qu’est-ce que ça veut dire enn bate bef ?
Qu’il n’a pas pu faire élire un seul de ses 60 candidats et que lui-même a été battu dans sa circonscription par des nouveaux venus, alors qu’il avait été élu en tête de liste deux fois de suite. Il a tout perdu à cause de sa femme…
— Vous avez raison. Dans sa première lettre il pose la question suivante : Eski se akoz Kobi ki mo finn tom dan karo kann kouma mo papa ti predir ? On dit que derrière tout grand homme il y a une femme. On dirait que dans ce cas précis c’était loin d’être le cas ! Je suppose qu’après ce qu’elle a dit sur l’ambassadrice et depuis les élections, l’Inde a changé de petit frère mauricien !
Pas après les élections Père Noël ! Avant même la proclamation des résultats, le Premier ministre indien avait fini de téléphoner au nouveau Premier ministre mauricien pour le féliciter.
— Je comprends maintenant pourquoi on dit que dans les relations diplomatiques, il n’y a pas d’amitiés éternelles entre les dirigeants, mais que seulement les intérêts permanents des pays !
Dans votre bilan international, vous n’avez rien dit sur ce qui se passe en France…
— Parce qu’il se passe tellement de choses contradictoires là-bas ! Dites-vous qu’avec les initiatives de son président actuel, la France est en train de ressembler à une de ses anciennes colonies qui fonctionnaient comme une République bananière ! Le président Macron, qui donne des leçons de démocratie au monde entier, se permet de ne pas respecter le vote des Français pour choisir qui il veut comme Premier ministre pour former un gouvernement selon ses envies. Résultat : depuis le début de cette année, la France a changé je ne sais combien de fois de Premier ministre et il est actuellement sans gouvernement ! Et cerise, sur le gâteau de cette dérive, l’ancien président Sarkozy vient d’être condamné pour corruption à porter un bracelet électronique
On dit à Maurice que quand toutes les enquêtes auront été faites sur les décisions prises par le précédent gouvernement, il y aura tellement de procès et de condamnations qu’il n’y aura pas assez de places dans les prisons mauriciennes. Les bracelets électroniques pourraient être une solution efficace !
— Si je vous ai bien compris, vous êtes en train de me conseiller d’offrir comme cadeau de Noël aux nominés du gouvernement précédent des bracelets électroniques ?
Ça même ! Vous devriez les offrir comme cadeau de Noël aux présidents et membres de conseils d’administration des institutions du gouvernement qui auront à justifier certaines décisions, certaines dépenses, certaines disparitions de fonds publics, certaines nominations de grands copains et de petites copines, et autres passe-droits. Ils doivent commencer à s’habituer à porter un bracelet électronique !