Notre invité de ce dimanche est le nouvel Attorney Genaral, Me Gavin Glover. L’interview que vous allez lire a été réalisée jeudi dernier.
Qu’est-ce qui a poussé le tenor du barreau à quitter son cabinet pour accepter un poste de ministre très mal payé en comparaison ?
— C’est un peu à cause de mon père, qui est entré dans le service civil en 1962 avec l’ambition de devenir un jour Chef Juge et aussi pour avoir un salaire fixe pour nourrir sa famille. Mon père a toujours travaillé pour le pays à tel point que quand il atteint l’âge de la retraite comme Chef juge, il est embauché par l’Attorney Office pour aider à la rédaction des lois et restera en poste, malgré les changements de gouvernements, jusqu’à quelque mois avant son décès. J’ai accepté ce poste parce que je crois que je pouvais mettre à la disposition de mon pays les compétences acquises pendant 40 ans au barreau dans le privé où j’au vu et appris beaucoup de choses, et je pense qu’il y a beaucoup de choses à changer. Je me suis dit qu’à la veille de mes 63 ans, c’était le moment de passer quelques années au bureau de l’Attorney General.
C’était une décision facile à prendre ?
— C’est d’abord une question qui est évoquée pour la première fois en 2015, comme une boutade, quand Navin Ramgoolam, mon client, est arrêté et conduit aux Casernes centrales où l’Attorney General d’alors, Ravi Yerigadoo, fait une incursion. Au grand dam des avocats présents. Mon client me demande ce qu’il fait là et je lui explique que ce sont des choses qui arrivent quand l’Attorney General est membre actif d’un parti politique et oublie la neutralité dont on devrait faire preuve. Ramgoolam me dit alors : « Kan mo pou retourne au pouvoir, mo pou nomm toi Attorney General. » Par la suite, il est déterminé, moi pas décidé, et puis quelques semaines avant les élections, il me fait la proposition et je l’accepte.
Quelle est la fonction de l’Attorney General : c’est le défenseur et porte-parole légal du gouvernement ?
— C’est très important à souligner : il n’est pas le porte-parole du gouvernement, il doit avoir un droit de réserve parce qu’il doit donner des conseils légaux à ses collègues ministres et au gouvernement. Il est le chief legal adviser du gouvernement. Je suis au sommet de la pyramide qu’on appelle le State Law Office, qui est administré par le Sollicitor, M. Ramloll, et qui comprend également le bureau du Directeur des Poursuites Publiques (DPP) qui – comme son précédent directeur Satyajit Boolell l’a souligné à maintes reprises avec raison – doit fonctionner en toute indépendance. J’ai toujours pensé qu’il faut respecter l’indépendance du bureau du DPP.
Vous n’êtes pas politique tout en ayant été nommé politiquement !
— Non seulement j’ai été nommé politiquement, mais j’ai des atomes crochus avec le Premier ministre et je suis d’accord avec ce qu’il veut faire dans le domaine qui me concerne.
Est-ce qu’il y beaucoup de changements dans les lois concernant l’administration, la bonne administration de la justice, à venir ?
— Il y a beaucoup de lois qui devront être changées, de nouvelles qui seront introduites. Le discours programme mettra en exergue toutes les lois qui seront présentées au Parlement.
Je pense ne rien vous apprendre en disant que le Mauricien a de moins en moins confiance dans le judiciaire et pense que la justice fonctionne à deux vitesses, une rapide pour les privilégiés, l’autre lente pour le commun des mortels. Comment allez-vous faire pour redonner confiance dans la justice ?
— Il faut que la justice soit plus accessible au citoyen. Exemple, le legal aid, dont il faut revoir les conditions puisqu’avec les augmentations, personne n’y aura accès puisque le plafond est de Rs 15,000. Il faut revoir tout l’aspect judicial review, parce qu’il y a des décisions et des règlements administratifs qui retardent les procédures en affectant les droits des citoyens. Le processus existant est une copie de ce qui se faisait en Grande Bretagne et qui a été remplacé depuis des années. La Chef Juge avec qui j’en ai discuté est entièrement d’accord avec moi pour revoir cette loi qui permet au citoyen qui n’est pas d’accord avec une décision qui l’affecte d’avoir accès à la justice. Il faut réduire les complications et les délais que prend aujourd’hui cette procédure.
Vous avez déclaré vouloir faire avancer quelques réformes indispensables au meilleur fonctionnement de la machinerie du judiciaire. Pour ce faire, il faut revoir l’ensemble du système, ses structures, ses infrastructures, et recruter du personnel additionnel. Est-ce que vous avez les moyens financiers de vos ambitions ?
— Comme l’a dit le vice-PM au Parlement, mardi dernier, nous allons nous tourner vers des pays amis traditionnels pour nous donner un coup de main. Ce matin, j’ai reçu le président de la Chambre des Notaires qui m’a fait part du fait que le gouvernement français et la Chambre des Notaires de France étaient prêts à nous aider à moderniser tout le système notarial. Le président m’a informé qu’il était en train de préparer une ébauche des amendements au Notary Act qui seront soumis en janvier, pour régler le problème de certaines brebis galeuses de sa profession qui exercent encore. Je vais également en parler aux avoués et aux avocats, mais il faut absolument qu’il y ait un système indépendant pour remettre de l’ordre dans ces professions et, surtout, que des décisions soient prises. On ne peut attendre des mois et des mois pour qu’une complainte faite par un citoyen contre un professionnel soit étudié ! C’est à ce niveau que naît le sentiment que la justice fonctionne à deux vitesses et on commence à dire que l’homme de loi a des connections, des protections…
…Ce qui n’est pas forcément faux !
— Ce sont des choses qui ne sont pas avérées, mais vous ne pouvez pas empêcher le citoyen qui n’a pas accès à la bonne information, de supputer que les choses se passent ainsi. Il faut mettre en place des institutions et des processus qui fonctionnent de manière claire, nette et précise avec des paramètres dans lesquels non seulement les avoués et avocats travailleront, mais aussi ceux qui jugeront. Exemple, dans le judicial review, il y a un processus de filtrage qui, aujourd’hui, peut prendre une année et demie, ce qui est inacceptable ! Ce processus doit fonctionner au premier niveau dans un temps limite.
Vous n’avez pas répondu avec précision à ma question sur le manque d’infrastructures, d’équipements, de personnels et de moyens financiers.
— Je pense qu’il y a trois choses à prendre en considération. Premièrement, l’infrastructure. Le personnel de justice est plus performant quand il travaille dans un bon environnement. La preuve : la nouvelle Cour suprême qui marche mieux que l’ancienne parce que les juges et le personnel ont plus d’espace, les Cours sont aérées, etc. Il faut répliquer ce modèle pour la Cour intermédiaire, la Cour industrielle et les Cours de district. Deuxième chose, l’approvisionnement du labour force. Il y a quelque temps, on a fait un recrutement de courts officers. Au départ, il y en avait 30 et il n’en restait que 10, trois semaines plus tard. Parce qu’il y a une différence entre le civil servant au bas de l’échelle et un court officer. Ce dernier doit connaître beaucoup plus de choses qu’un simple clerk, travailler sur plusieurs dossiers dans différents domaines, et il devrait avoir un statut de professionnel. Ce qui n’est pas le cas. Je pense que la structure de l’administration des Cours de justice ne marche pas comme il le faudrait. Ce ne sont pas ceux qui l’administrent qui ne sont pas bons, c’est le système qui est dépassé. Il ressemble à ces maisons où on a ajouté des pièces au fur et à mesure, et qui finissent par ne plus être fonctionnelles avec quatre couloirs ! Le troisième point concerne les processdings. Il est inacceptable qu’on ne puisse pas avoir une transcription des affaires dans un temps raisonnable, alors que les logiciels permettant de le faire existent !
Pourquoi est-ce que ces logiciels ne sont pas achetés et utilisés ?
— Premièrement, parce qu’il n’y a pas eu une volonté politique adéquate pour les investissements qu’il fallait. Et puis, on ne peut pas demander aux juges et aux magistrats – qui sont des professionnels du droit de plus en plus spécialisés – d’être des administrateurs. Il faut qu’il y ait des professionnels qui rendent la justice et des administrateurs qui s’occupent de l’administration. Je pense qu’il y a suffisamment de personnel si la division du travail des uns et des autres est bien faite, alors que, pour le moment, tout le monde fait un peu de tout.
En fin de compte, votre idée principale c’est de professionnaliser la justice ?
— Oui. Je ne pense pas qu’après qu’un juge ait fait trois ans à la Cour commerciale et soit devenu expert dans ce domaine, il soit envoyé au family court juste pour respecter le principe du transfert à intervalles réguliers. Franchement, je ne comprends pas cette logique !
Est-ce que vous pensez que le profession, surtout ceux qui ont leurs petites habitudes, vous suivront dans votre projet de modernisation de la justice ?
— Bien sûr qu’il y aura des gens qui ne voudront pas bouger les choses. Ca fait 40 ans que je suis dans la profession où j’ai fait mon petit nid en sachant ce que je dois faire et ne pas faire. Je dérangerai certains, mais in fine, il faut faire des sacrifices sur ce qu’on fait tous les jours pour que la justice soit mieux rendue.
Je reviens sur les moyens financiers pour moderniser le système et plus particulièrement sur les salaires dans le judiciaire.
— Quand je vois la grille des salaires du service, je comprends qu’on puisse perdre des talents ! Des seniors magistrates et d’autres employés très compétents quittent le secteur public pour le privé qui leur offre de meilleures conditions. Nous n’avons pas les moyens d’augmenter notre budget overnight et nous allons le faire progressivement. Pour l’instant, nous allons faire ce qui est possible sans que ça nous coûte grand chose. Premièrement, mettre en place certaines lois qui aideront à faire les choses bouger plus vite. Deuxièmement, changer des choses qui peuvent l’être. Exemple : au pénal, un citoyen est trouvé coupable, mais il n’est pas d’accord et veut faire appel. Son dossier n’est pas encore arrivé au district clerk et il doit revenir le lendemain, tandis que le délai d’appel commence. Quand il revient, on lui demande une lettre d’un avocat pour lui remettre son dossier. Il va trouver un avocat qui lui demande généralement de payer pour écrire la lettre. Entre la Cour et l’avocat, les jours passent et le délai d’appel diminue. Arrivé au 14ème jour, l’avocat lui dit qu’il n’a pas seulement besoin d’une copie du jugement, mais du transcript de ce qui s’est dit en Cour. Fatiguée, énervée, la personne finit par abandonner en disant que finalement, la justice fonctionne à deux vitesses. L’histoire que je viens de vous raconter arrive régulièrement alors que, selon la loi, une personne condamnée doit disposer d’une copie du jugement le même jour.
Quand est-ce que la modernisation de ce processus entrera en pratique ?
— J’ai demandé que ce soit fait tout de suite et j’espère que c’est déjà en pratique.
Est-ce que vous vous rendez compte que vous êtes en train de bousculer, pour ne pas dire de révolutionner, près d’un demi-siècle de mauvaises pratiques ?
— Je ne veux pas utiliser le terme mauvaises pratiques. Dans les années 1980, on n’avait pas besoin d’un système pareil parce qu’il n’y avait pas autant d’affaires et les clerks n’étaient pas aussi bousculés. Aujourd’hui, si on fait un recensement des machines à photocopier dans les Cours de districts, je suis sûr qu’on découvrira que la moitié ne marche pas ! Il faut investir dans des méthodes – avec le matériel qui va avec – qui puissent faire respecter les droits des citoyens.
Vous croyez que ça sera facile de bouger ce système administratif ou le citoyen qui essaye d’y recourir doit vivre une aventure, pour ne pas dire un cauchemar ?
— Il faudra, évidemment, de la bonne volonté pour faire bouger les choses. Je pense que je pourrai compter sur les juges, les magistrats, mais aussi les officiers de justice avec qui j’ai travaillé pendant des années. Je suis convaincu que tous les courts officers veulent eux aussi travailler mieux et satisfaire les citoyens qui ont recours à la justice.
Votre prédécesseur avait choisi de soutenir l’ex-Commissaire de Police dans son procès contre le DPP ? Allez-vous poursuivre dans la même voie ?
— La direction que je vais prendre dans cette affaire est très simple. Je trouve absolument aberrant cette action en Cour, quelles qu’aient été les motifs du Commissaire de police d’alors. Je suis extrêmement déçu que cette action ait été portée en Cour, en portant un rude coup à notre démocratie et à nos institutions. Le système de séparation de pouvoirs entre le CP et le DPP a très bien marché depuis l’Indépendance parce qu’on avait à la tête de ces institutions des gens qui savaient où s’arrêtaient leurs prérogatives et où commençaient celles de autres. Nous allons faire ce qu’il faut pour que les choses soient claires dans cette affaire, et quand elles le seront il n’y aura plus nécessité qu’elle continue en Cour.
Est-ce qu’il n’y a pas abus dans l’utilisation des provisionnal charges, surtout quand les affaires concernent des opposants politiques ?
— C’est pour cette raison qu’il faut avoir des checks and balances. Étant donné que c’est la prérogative du Commissaire de police et de ses officiers d’initier ces provisionnal charges devant le magistrat, il faut avoir le contre-pouvoir représenté par le DPP, comme cela a toujours été le cas.
Le recours de l’ex-CP à des hommes de loi du privé a provoqué pas mal de réactions.
— Tout a commencé quand les dirigeants de l’ancien gouvernement, n’aimant pas les conseils légaux du bureau de l’Attorney General, ont fait appel à des avocats du privé en leur disant ce qu’il fallait faire et en les payant grassement. Tous les ans, les chefs juges disent aux nouveaux membres du barreau : You shall never be the mouth piece of your client. C’est central à notre profession pour garder notre indépendance. Ce n’est pas ce que les avocats du privé de l’ex-CP ont fait. Et ça c’est un gros manquement…
… qui sera sanctionné ?
— Dans l’état actuel des choses, probablement pas ! Mais quand le Law Practitionners Disciplinary Bill deviendra loi, les choses deviendront plus difficiles pour ceux qui seront en infraction du code de déontologie.
La Mauricien a découvert avec stupeur l’état de l’économie de son pays grâce au document présenté au Parlement. Il a découvert que des soi disant responsables placés à la tête d’entreprises étatiques ont autorisé et, peut-être même, participé au pillage des fonds publics. Est-ce que tous ces membres des conseils d’administration qui ont autorisé ce que certains qualifient de vols caractérisés devront assumer leurs responsabilités ou démissionner en disant Bye Bye Charly !?
— Ce que vous dites, je l’entends dans tout le pays, et je le résume ainsi : qu’est-ce qu’on attend pour les arrêter !? Un des principes fondamentaux sur lequel Navin Ramgoolam et moi nous nous sommes accordés avant que j’accepte le job d’Attorney General était qu’on n’allait pas faire comme nos prédécesseurs. On ne mettra pas onze charges contre l’ex-PM juste pour un gain politique. Quand Pravind Jugnauth est parti en vacances, il a eu droit au même traitement que tous les anciens Premiers ministres, ce que certains n’ont pas compris. Le jour où les institutions d’investigation comme la police et la FCC auront des éléments, je suis sûr qu’elles prendront les dispositions qu’il faut. Pour que ces institutions obtiennent ces éléments, elles doivent faire des enquêtes. En ce qui concerne le CEB, par exemple, où there is something really bad, il faudra que sa direction rapporte l’affaire à la police ou la FCC et, à partir de là, des enquêtes seront ouvertes et ceux qui pourraient avoir à répondre, seront interrogés.
Mais dans le cas du CEB, comme dans d’autres institutions, d’ailleurs, c’est le board et la direction qui ont approuvé les mesures. Ils sont parties prenantes de ces affaires.
— Probablement. Nous avons le cas d’une institution statutaire dont le conseil d’administration a délégué tous les pouvoirs à son président. Ce dernier a pris toutes sortes de décisions qui sont totalement illégales : embaucher, licencier, etc. Et ces décisions ont été ratifiées par les cinq membres du conseil d’administration. Ce ne sera pas Bye Bye Charly, mais il faudra faire ce qu’il faut pour que ceux qui pourraient être désignés comme coupables soient traduits devant les institutions adéquates.
C’est dans ce même cadre du respect des procédures que l’ex-Gouverneur de la Banque de Maurice sera, ou a été, arrêté à son retour à Maurice ?
— C’est une décision qui appartient à la police qui l’a prise dans le cadre d’une enquête qu’elle est en train de mener. Si le Commissaire de police a trouvé nécessaire que M. Seegoolam soit amené manu militari aux Casernes centrales à sa descente d’avion pour interrogatoire, il doit avoir ses raisons. Il faut que les Mauriciens se rendent compte que ce gouvernement a été élu sur un mandat de propreté et de transparence. Je sais que certains veulent du sang, but we are going to give them blood at any cost !
Votre prédécesseur avait soutenu le renouvellement des cartes de téléphone qui avait déclenché un grand mouvement de protestation. Que va-t-il se passer dans cette affaire qui est en Cour ?
–Je pense que le ministre concerné apportera des amendements à la loi assez rapidement et que les affaires qui sont en Cour ne continueront pas.
Que souhaitez-vous dire pour terminer cette interview ?
— Que je ne vais pas me faire beaucoup d’amis après sa publication ! Il faudra que je mette un peu d’eau dans mon vin, afin que je ne sois pas trop abrasif, comme quand j’étais dans le privé. Aujourd’hui, je fais partie d’une collégialité et mes paramètres ne sont plus les mêmes. Je voudrais aussi dire que j’ai été très surpris et très content de l’accueil qu’on m’a réservé au bureau de l’Attorney General.
Est-ce que cette nomination à un ministère pourrait être un pas vers la politique active après ?
— Non. Quand je me suis marié le 2 septembre 1988, j’ai promis à ma femme de ne jamais faire de la politique active. Je tiens cette promesse.