Rajen Narsinghen : « Les universitaires doivent avoir le droit de faire de la politique »

Ancien Senior Lecturer et ex-Dean of Faculty à l’université de Maurice, Rajen Narsinghen, également connu comme constitutionnaliste, a pris sa retraite anticipée en début d’année. Dans cet entretien, le nouveau Junior Minister des Affaires étrangères, de l’Intégration régionale et du Commerce international, revient sur ce qui l’a poussé à prendre la porte, tout en maintenant que « les universitaires doivent avoir le droit de faire de la politique sans faire de diffamation bien entendu, sans basculer dans la démagogie ».
Le nouveau député se réjouit de voir un Parlement où des backbenchers posent des questions pertinentes et se comportent comme de vrais British Backbenchers. « Soutenir le gouvernement ne veut pas dire être un Follower », dit-il. Aux Affaires étrangères, il se sent parfaitement à l’aise avec son ami et collaborateur de longue date, le ministre Ritesh Ramful, et entend avec ce dernier, sans empiéter sur son rôle de ministre, redresser la barre du pays sur le plan international.

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Vous étiez jusqu’ici surtout connu comme Senior Lecturer et chef de la faculté de droit et de gestion à l’université de Maurice. Vous avez souvent fait entendre votre voix sur des sujets brûlants, dont des sujets politiques, et des critiques envers le gouvernement d’alors, ce qui vous a d’ailleurs valu d’être convoqué devant un comité disciplinaire à l’université. Vous avez finalement décidé de prendre votre retraite anticipée en début d’année. Aujourd’hui, vous êtes Junior Minister des Affaires étrangères, de l’Intégration régionale et du Commerce international. Votre retraite anticipée, c’était pour vous lancer pleinement dans la politique ?
Je pense que c’est la première fois qu’un chargé de cours est amené à prendre la porte. Ma démission se situait entre les deux : une retraite anticipée mais en même une sorte d’éviction sous contrainte. J’ai dû prendre une décision à la lumière du comité disciplinaire. Je ne voulais par ailleurs pas prendre de risques d’éviction.
D’anciens chargés de cours comme Vidula Nababsing, Dharam Gokhool, l’actuel président de la république, Tania Diolle ont fait de la politique active bien plus que moi. Moi, je n’étais pas dans un parti politique. J’étais davantage un activiste social et je donnais mes idées à des partis politiques comme le MMM et le PTr. Mais je n’étais pas engagé en tant que membre d’un parti politique.
Certes, j’aurais pu aller en Cour pour me défendre et récupérer de l’argent, mais ce n’est pas cela qui me motive dans la vie. C’est davantage une question de principe pour éviter, d’après les on-dit, le risque d’être congédié. J’ai préféré éviter cela et couper court à ce comité disciplinaire.
J’espère que le présent gouvernement fera le nécessaire pour changer la nature de ce comité disciplinaire. C’est le patron dans le secteur privé et le secteur public qui choisit les membres, mais moi je pense qu’il faut opter pour le modèle français où l’employeur et le syndicat choisissent les membres, ce qui fait que ce n’est pas biaisé en faveur de l’employeur. Ce n’est pas seulement un problème qui m’a concerné mais que nous devons y remédier à moyen terme à Maurice.

Vous avez beaucoup milité pour la liberté de pensée quand vous étiez chargé de cours à l’université. À présent que vous êtes membre du gouvernement, êtes-vous toujours pour la liberté de pensée et la Freedom of Information Act ?
Oui, déjà nous interdisions aux fonctionnaires de parler. Là, c’est plus ou moins correct. D’autres personnes dans les corps para-étatiques doivent avoir l’occasion de faire de la politique active. Elles doivent peut-être prendre un congé, mais les universitaires à travers le monde ont ce droit de faire de la politique.
Moi, à l’intérieur, je vais militer toujours pour ce droit des universitaires de faire de la politique sans faire de diffamation bien entendu, sans basculer dans la démagogie. Il faut pouvoir faire de la politique au sens large. Moi, je pense que si quelqu’un veut être politicien, il peut prendre un congé sabbatique, il pose sa candidature et peut retourner après.
Ce n’est pas parce que je fais partie du gouvernement maintenant que je changerai de langage. Je maintiens que les universitaires doivent avoir le droit de faire de la politique, sous certaines conditions.
Ce présent gouvernement a dit cela et je crois qu’il est en train de le faire. Je crois que nous pouvons le voir à travers le fonctionnement du Parlement maintenant. Certains de nos parlementaires qui sont du PTr posent des questions comme de vrais Backbenchers. Je suis très content de la manière dont ces Backbenchers posent des questions pertinentes et se comportent comme de vrais British Backbenchers. Soutenir le gouvernement ne veut pas dire être un Follower. La Speaker aussi fait son travail à merveille. C’est ainsi que devrait fonctionner le Parlement. Nous avons témoigné du calme du Premier ministre lors de la présentation du State of the Economy et la Speaker qui intervient quand il le faut.

Un Junior Ministry en dessous du ministère des Affaires étrangères, ce n’est pas un peu redondant ?
Je dirais non. Je citerais ici Shakespeare : What’s in a name? Junior ou Senior Minister, l’important c’est votre intérêt de travailler pour le pays. Si vous êtes patriote, vous pouvez travailler en n’importe quelle capacité : enseignant, avocat, juriste, ingénieur, ministre, etc.
Maintenant, on a transformé le poste de PPS en Junior Minister.
Moi, je suis à l’aise dans ce rôle et je respecte le fait qu’il y a un ministre en premier. Je ne vais pas empiéter sur son terrain mais il faut qu’il y ait un respect mutuel. Ritesh Ramful est un ami et collaborateur de longue date. Je le respecte dans ses fonctions et je suis sûr qu’il me respecte comme no 2. Le jour où je sens qu’il n’y a plus ce respect, je dois savoir ce qu’il faut faire. Mais, pour le moment, le titre ne m’interpelle pas. Je ne me sens pas du tout diminué. Lui et moi, nous allons travailler ensemble dans l’intérêt du pays.

Quelles sont les priorités que vous inscrivez sur votre agenda alors que vous entamez cette nouvelle mission ?
Le ministère des Affaires étrangères est le ministère le plus important, je crois, après le PMO. C’est ingrat dans le sens où on fait du Donkey Work pour le pays et malheureusement, cela peut ne pas se voir au niveau de votre circonscription. Il faut porter deux chapeaux : ministre/Junior Minister et député de votre circonscription. Je dois admettre que c’est assez difficile.
J’espère que le Premier ministre fera de sorte que toutes les circonscriptions soient traitées de manière égale. Il ne faut pas un développement bien plus remarquable ici qu’ailleurs. Le Sud, par exemple, doit être développé de manière équitable. Il faut travailler pour les besoins du pays en termes de diplomatie, droits humains, économique, etc.
Nous devons redresser l’EDB car l’ancien ministre a fait des bêtises. Le ministère des Affaires étrangères a un rôle important. Il y a des ministères complexes où un seul ministre ne peut s’occuper de plusieurs dossiers. Par exemple, au ministère des Affaires étrangères, il y a les aspects bilatéraux, les droits humains, la diplomatie économique, les investissements.
L’EDB a grandi et est aujourd’hui davantage un éléphant blanc. Il faudra repenser l’EDB. Il faut voir comment le ministère des Affaires étrangères va prendre le Lead ensemble avec le ministère des Finances.

Pensez-vous qu’il y aura des répercussions sur le plan international sur quoi votre ministère devra travailler dans le sillage de la révélation du State of the Economy ?
Le gouvernement précédent a mis le pays à genoux, il y a une irresponsabilité jamais vue. C’est une catastrophe, pire qu’en Afrique. Ils ont pillé, dilapidé…
Il ne faut pas aller vite en besogne parce que Maurice est un État de droit. Même si les gens ont commis des fautes lourdes, il ne faut pas avoir recours à la vengeance. Mais s’il y a eu dilapidation au niveau de la MIC et d’autres ministères, il leur faut, qu’ils soient fonctionnaires ou ministres, répondre de leur acte après enquête policière. Sans démagogie, mais s’ils ont fauté, ils doivent payer.
Au niveau du ministère des Affaires étrangères, nous avons un rôle important de redresser la barre : rechercher de nouveaux pôles de développement comme l’économie bleue, l’intelligence artificielle. Il faut que Maurice soit un centre pour l’Afrique. Il y a certains jobs que les Mauriciens ne veulent pas faire. Nous sommes là pour essayer de faire de sorte que les Mauriciens qualifiés restent à Maurice et en même temps faire venir les étrangers là où il y a un manque, mais dans un cadre légal bien rigoureux. Il ne faut pas exploiter ces étrangers non plus. Ce sont autant de défis qui sont devant nous.
Le ministère des Affaires étrangères est un ministère très important pour soutenir d’autres ministères. Ritest Ramful, en premier, et moi en second, avec les fonctionnaires – il y en a beaucoup qui sont bien rodés mais qui n’avaient peut-être pas la latitude de travailler avec l’ancien gouvernement – allons y travailler. Je peux dire qu’il y a de bons fonctionnaires. Il faut les responsabiliser.
Sur le plan de la démocratie, Maurice a régressé. Maurice occupait la première place en Afrique et en Asie. Maintenant, nous devons revoir les lois, amender la Constitution. Nous avons promis pas mal de choses dans notre manifeste électoral.
Personnellement, je souhaiterais que dans huit mois, nous redressions la démocratie régionale. La liberté d’expression qui a été bafouée. Nous nous souvenons de ces amendements au niveau de l’ICTA, de l’IBA, des radios écrasées. La presse écrite parfois n’a pas eu de publicité pour s’être positionnée contre le gouvernement. Il faut revoir tout cela.

Quelles sont, diriez-vous, les expériences précises de votre carrière qui vous permettront d’apporter une contribution de poids à ce ministère ?
On me connaît davantage comme constitutionnaliste et militant des droits humains, mais j’ai aussi un diplôme en International Business Law. J’ai aussi enseigné les droits des affaires. J’ai travaillé comme Trade Representative (équivalent d’un ministre conseiller) à l’OMC à Genève, et j’ai traité des dossiers comme la propriété intellectuelle, la diplomatie, la FAO.

Quels sont les pays avec lesquels Maurice devrait consolider davantage ses relations bilatérales et approfondir la collaboration dans les domaines de l’économie, du commerce, de la sécurité, de la culture, etc. ?
Nos amis traditionnels comme la France, l’Angleterre, les États-Unis… Il faut consolider, mais il faut penser d’autres axes de collaboration aussi avec l’Inde. Nous avons cette mauvaise habitude de ne pas penser à nos voisins les Africains. Or, charity begins at home. Commençons par nos amis africains là où il y a un potentiel. Il y a d’autres pays avec lesquels nous avons de bonnes relations mais qui ne sont pas exploitées à fond comme avec l’Australie, l’Indonésie, la Malaisie et les pays d’Asie. Il faut consolider nos relations avec la Chine et les ex-pays communistes comme la Bulgarie et la Roumanie. L’Europe, oui, mais c’est un peu saturé en termes d’opportunités.

Le dossier des Chagos revient sur le tapis. Avec le traité panafricain de Pelindaba, visant à faire de l’océan Indien et l’Afrique une Nuclear-Free Zone, les États-Unis craignent que des armes nucléaires ne puissent être stockées sur la base militaire de Diego Garcia. Quelle est votre lecture de la situation et comment Maurice devrait-elle la gérer ?
Nous avons déjà un accord de principe. Il faut travailler sur les modalités. C’est une prérogative du Premier ministre. Je ne vais pas m’aventurer dessus. C’est plus un travail fait par le PMO. Nous avons vu la différence entre le Premier ministre Ramgoolam et l’ancien.
Navin Ramgoolam sait où il va. Paul Bérenger aussi a une expérience dans la diplomatie. Je crois que nous pouvons leur faire confiance. Bien sûr, nous avons l’obligation de préserver nos droits et acquis mais dans une diplomatie un peu à la suisse : ne pas trop parler, ne pas insulter.
Nous, au ministère des Affaires étrangères, nous sommes là pour les épauler. Je suis confiant que nous trouverons un compromis. Nous sommes pour la démilitarisation, pour la neutralité, mais nous sommes conscients qu’il faut aussi préserver la sécurité maritime. Maurice étant un État de droit et ayant un engagement avec les États-Unis, Navin Ramgoolam a dit que sur ce point, il n’y a pas de discussion. Nous sommes d’accord sur l’accord, mais le principe relève de la prérogative du Premier ministre et du PMO pour engager des discussions.

Le mot de la fin…
Comme une équipe soudée, nous allons bosser. Il faut que la population sache qu’il y a de gros défis. Ce ne sera pas facile. Il y a beaucoup d’attentes.
Le gouvernement précédent a commis des abus. Cela prendra un peu de temps, six mois à un an avant de redresser la barre. Il faut que les gens puissent comprendre et être patients. Le miracle n’existe pas. Il y a une compétition féroce au niveau international. Il faut être patient.
La population a été habituée aux cadeaux, il faut trouver un équilibre entre rigueur économique, distribution de richesse et agrandissement du gâteau national car la population n’est pas fautive. C’est plus facile à dire qu’à faire.

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