À peine a-t-elle été nommée ministre de l’Égalité des genres, ministère sous lequel tombe le bien-être de la famille, qu’Arianne Navarre-Marie s’est retrouvée avec plusieurs cas d’enfants victimes de violences. Les meurtres des petites Élodie Kathalea Gaspard, 7 ans, et Esteer Enaëlle Jolicoeur, âgée de seulement 18 mois, ont secoué toute l’île. Étant une femme d’expérience et de proximité, elle a rapidement mis en place des initiatives, dont ces Assises nationales. En amont de la tenue de ce premier grand événement, Arianne Navarre-Marie élabore sur les grands axes et priorités qui l’attendent.
Ces derniers jours, nous avons eu plusieurs cas de crimes commis contre des enfants. Quelle est votre lecture de la situation ?
Avant de répondre, permettez-moi d’abord de dire à quel point je suis choquée, outrée et, surtout, en colère contre le degré de violence subi par ces deux enfants, de 18 mois et de 7 ans. Ces deux infanticides sont non seulement abjects, mais ils traduisent aussi le dysfonctionnement qui prévaut au sein de notre société, voire au sein de certaines familles. Pour moi, la famille doit être la pierre angulaire, le lieu de réconfort et de sécurité pour les enfants. Pourtant, ces deux filles ont été tuées par ceux qui devraient logiquement être leurs protecteurs !
C’est là où le bât blesse. Ma lecture de la situation, c’est qu’il est important pour nous d’engager une discussion au sein de notre société pour rappeler que la famille est avant tout une unité fondamentale de protection et de soutien. Avant même de prendre mes fonctions comme ministre de l’Égalité des Genres et du Bien-être de la famille, j’avais toujours caressé l’idée de réunir autour d’une table la société civile pour engager une discussion autour de cette question.
La mort de ces deux innocentes m’a poussée à aller de l’avant très vite avec ce projet d’Assises pour la femme et la famille. Il est important que ceux qui font face à la réalité du terrain, qui affrontent les atrocités du quotidien pour protéger les femmes et les enfants vulnérables, aient le droit à la parole, et que leurs idées soient prises en considération dans cette lutte, qui est la nôtre.
Vous avez réagi promptement! Quelles sont les mesures prioritaires à prendre ?
Les mesures prioritaires sont à différents niveaux. La question de la violence basée sur le genre, y compris envers les hommes et les enfants, demeure sensible. Comme vous l’avez mentionné dans votre première question, j’ai été confrontée à deux cas d’infanticides durant la première semaine de ma nomination en tant que ministre, ainsi qu’à une longue liste de femmes victimes de violences. D’autant plus qu’il est indéniable que nous ne pouvons traiter chaque cas de la même façon.
Dans la foulée, j’ai également constaté la nécessité de renforcer les protocoles de travail entre les différentes unités de mon ministère et la police, notamment avec la section Child Protection Unit (CPU) de la police. La semaine dernière j’ai sollicité une rencontre auprès du commissaire de police, Rampersad Sooroojebally, pour discuter de cette question. Nous avons évoqué beaucoup de points et, à l’heure actuelle, avec des officiers de mon ministère, nous travaillons de concert avec la police pour la révision et le renforcement des protocoles existants dans le but d’assurer une meilleure protection à ceux qui sont victimes de violences domestiques et pour la protection des enfants.
Rencontrer et discuter avec la société civile, à travers les ONG, est aussi une de mes mesures prioritaires. Dans la préparation de ces Assises, j’ai été informée que mon ministère a enregistré une réduction des cas signalés de violences domestiques. Mais il y a toujours encore plus de 4 000 personnes qui sont victimes d’actes de violence domestique, et pour moi, c’est déjà trop. En tant que ministre, je me demande si cette baisse est le résultat d’une campagne efficace ou si, tout simplement, les victimes de violences domestiques ne font plus appel à nos services.
Autre priorité pour moi, durant l’année 2025, ce sera la formation. Les trois semaines passées dans ce ministère m’ont vite fait constater qu’il y a un besoin crucial de formation. Des discussions ont déjà été engagées à ce niveau, et j’espère pouvoir venir très vite en début d’année prochaine avec des projets spécifiques.
Où et comment, selon votre expérience et votre connaissance de la situation, les choses ont-elles mal tourné ? Que faut-il faire ?
Je ne veux surtout pas donner de leçons à qui que ce soit ! Toutefois, je pense que nous avons été complaisants pendant trop longtemps. Les questions de violences, que ce soit contre les enfants, les femmes ou les hommes, n’ont pas été adressées avec promptitude, et les normes internationales n’ont pas été prises en considération dans notre manière d’agir.
Que faut-il faire ? Sur ce point, je suis catégorique : nous ne pouvons pas et nous ne pourrons pas agir seuls. Il est primordial qu’il y ait un changement d’attitude, car la violence contre les femmes, par exemple, concerne avant tout les hommes. Donc, il va sans dire que notre conception même face à ce problème doit changer. Il nous faut mettre en place des politiques de protection de l’enfance avec des réformes sociétales plus larges, intégrant des initiatives qui abordent en même temps des questions comme la pauvreté, l’éducation et l’emploi. Tous ces problèmes sont liés et interconnectés.
Comment faire « in the short and long term » pour remettre notre société sur de bons rails solides et mieux protéger nos enfants ?
C’est une question qui mérite beaucoup de réflexion et de discussions à différents niveaux, surtout pour une société comme la nôtre, sans doute unique au monde. L’action gouvernementale seule est insuffisante pour adresser et répondre à votre question. Il n’y a pas de doute là-dessus.
Je pense que la participation active de la communauté et les initiatives locales seront essentielles pour remettre notre société sur de bons rails. Il nous faut surtout nous appuyer sur nos valeurs mauriciennes, qui sont uniques, tout en mettant en avant notre responsabilité collective dans la protection de nos enfants. Il ne faut plus que les gens aient peur de dénoncer les violences basées sur le genre ou la maltraitance envers les enfants. Les ONG ont aussi un rôle important, voire vital, à jouer dans ce processus de remise sur les rails de notre société, et je les invite à nous rejoindre pour un dialogue ouvert et honnête afin que chaque Mauricien se sente protégé.
Ces Assises sont le début d’un long processus de concertation avec la société civile. Comment s’annonce l’après-Assises ?
Je remercie les responsables des ONG qui ont pris le temps de participer à apporter leurs contributions à ces Assises. Elles étaient plus de 75 présentes lors de cette rencontre. Il est clair aujourd’hui que nous devons nous engager à renforcer nos cadres juridiques et cela inclut la révision des lois existantes.
Cette journée de réflexion a donc permis de faire le tour d’horizon des lacunes, des difficultés et le besoin de formation, ce qui souligne l’importance de notre action future. Les ONG nous ont fait comprendre beaucoup de choses autant que leurs craintes par rapport à nos services et supports, ce qui est crucial pour améliorer notre approche à l’avenir.