Il n’est un secret pour personne. Le secteur portuaire à Maurice tangue dangereusement depuis une décennie, au point d’avoir plongé dans les bas-fonds des classements internationaux en termes d’excellence. Comment remettre les pendules à l’heure ? « Ressortir le Kärcher de la cave, bannir les nominations politiques des koler lafis et rétablir le culte du mérite et de l’effort », soutient la Maritime Transport & Port Employees Union (MTPEU), qui a brossé un sombre tableau sur la manière dont les affaires sont gérées au port. Le dernier rapport de la Competition Commission, dévoilé en novembre, donne du grain à moudre aux griefs des syndicalistes Tirth Purrryag, Abhishek Santoke, Ibrahim Moosa et Vega Iyaroo, quand bien même ils se disent farouchement opposés aux recommandations faites par cette commission pour une privatisation des opérations portuaires.
Enrayer la chute vertigineuse dont fait face le port de Port-Louis, classé à la 369e place sur les 405 ports au monde, selon le Container Port Performance Index (CPPI), préparé par la Banque Mondiale avec un apport externe de S & P Global Market Intelligence. Dans le jargon footballistique, on dira qu’il faudra réaliser un « remontada ». C’est la tâche ardue qui attend le nouveau gouvernement. À titre de comparaison, Port Réunion se fixe à la 320e place, celui de Toamasina, à Madagascar, à la 300e place, alors que le port de Mayotte se classe en 307e position.
Le fait que Mayotte devance nettement Port-Louis dans ce classement constitue un véritable camouflet pour un secteur qui, jadis, était considéré comme un fleuron. Pouvait-il en être autrement ? « Ibrahim Moosa et moi, en tant que représentant de la MTPEU, avons déposé devant la Competition Commission où nous avons énuméré une série de maux qui gangrènent la Cargo Handling Corporation et la Mauritius Ports Authority (MPA) comme l’ingérence politique et le management toxique qui a contribué à ce nivellement par le bas. Nous avons aussi évoqué les projets mort-nés », confie Tirth Purrryag.
Le Port Master Plan, comme répertorié dans le rapport de la Competition Commission, a été disséqué par la MTPEU. « Le premier Port Master Plan a été publié en 1984. Il y a eu une deuxième phase du Master Plan, en 2016, teintée de belles promesses. Sauf qu’entre 2015 et 2024, hormis le projet de la Cruise Jetty, il n’y a eu aucun développement dans le port. Il faut préciser que cette Cruise Jetty a des fonctions limitées, ne pouvant accommoder tous les types de bateaux de croisière », confie Tirth Purrryag.
La MPA n’avait-elle pas annoncé en grande pompe, en 2019, la construction d’un brise-lames et d’un Island Terminal qui aurait permis à Maurice de se positionner comme une plateforme régionale dans le trafic maritime grâce à l’augmentation de la capacité de stockage des containers par 150% ? Il n’en a rien été. Ces projets ont tout bonnement été rangés dans le tiroir des projets fantômes ! À titre de comparaison, en 2013 et 2014, l’extension du New Container Terminal et l’aménagement d’une Oil Jetty avaient été orchestrés. Quid de la mise à niveau des vieux terminaux ? « Zero upgrading durant ces dix dernières années. C’est une aberration et la faute revient entièrement à la MPA », souligne la MTPEU. La négligence affichée au niveau de la maintenance et de l’achat de remorqueurs a aussi été évoquée.
La suggestion faite par la Competition Commission d’introduire un Global Terminal Operator (GTO), un acteur privé mondial, pour prendre en charge les opérations portuaires, jusqu’à 100%, dans l’optique d’une refonte profonde de la Cargo Handling Corporation Ltd (CHCL), n’est pas du goût de la MTPEU. Une question sur laquelle ils tiennent des positions diamétralement opposées. « Nous avons tout le temps été contre la privatisation des activités portuaires dans son ensemble. Le partenaire privé demandera, à coup sûr, 25% des commissions. Hors de question, car ce sont les consommateurs qui devront payer pour cela », soutient le syndicaliste Vega Iyaroo.
Deux ans se sont écoulés depuis que la MPA n’a plus de directeur général après la mise en congé d’Aruna Bunwaree-Ramsaha, qui avait pris les rênes de l’organisme le 11 février 2022, après le départ à la retraite de Shekur Suntah. « Sous le prétexte fallacieux qu’elle refilait des informations aux députés de l’opposition, la police l’avait interrogée avant que la MPA la mette en congé le 23 décembre 2022 », souligne la MTPEU. Non seulement cette dernière a été mise sur la touche sur la base d’allégations obscures, mais elle continue quand même de percevoir son salaire depuis deux ans, tout en bénéficiant des frais d’un chauffeur… aux frais des contribuables ! Avec le changement de régime, le MTPEU soutient que « soit les accusations proférées à l’endroit d’Aruna Bunwaree-Ramsaha tiennent la route, soit elle retrouve son poste au plus vite. À la MTPEU, nous sommes d’avis qu’elle doit être réhabilitée afin qu’elle continue le travail honnête qu’elle a amorcé », confie Ibrahim Moosa.
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Commission d’enquête : Rendre public le rapport sur le naufrage du Sir Gaëtan
Le 31 août 2020, la vie de quatre familles a basculé à la suite de l’accident maritime du remorqueur Sir Gaëtan. En 2021, une Court of Investigation, présidée par l’ancien juge puisné Gérard Angoh, avait été mise en place pour situer les responsabilités. Le rapport de la commission d’enquête, transmis au gouvernement MSM en mars 2022, n’a toutefois pas été rendu public, au grand dam des familles affligées par ce drame. La MTPEU demande au nouveau gouvernement de rendre justice aux personnes décédées dans ce naufrage en rendant public le ledit rapport.
Sur les huit employés de la MPA se trouvant à bord, quatre ont pu être sauvés par la National Coast Guard et des volontaires. Les cadavres des marins Jimmy Sylvain Addison, Lindsay Laval Plassan et Sujit Kumar Seewoo ont été retrouvés, mais celui du capitaine Moswadeck Bheenick a disparu à jamais dans l’océan. Il est ressorti des nombreuses auditions que le Sir Gaëtan n’aurait pas dû prendre la mer, non seulement en raison des conditions météorologiques qui prévalaient ce soir-là sur la côte est, mais surtout parce que le bateau n’était pas conforme aux normes de sécurité. Les retombées et recommandations de la commission d’enquête instituée pour faire la lumière sur le naufrage du Sir Gaëtan ont bien été remises à l’ex-Premier ministre, Pravind Jugnauth. Or, au lieu de rendre public les contours des investigations menées par l’ancien juge puiné Gérard Angoh et ses assesseurs, Pravind Jugnauth a privilégié la mise sur pied d’un comité ministériel pour se pencher sur la question. Ce n’était finalement que de la poudre aux yeux.
La MTPEU entend mettre la pression sur le nouveau gouvernement et le Premier ministre, Navin Ramgoolam, pour que le contenu dudit rapport soit rendu accessible au public. Des voix s’étaient élevées du côté de membres de l’opposition, aujourd’hui au pouvoir, pour que Pravind Jugnauth dévoile les retombées du rapport. « On verra si les paroles suivent les actes du côté des chantres du changement et de la rupture. Rapor bizin rann piblik pou konn tou laverite. La MTPEU était en pourparlers avec le chairman sortant de la MPA, Jérôme Boulle, qui avait promis une compensation aux veuves des victimes. Les choses allaient dans la bonne direction du côté du conseil d’administration, mais comme il est de coutume, certaines forces occultes du côté du PMO ont mis un frein à cette démarche et les familles des victimes du naufrage n’ont pas encore vu la couleur de cet argent. Sa bann marin ki’nn mor-la ti pe amenn ziska Rs 70 000 par mwa dan lakaz. Leurs épouses doivent se contenter d’une modeste pension de veuve. J’espère que le gouvernement ne fera pas la sourde oreille face à leurs revendications », soutient Tirth Purrryag.
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MV Bellone : équipage en détresse… et privé de salaire
Le bateau, mouillé au port depuis mars, se trouve dans un état lamentable
Le 5 octobre dernier, l’International Transport Workers Federation (ITF)
avait tiré la sonnette d’alarme sur le fait que les membres de l’équipage du MV Bellone (sous pavillon de la Guinée-Bissau), composé d’une dizaine de marins vietnamiens, qui mouille dans le port depuis neuf mois, n’ont pas touché leurs salaires (USD 200 442) depuis le 1e mars 2024 ! L’ex-ministre de la Pêche, Sudheer Maudhoo, avaient été mis au courant de ce marasme. Non seulement les membres de l’équipage n’ont toujours pas perçu leurs salaires, mais le bateau est toujours mouillé au port, avec des détritus entassés, tout en étant dépourvu d’eau fraîche. De surcroît, le MV Bellone risque de se retrouver en panne d’essence dans les jours à venir.
Une réunion de crise a eu lieu, mercredi, au bureau du ministère de tutelle, en présence des membres de l’ITF et de la MTPEU. « The Master Nguyen Van Tuan confirmed that they had received their salaries for the months of September and October. However, he specified that five (5) crew members of MV Bellone had not received their salaries from April to August 2024. Moreover, the contracts of employment for the five crew members have already expired and they wished to be repatriated », peut-on lire, en substance, dans le procès-verbal de la reunion. La situation est d’autant plus critique que, faute de carburant, les marins risquent de se retrouver dans le noir dans les jours à venir.
Pas de quoi rassurer les membres de la MTPEU, qui évoque l’« état lamentable dans lequel se trouve le navire mouillé et le danger que cela représente pour les marins ». Les syndicalistes lancent un appel au Shipping Office, au Port Master et au nouveau ministre de l’Économie bleue et de la Pêche, Arvin Boolell, pour mettre la pression sur les propriétaires du bateau pour que les marins perçoivent leur dû et qu’ils soient rapatriés par la suite.