Le Premier ministre de l’Alliance du Changement, Navin Ramgoolam, maintient sa position au sujet du political agreement convenu entre l’ancien gouvernement, mené par Pravind Jugnauth, et les autorités britanniques au sujet des conditions de la restitution de la souveraineté de la République de Maurice sur l’archipel des Chagos. En trois occasions solennelles au cours de ces derniers dix jours et avec des interlocuteurs différents, que ce soit la haute-commissaire britannique à Maurice, Charlotte Pierre, le Special Envoy sur les Chagos de son homologue britannique, Jonathan Powell, et aux parlementaires lors de la première séance de la 8e Session de l’Assemblée nationale, vendredi après-midi, il a réitéré et précisé sa position : le gouvernement de l’Alliance du Changement a besoin d’un délai avant de se prononcer de manière formelle sur le Chagos Deal avec le retour de l’archipel sous le contrôle souverain de Maurice et le bail de 99 ans et renouvelable pour la base militaire américaine de Diego Garcia.
Dès lundi, lors de la séance de travail avec l’envoyé spécial Jonathan Powell, qui a effectué un déplacement éclair à Maurice de moins de 24 heures, Navin Ramgoolam a fait part de ses preliminary remarks, voire ses objections, au sujet du political agreement, agréé le 3 octobre, soit à la veille de la dissolution de l’Assemblée nationale, entre sir Keir Starmer et Pravind Jugnauth. Il a réussi à arracher un délai de deux semaines pour passer en revue les dispositions du treaty-in-waiting, à être signé au début de l’année prochaine.
Vendredi, à l’Assemblée nationale, le Leader of the House a été des plus catégoriques et explicites. Au Statement Time, il a confirmé que « I have asked for an independent review of the confidential draft agreement agreed so far. I will keep the House informed of the next steps in the negotiations after Cabinet will have had the opportunity to consider the outcome of the review exercise and any related discussions thereupon with the local and external officials and advisers. »
Un des points fondamentaux défendus par le gouvernement de l’Alliance du Changement est que dans le cadre du traité, le Royaume-Uni restitue intégralement et sans condition à Maurice la souveraineté sur toutes les îles de l’archipel des Chagos, conformément aux attendus de l’advisory opinion de la Cour internationale de Justice du 25 février 2019 et de la résolution des Nations Unies adoptée par l’assemblée générale le 22 mai 2019, et que c’est la République de Maurice qui négociera avec les États-Unis le bail et les conditions relatives pour la base américaine de Diego Garcia. Dans le Draft Political Agreement du 3 octobre, le précédent gouvernement de Pravind Jugnauth avait abdiqué ce droit sur Diego Garcia, laissant le soit à Londres d’exercer la souveraineté sur cette partie du territoire de la République.
Auparavant, Navin Ramgoolam a mis en exergue le fait que « on 03 October 2024, on the eve of the dissolution of Parliament, Mauritius and the United Kingdom issued a joint statement confirming that after 13 rounds of negotiations, the Prime Ministers of the two countries had reached a political agreement on the exercise on the sovereignty over the Chagos Archipelago. » Il n’a pas manqué de faire comprendre que jusque-là, les 13 rounds de négociations ont été marqués par le sceau du secret et qu’aucun membre du gouvernement de l’Alliance du Changement n’était privy au moindre détail de ce political agreement.
« Since the progress made in and the contents of the negotiations between Mauritius and the United Kingdom during the past two years were unknown to the new Government, I have had discussions with local officials and external legal advisers since my assumption of office regarding the status of the negotiations. The British Prime Minister, the Rt. Hon. Sir Keir Starmer, sent his political envoy, Mr Jonathan Powell to meet with me on 25 November last and he has briefed me on what has been proposed in the draft agreement », a-t-il poursuivi à l’Assemblée nationale en promettant de revenir devant cette même dernière instance « to consider the outcome of the review exercise and any related discussions thereupon with the local and external officials and advisers. »
« Good deal » en discussions
Du côté du Prime Ministers’Office, la Chagos High Level Cell, sous la présidence du Premier ministre et avec une participation active du Deputy Prime Minister, Paul Bérenger, de l’Attorney General, Gavin Glover, et des Legal Advisers, multiplie les consultations en vue de décortiquer les détails, surtout les fine prints, de ce traité à venir portant sur la fin du processus de décolonisation de Maurice 56 ans après l’accession à l’indépendance.
À ce stade, aucun détail officiel n’a encore filtré de ces séances de travail, sauf que lors des célébrations de la Journée internationale de la communauté des pêcheurs en fin de semaine, le ministre de l’Agro-Industrie et de la Pêche, Arvin Boolell, a mis en garde contre la mainmise des Anglais sur la gestion des stocks de poissons dans les eaux de l’archipel des Chagos. « Certes, l’exploitation des ressources marines aux Chagos comporte une dimension stratégique majeure. Mais il y a encore d’autres aspects de ce political agreement, nécessitant des analyses pointues dans la conjoncture et que le gouvernement de l’Alliance du Changement ne compte nullement se laisser obnubiler par le Chagos Rent Book. Les Chagos relèvent d’une question de souveraineté et de dignité », laissent entendre des sources bien renseignées à l’Hôtel du Gouvernement sans révéler nul autre détail.
D’ici aux premiers jours du mois prochain, il ne faudra pas s’attendre à des éléments d’informations sur le dossier des Chagos de la part de la partie mauricienne. Par contre, la déclaration formelle en faveur d’une independent review de Maurice est diversement commentée dans la presse britannique d’hier matin. Tous les titres ont repris les détails du statement de Navin Ramgoolam tout en s’engageant dans des conjectures sur la position du nouveau gouvernement.
Ainsi, The Guardian, quotidien britannique favorisé par Pravind Jugnauth lors de la Blenheim Reef Expedition de février 2022 aux dépens de la presse mauricienne, avance que « the Mauritian PM, a critic of the deal before he took office, reportedly expressed continued reservations after a meeting with the UK’s national security adviser, Jonathan Powell, on Monday. »
Néanmoins, aucun observateur étranger ou local n’est en mesure d’anticiper l’issue de la prochaine étape de deux semaines, même si en fin de semaine, No 10 Downing Street faisait preuve d’optimisme quant au calendrier pour la mise en œuvre du traité anglo-mauricien sur les Chagos. Toujours The Guardian d’hier matin laissait entendre que le Premier ministre Starmer était satisfait qu’un good deal était en discussions.
« The Chagos deal is a good deal. It secures the base that’s in the vital interests of the US and the UK. And we are already engaging with the new administration in Mauritius as to how we take that forward… » C’est ce qu’a déclaré jeudi dernier sir Keir Starmer face à la presse à Londres.
En parallèle, les anti-Chagos Deal, que ce soit à Londres ou à Washington, continuent à affûter leurs stratégies en vue de faire capoter le traité envisagé. Ainsi, au cours de la semaine, le souffle de la contestation s’est fait sentir à Maurice. Un groupe, se présentant comme étant la British Overseas Territory (BOT) Platform, a organisé une première manifestation devant les locaux du haut-commissariat britannique à Floréal pour faire part de leur objection à la souveraineté de Maurice sur l’archipel des Chagos, affirmant qu’ils sont des exilés des Chagos.
Puis ce même groupe, sous l’influence d’un duo de Chagossiens opérant par remote control de Londres, est descendu pour un face à face avec les membres du Groupe des Réfugiés des Chagos, menés par le leader Olivier Bancoult, au centre de Pointe-aux-Sables. La forte présence policière sur les lieux a évité tout affrontement entre les deux groupes. Une indication que ça chauffe du côté des Chagos…