Non, il n’est pas question ici de célébration à caractère religieux et encore moins de la glorification de la fièvre acheteuse annuelle qui marque le Black Friday, cette dérive de la société de consommation empruntée des États Unis. Il s’agit de saluer ce good Friday du 29 novembre qui a voulu que Shirin Ameeruddy-Cziffra et Gavin Glover aient été assermentés, le même jour, pour servir comme Speaker et Attorney General.
Voilà deux personnalités qui ont le mérite d’être parfaitement intelligibles, ce qui permet de renouer un tant soit peu avec une certaine idée de la qualité de l’éducation que la grande époque insufflait. Chaque mot est pesé, chaque phrase est clairement exprimée, chaque idée avancée immédiatement comprise.
Si, pour Gavin Glover, la partie a été plus aisée et que sa nomination a été plutôt bien accueillie tant dans le milieu de la profession légale que dans le giron du judiciaire, tel n’aura malheureusement pas été le cas pour Shirin Aumeeeruddy-Cziffra, objet d’une campagne malsaine et violente dès que son nom a fuité en public comme étant le choix du MMM et plus particulièrement de son leader Paul Bérenger pour le speakership.
Le signal envoyé était d’abord qu’il fallait faire de la place à une femme dans la plus haute hiérarchie de l’État pour compenser le peu de représentation à l’Assemblée Nationale et au sein du conseil des ministres. Le MMM n’a pas cédé à une dernière fantaisie puisqu’il avait proposé Françoise Labelle comme Speaker aux élections de 2014 et Arianne Navarre-Marie pour le scrutin de 2019.
Les plus virulents contre l’élection – puisqu’il s’agit d’une élection, d’un vote de l’Assemblée Nationale, et non d’une « nomination » – de la Speaker Aumeeruddy-Cziffra sont celles et ceux qui ont passé leur temps à déplorer que les femmes soient sous-représentées dans les instances dirigeantes des partis et du pays. Il faut décider de ce que l’on veut à la fin.
Oui à une femme et non au choix proposé par le MMM ! Pourquoi donc ? Parce que la désignée serait une « transfuge ». Un procès en loyauté déplacé qui ne repose sur rien d’établi. Que Shirin Aumeeruddy-Cziffra ait déplu à un certain nombre de personnes, c’est évident ; qu’elle ait été trop réservée et qu’elle ait, à un moment, soigneusement dissimulé ses préférences pour ne pas compromettre ses chances de nomination, peut-être, mais lui interdire le speakership au motif qu’elle n’ait pas sa carte de parti révèle d’une bien mauvaise compréhension du rôle de Speaker qui se doit d’être à distance des appareils partisans. Le contraire a justement produit les Maya Hanoomanjee et Sooroojdev Phokeer.
Elle a commencé sa carrière au MMM, a été député, Attorney General et ministre des Droits de la Femme, ambassadrice à Paris, a pris ses distances pour rejoindre le Renouveau Militant Mauricien. Elle s’est effectivement présentée avec Jean-Claude de l’Estrac contre Paul Bérenger et James Burty David aux partielles de Stanley/Rose-Hill de janvier 1995. Ils ont été battus à plate couture et chacun a pris son chemin.
De l’Estrac a renoué avec sa passion journalistique, Shirin Aumeeruddy-Cziffra avec sa profession d’avocate. Lorsque l’alliance MSM/MMM dirigée par Sir Anerood Jugnauth est arrivée au pouvoir avec une majorité écrasante, 54/6, en 2000, c’est bien à « l’adversaire de Paul Bérenger » que le gouvernement d’alors avait fait appel pour présider le conseil d’administration de la MBC.
Cinq ans après avoir posé contre Paul Bérenger, ce dernier – il est vrai, pas toujours bien avisé dans tous ses choix – n’avait pas décrété que celle à qui on fait aujourd’hui un mauvais procès en chatwarism n’était pas apte à présider le board du service public. Shirin Aumeeruddy-Cziffra deviendra en 2004 la première Ombudsperson for Children lorsque Paul Bérenger dirigeait le gouvernement. Et ce poste, elle le conservera sous le primeministership de Navin Ramgoolam jusqu’à 2011.
En 2012, agissant selon les pouvoirs qui lui sont conférés sous la constitution, le Président de la République Sir Anerood Jugnauth avait décidé de nommer Shirin Aumeeruddy-Cziffra à la présidence du Public Bodies Appeal Tribunal. Elle a été relevée de cette fonction en 2021 par le gouvernement de Pravind Jugnauth.
Venir parler de « transfuge » ou de « cuisine », comme on a pu l’entendre ou le lire sur les réseaux sociaux, relève d’une hystérie aussi injustifiée que répugnante. Dans certaines des critiques les plus violentes à l’encontre de Shririn Aumeeruddy-Cziffra, on a pu aussi sentir que le second patronyme, qu’elle a acquis par le mariage et qui n’a jamais gêné personne, posait problème à quelques sectaires et fanatiques friands de raccourcis et d’amalgames haineux. Honte à vous !
Il y a, évidemment des professionnels du retournement de veste en politique. Mais il y a aussi des nuances à faire. Qui se souvient qu’il a transité par le MSM ou que Patrick Assirvaden a longtemps été le fidèle compagnon de Harish Boodhoo ? Est-ce que cela devrait les condamner à leur passé et à l’exclusion ?
À ceux qui évoquent le passé et la « cuisine » pour attaquer Madame Cziffra sur des bases absolument farfelues, il faut leur rappeler qu’il y a eu des personnes qui ont activement participé à la préparation de bons petits plats dans la cuisine attenante à celle qui sera balayée par un 60/0 le 10 novembre 2024.
On pense là à deux professionels, Megh Pillay et Gérard Sanspeur, le premier ayant été appelé entre 2000 et 2016 à diriger Mauritius Telecom, la State Trading Corporation et Air Mauritius ; le second, une myriade d’organismes publics au point où son salaire avait été étalé dans l’hémicycle. Ils ont, pendant très longtemps, été les deux bras de Sir Kailash Ramdanee, le père de l’ancienne vraie Premier ministre sortante ou sortie.
Est-ce à dire que ces cadres devraient être indéfiniment écartés de toute responsabilité publique pour avoir été au service de Sir Kailash Ramdanee ? Un peu de raisonnement et de fair-play est nécessaire lorsqu’il s’agit de juger les gens non pas toujours à l’aune de leur préférence partisane, mais à celui de leur capacité à aider le pays à avancer et à se ré-inventer. C’est pas ça la rupture…
Josie Lebrasse