Avec le rassemblement de remerciement pour la victoire sans appel de 60/0 de l’Alliance du Changement, les clameurs se sont tues. Du moins, elles ont déjà commencé à s’estomper. Dès ce matin, ce sera la grande rentrée pour les ministres, au nombre de 15, vu que l’Attorney General désigné, Gavin Glover, Senior Counsel, a préféré une prise de fonctions différée pour des raisons professionnelles, occupant des maroquins ministériels pour la première fois. Entre-temps, des chevronnés auront déjà pris le taureau par les cornes.
Certes, le sinistre de Mare-Chicose, avec des déchets qui brûlent nuit et jour, avec des risques pour la santé publique, en dépit des assurances de la Santé et de l’Environnement, constitue une urgence inévitable. Des initiatives prises par des frontliners de la nouvelle majorité, bien avant la présentation du nouveau gouvernement, attestent de la situation. Il était évident que le « bulldozer politique », qui reprend du service à l’Environnement pour son 10e mandat, se déploie sur le terrain du site d’enfouissement. D’autant plus qu’il est dopé politiquement par du sang mauve renouvelé avec la présence d’une Junior Minister, présentant une nette prédisposition à laisser son empreinte de manière durable sur le front de la protection de l’environnement.
Dans la conjoncture, l’urgence avec Mare-Chicose est la maîtrise de ce sinistre inquiétant, qui empoisonne le quotidien des habitants des paisibles villages avoisinants, avec des séquelles pour la santé publique, atteignant même les hauteurs de la Ville Lumière. La technologie aidant et un redoublement des efforts des autorités sur le site devraient permettre de maîtriser ces volutes de fumée, assombrissant les perspectives.
Mais en substance, l’équation du Mare-Chicose Landfill est davantage plus étouffante. Les statistiques officielles indiquent que le volume total de déchets solides, disposés à ciel ouvert à cet endroit, a déjà crevé la barre des 500 000 tonnes, soit une progression de 9,5%, passant de 494 073 tonnes à 541 141 tonnes d’une année à l’autre. Les amateurs de statistiques diront que cette montagne de saleté se résume à 1,22 kg/jour par tête d’habitant en 2023.
D’autre part, depuis des années déjà, la sonnette d’alarme a été tirée à l’effet que Mare-Chicose a atteint le point de saturation. Et ce n’est pas le notaire-ministre sortant de l’Environnement qui osera contredire que c’était, c’est et ce sera une priorité de venir de l’avant avec une autre option de « waste disposal ».
Au-delà des débats sur la politique traitant des déchets, le sinistre de Mare-Chicose et la progression de la production de déchets par tête d’habitant remettent en perspective l’action citoyenne en faveur de la préservation de l’environnement. Le Mauricien est-il conscient des répercussions de son mode de vie, avec la consommation jusqu’ici en tant que moteur de croissance économique, et de la poussée volumétrique de déchets ménagers et industriels ?
La célèbre réflexion du philosophe français Jean-Paul Sartre, à savoir L’enfer, c’est les autres, ne s’applique pas dans ce contexte. La vérité est que chaque Mauricien, et par extension chaque être humain, est porteur du virus à coefficient multiplicateur de déchets. Et même si demain les émanations de Mare-Chicose en feu se dissipent, les effets pervasifs de la progression du volume de déchets se feront toujours ressentir.
Les nuages de Mare-Chicose devraient interpeller chaque Mauricien, pas seulement ceux qui en sont directement affectés. Tout comme l’absence de la voix de Rodrigues dans le nouveau gotha du pouvoir. La République de Maurice est plurielle et indivisible. D’ailleurs, aujourd’hui se joue une étape cruciale dans la cristallisation de l’État mauricien avec la présence à Maurice de Jonathan Powell, l’envoyé spécial des Anglais sur le dossier des Chagos.
Mais légitime est l’interrogation de Rodrigues au sujet des contours de la nouvelle politique issue des urnes. Pourtant, l’île est constitutionnellement représentée par quatre parlementaires. Cette note, pour le moins discordante, dérange. Sans nul doute.
C’est vrai qu’avec 60/0, la nouvelle majorité peut voir autrement. C’est vrai que l’Organisation du peuple Rodriguais (OPR) a été un allié inconditionnel du gouvernement sortant sur le plan national. C’est aussi vrai que l’Alliance Libération s’appuie sur ce qui fut le PMSD pour se faire une place au soleil de l’Assemblée régionale.
Pour autant, Rodrigues ne doit pas être la Cendrillon politique. La République plurielle de Maurice n’est-elle pas cette rose qui s’épanouit, surtout avec la rosée du matin enjolivant ses pétales et ses feuilles vertes, avec un parfum enivrant ? Mais cette rose rappelle souvent qu’elle a aussi des épines.
Le traitement politiquement atone administré à Rodrigues détonne par rapport à cet effort national visant à reconstituer la République avec la reconnaissance des Chagos comme faisant partie de la République de Maurice.