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Vassen Dorasami : « La rupture passe obligatoirement par la transformation digitale »

Dans une interview accordée cette semaine à Le-Mauricien, Vassen Dorasami, Managing Director de DoraCrea, passe en revue le processus de transformation digitale. Il s’appesantit sur le fait que la rupture passe obligatoirement par la transformation digitale.

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Commençons par faire un état des lieux du processus de digitalisation…
À mon avis, nous accusons toujours du retard. Le processus de digitalisation comprend quatre parties, à savoir un gouvernement analogique, l’e-government, le gouvernement digital et le gouvernement immersif. À Maurice, nous sommes dans une large mesure encore au niveau analogique qui utilise beaucoup de paperasse et qui opère de manière traditionnelle. Pour ce qui est de l’e-government, nous avons accompli 60% du chemin. Nous ne sommes pas encore arrivés au niveau de gouvernement digital dans le secteur public, sauf à la Mauritius Revenue Authority (MRA). Sous l’impulsion d’un gouvernement déterminé, nous pourrions atteindre ce niveau dans au moins deux ans. Nous pourrons alors passer au niveau du gouvernement immersif.

Quelle est la différence entre l’e-government, le gouvernement digital et le gouvernement immersif ?
L’e-government consiste à automatiser un processus. Ainsi pour obtenir un Learner de la police, nous pouvons prendre un rendez-vous en ligne. Toutefois, nous devons ensuite nous rendre à Port-Louis, faire la queue pendant des heures pour l’obtenir. Avec un gouvernement digital, nous devons pouvoir tout faire en ligne après avoir rempli les documents appropriés en ligne et effectué le paiement en ligne également. Nous pourrions, ensuite, récupérer le document dans un poste de police proche de son domicile. Tout cela pour vous dire que Maurice, comme de nombreux pays, est confrontée à des défis dans la modernisation de ses services publics. Malgré quelques initiatives précoces d’administration en ligne, de nombreux services de la fonction publique reposent encore sur la documentation papier et les visites en personne. Cela crée des inefficacités et des retards pour les citoyens qui sont souvent confrontés à des processus complexes, lents et répétitifs.
L’approche analogique contraste fortement avec les attentes des consommateurs numériques d’aujourd’hui, qui exigent un accès 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 à des services gouvernementaux rapides, pratiques, efficaces et conviviaux. Un des rares services entièrement digitalisés est la MRA parce que le contribuable n’a pas à faire le déplacement jusqu’à Port-Louis pour payer ses impôts comme cela a été le cas pendant des années. Notre formulaire d’impôts est rempli automatiquement sur la base des données dont dispose la MRA en coordination avec d’autres services gouvernementaux. Le paiement des impôts se fait en ligne en toute confiance.
Un gouvernement digital est connu comme un Open Government à l’instar d’une banque. Le client peut avoir accès à son compte bancaire par le biais d’un mot de passe personnalisé en toute sécurité et peut suivre l’évolution de ses transactions financières en temps réel, faire des transferts ou payer ses factures sans avoir à se déplacer. Cela aurait dû être le cas pour les services gouvernementaux. Un citoyen aurait dû pouvoir avoir accès à son Police Record et obtenir un certificat de moralité en ligne ainsi qu’à son Health Record à travers des moyens sécurisés.
Le gouvernement immersif va encore plus loin pour devenir Citizen Centric. Il est au service du citoyen qui peut non seulement effectuer ses transactions en ligne, mais peut également être informé des délais de paiement. Par exemple, il peut être informé par des moyens digitaux que la déclaration annuelle de sa voiture expire, disons, dans 15 jours et qu’il peut faire le paiement par virement bancaire via Internet ou passer à la caisse.
Donc, dans le cadre d’un gouvernement immersif, les autorités gouvernementales vont vers le client parce qu’elles disposent déjà toutes les données nécessaires. Ainsi à l’approche de ses 18 ans, un jeune adulte peut être informé qu’il doit obtenir sa carte d’identité. Une personne qui approche l’âge de la retraite peut être informée des mesures à prendre pour obtenir sa pension de vieillesse, etc. Cela se pratique dans des pays comme l’Estonie ou Singapour.

Tout cela ne demande-t-il pas des investissements considérables ?
Cela ne nécessite pas nécessairement beaucoup d’investissements pour être mis en œuvre. Dans la technologie, les prix sont en baisse et nous assistons à une amélioration des performances techniques. Nous n’avons qu’à voir les téléphones mobiles ou les téléviseurs modernes qui sont moins chers et plus performants. Dans le cadre de la digitalisation, nous pourrions revoir la politique du gouvernement concernant les Procurements de gestion des institutions.

Comment concilier la transformation digitale avec l’intelligence artificielle ?
Il faut passer par les quatre étapes que j’ai évoquées au début de l’interview. C’est alors que nous pourrions introduire l’intelligence artificielle dans le système. Les données nécessaires pour le faire sont déjà disponibles dans les services gouvernementaux. Ils disposent de votre acte de naissance, des noms de nos parents, de votre carte d’identité, de l’adresse de notre résidence. La Commission électorale a également des données précises sur l’adresse de chaque citoyen sans compter que la MRA sait où travaille chaque citoyen et dispose d’informations sur ses revenus. Toutes ces données ne peuvent être utilisées parce que les services gouvernementaux opèrent en silos, chacun de son côté, et ces données ne sont pas centralisées.

La transformation que vous mentionnez est un défi majeur. Comment l’apporter sans brusquer aussi bien les fonctionnaires que les citoyens ?
Dans un document soumis à une institution internationale, j’ai préconisé sept mesures importantes que j’ai définies comme 7 Mega Trends qui devraient être adoptées par les institutions du secteur public. Ces tendances reflètent l’évolution des attentes des citoyens et fournissent une feuille de route pour construire des services publics plus efficaces et plus résilients. Les sept mesures sont : sensibilisation et promotion, disponibilité et accessibilité, automatisation et IA, agilité et adaptabilité, responsabilité et transparence, acceptabilité et inclusivité et engagement citoyen augmenté.
Pour être plus précis, le gouvernement doit engager des efforts proactifs pour éduquer les citoyens concernant la disponibilité des services digitaux. Tous les moyens dont les médias sociaux devraient être utilisés afin de sensibiliser et encourager l’adoption des plateformes digitales. Les citoyens doivent avoir un accès ininterrompu aux services gouvernementaux. Les services gouvernementaux doivent être disponibles depuis n’importe quel appareil, permettant ainsi d’assurer un Ease of Access for All.
L’adoption progressive d’outils alimentés par l’IA, tels que les chatbots, peut améliorer l’efficacité des services en automatisant les tâches répétitives et en fournissant une assistance en temps réel. Le service public doit être agile et être capable d’évoluer en fonction des besoins des citoyens. Ce qui nécessite de systèmes flexibles et des processus pouvant s’adapter aux nouveaux défis.
La transparence apporte la confiance, le gouvernement doit être transparent dans ses opérations avec des politiques et des mécanismes clairs de confidentialité des données pour tenir les fournisseurs de services responsables. Les services devraient être conçus avec un esprit inclusif afin de s’assurer que tous les citoyens, quel que soit leur âge, leur habilité, peuvent utiliser les plateformes digitales. Finalement, le gouvernement devrait impliquer les citoyens dans le développement des services à travers des rencontres ou à travers des mécanismes qui permettent aux citoyens de communiquer leurs besoins et attentes.
Le succès de la mise en œuvre de ces mesures passe par une stratégie gouvernementale qui intègre le Big Data, le Design Thinking et la transformation digitale. Le Big Data ou la Data Driven Governance permet au gouvernement de mieux comprendre les besoins des citoyens et les habitudes d’utilisation des services. Ainsi, le gouvernement pourrait anticiper les demandes citoyennes, améliorer l’efficience du service et créer des expériences personnalisées. Le Design Thinking consiste à mettre le citoyen au cœur de la conception des services, en se concentrant sur la résolution de problèmes réels avec des solutions conviviales centrées sur l’humain.
Quant à la transformation digitale, il faut savoir que les technologies digitales permettent l’intégration des services à travers les départements, la réduction des redondances et rendent les services plus efficaces. En adoptant le Cloud Computing, l’automatisation et l’IA, Maurice peut moderniser son secteur public et offrir une plateforme unifiée aux citoyens pour accéder aux services.

Comment traduire tout cela dans la pratique ?
Pour le faire, il faudrait avoir plusieurs leviers. En particulier, la politique du gouvernement doit décider si on doit poursuivre le processus de digitalisation. Deuxièmement, on doit se pencher sur le Workforce et ainsi que sur le Workplace. Mon expérience me permet de dire que les Mauriciens (Workforce) ont la capacité nécessaire. Nous pouvons faire un Turn Around après une semaine de formation des employés de l’État. Ils sont motivés mais doivent être guidés.
Le problème se pose au niveau du Workplace qui doit être doté de la logistique dernier cri et doit être connecté convenablement. Il est important de s’assurer que tous les équipements achetés en ce moment sont compatibles avec le 5G et l’IA. Si tout se passe bien, il est possible de sortir de l’e-government pour devenir un gouvernement digital dans deux ans. Il faut au moins deux ans pour intégrer l’intelligence artificielle. Dans quatre ans, tout le système de service du gouvernement peut changer. Nous avons les capacités et avons les compétences. Il nous faut des actions rapides.

Quid de la sécurité digitale ?
Lorsque le président de l’Estonie a introduit la digitalisation, il a affirmé qu’il gère le pays comme une institution privée ou une banque. Il faut avoir confiance dans une banque pour y placer votre argent. Si vous avez confiance dans une banque pour placer votre argent, vous devriez pareillement avoir confiance en l’État, estime-t-il. Effectivement, vous devez être confiant que personne ne peut avoir accès à vos comptes bancaires sans votre permission, même ceux qui gèrent vos comptes. De plus, la banque dispose d’un système de traçabilité concernant tous ceux qui accèdent à vos comptes. C’est le cas pour la MRA où personne ne peut avoir accès à votre feuille d’impôt.
Un des problèmes auxquels le gouvernement est confronté est la communication. Il n’y a pas suffisamment d’explications sur ce que font les services gouvernementaux. Les conseillers et les attachés de presse s’occupent de la promotion de l’image ministérielle, pas du ministère où les services clients n’existent pas. Très peu de personnes savent ce que les institutions gouvernementales offrent en matière d’e-government services. Ce n’est pas normal.

Qu’est-ce qui doit être fait pour assurer une meilleure coordination entre les services gouvernementaux dans le domaine digital ?
Vous avez raison, les agences gouvernementales collectent une quantité considérable de données. Or, la question qui se pose est de savoir si ces données sont utilisées comme il faut. Chaque institution collecte ses propres données et l’absence de Data Sharing Regulations se fait sentir. Ce qui fait que les échanges d’informations entre les institutions sont limités. Il faut donc instituer des Data-Sharing Mechanisms et des structures de gouvernance appropriées. Par conséquent, la création d’une Centralized Data Management Office, placé sous l’égide du PMO, s’impose. L’État qui dispose d’une Information Highway a les moyens de le faire. Mais cette Information Highway est loin d’être utilisée pleinement. Ce Centralized Data Management Office aura pour but de faciliter le partage des données entre les services gouvernementaux. Cela réduira la nécessité pour les citoyens de soumettre à plusieurs reprises les mêmes informations et simplifiera les processus administratifs.
En outre, des initiatives telles que les données ouvertes peuvent rendre accessibles au public les données citoyennes collectées par le gouvernement, favorisant ainsi l’innovation et améliorant la transparence de la gouvernance. L’analyse des données en temps réel peut améliorer la prestation de services en permettant aux organismes gouvernementaux de suivre les performances afin de répondre rapidement aux besoins changeants des citoyens et d’améliorer la qualité globale des services publics.

Pourquoi l’enregistrement des cartes SIM a-t-il soulevé un tollé ?
Cela est dû au fait qu’il n’y a pas eu d’explications adéquates. L’approche adoptée par les autorités n’était pas bonne, surtout à la veille des élections générales. Il faut savoir que la carte SIM appartient aux opérateurs qui peuvent la reprendre si elle n’est pas utilisée pendant une période donnée. Les opérateurs auraient dû expliquer que la carte SIM peut être renouvelée pour une période donnée. Si nous allons dans le sens du renouvellement, même le permis de conduire devrait être renouvelé. Le gouvernement devrait avoir une politique pragmatique et consistante. Par exemple, expliquer que nous ne pouvons enregistrer autant de cartes SIM que nous le souhaiterions. Nous ne pouvons enregistrer autant de cartes SIM sans aucune explication. C’est cela qui devrait être revu par la loi.

Le mot de la fin…
Il y a encore énormément de choses à faire dans le cadre d’un processus de digitalisation. Il y a tout un écosystème qui doit être revu. Je suis d’accord qu’on ne peut pas tout faire à la fois, mais il faut avoir une politique de digitalisation de la part du gouvernement. C’est la raison pour laquelle le ministère des Technologies de l’information doit être considéré comme un ministère très important.
Au fait, la transformation digitale n’est pas difficile à apporter car nous avons beaucoup d’éléments. Il faut intégrer, consolider et gérer. Pour cela, il faut un Digital Leadership fort. Les Mauriciens peuvent le faire. Les compétences existent. Nous avons besoin aujourd’hui d’une Expérience Economy, c’est-à-dire l’expérience client. Dans ce domaine, la Malaisie est un plaisir. Tout est digitalisé. Tout est sécurisé. Tout marche bien. Un petit pays comme Maurice ne peut pas être archaïque.
En fin de compte, nous sommes obligés de prendre au sérieux le processus de transformation digitale qui devrait être une priorité du gouvernement. Il apportera l’efficience et la transparence. Le grand gagnant sera le citoyen. Nous n’avons pas besoin d’être 100% parfait, mais la majorité des services doivent être disponibles. La rupture passe par la digitalisation.

ACCROCHES
« Malgré quelques initiatives précoces d’administration en ligne, de nombreux services du secteur public reposent encore sur la documentation papier et les visites en personne. Cela crée des inefficacités et des retards pour les citoyens, qui sont souvent confrontés à des processus complexes, lents et répétitifs »

« Il y a encore énormément de choses à faire dans le cadre d’un processus de digitalisation. Il y a tout un écosystème qui doit être revu. Je suis d’accord qu’on ne peut pas tout faire à la fois, mais il faut avoir une politique de digitalisation de la part du gouvernement »

« Nous sommes obligés de prendre au sérieux le processus de transformation digitale, qui devrait être une priorité du gouvernement. Il apportera l’efficience et la transparence »

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