Suite à l’amendement à l’Education Act il y a deux ans, exigeant que tout enseignant en exercice ou en lice pour un recrutement doit avoir le PGCE dans la matière qu’il veut enseigner, 40 étudiants avaient postulé pour le PGCE Art et Design au Mauritius Institute of Education (MIE). Après quatre semestres intenses, 36 d’entre eux terminent leur formation en cette fin d’année, et exposent leurs travaux sur le campus de Réduit, jusqu’au 22 novembre.
Zistw’Art qui veut dire zis to art ek zis twa ek to art , est l’intitulé de cette exposition qui regroupe trois travaux de chaque étudiant selon un concept de leur choix, fait ressortir à Le–Mauricien, Vick Kumar Shibdoyal, Senior Lecturer au MIE. Ils ont quasiment tous développé un concept lié à l’identité.
Si au départ, l’intégration d’une formation professionnalisante comme exigé par la loi amendée de l’Education, fin 2022, constituait une pression pour certains enseignants avec de longues années d’expérience, ceux que Le-Mauricien a rencontrés reconnaissent qu’elle leur a permis de se développer et d’adopter des pratiques plus appropriées.
« Au début, je me suis sentie un peu forcée mais au final, j’ai appris beaucoup de choses », soutient Julie Ing Seng Eh Yuen, enseignante au Lorette de Port-Louis. La jeune femme, perchée sur une chaise, quelques heures avant le vernissage, pinceau à la main, apportait les dernières retouches à son installation “When pigs will fly”, qui symbolise le regard critique qu’elle porte sur le Nine-Year Schooling”. Elle regrette la suppression des classes pré-vocationnelles à la faveur des Extended Classes.
« Mon concept, c’est une analogie entre les avions en papier qui volent et les élèves qui sont dans ces classes. C’est une illusion ! Ils voleront un moment, ensuite ils plomberont. Le cochon, animal symbolisant la richesse et la prospérité dans la culture chinoise, est représentatif des élèves qui ont un gros potentiel et qu’ils auraient mieux exploité en apprenant un métier, comme dans les classes prevoc. C’est triste ! », affirme celle qui a vu beaucoup d’élèves du système prévocationnel réussir auparavant alors que ceux des Extended Classes se battent vainement contre le système.
D’après Julie Ing Seng Eh Yuen, la formation a donné les clés pour parfaire sa pratique. « Nous avons eu l’occasion d’allier théorie et pratique, de réfléchir et d’apprendre sur les bonnes pratiques et celles qu’il fallait supprimer car jusqu’ici, nous enseignions comme nous pensions avoir été enseignés. Le PGCE nous a aussi permis d’avoir une plus grande ouverture d’esprit. » De plus, elle a choisi du matériel accessible « du papier écrasé », pour faire ses avions et ses cochons. « Cela ne coûte pas cher et c’est un projet que je peux faire avec mes élèves », dit-elle.
Avec plus d’une quinzaine d’années dans l’enseignement en contexte local et international, Raj Tupsy, quant à lui, motivé par ses camarades enseignants, et profitant des nouvelles exigences légales, s’est joint au PGCE, en janvier 2023. « J’ai beaucoup appris concernant les nouvelles pratiques. Aujourd’hui, l’enseignement est plutôt Student-Centered alors qu’auparavant c’était plutôt Teacher-Centered », soutient-il.
C’était aussi l’occasion pour l’enseignant d’explorer le concept de l’effet des technologies nouvelles, notamment avec les téléphones portables et les réseaux sociaux sur les gens dont les enfants. « Aujourd’hui, les jeunes ont oublié leur entourage. On ne sait plus si on a des voisins et des voisines. » Il dénonce aussi la confusion que peut apporter une exposition excessive aux réseaux sociaux.
Quant à Kenji Massoudy, éducateur en art depuis trois ans, cela a été un choix personnel. « Je n’avais pas encore le bagage nécessaire pour enseigner. J’ai beaucoup appris, surtout en termes de gestion de classe et de stress personnel et de stratégies d’enseignement. J’ai aussi appris à écrire des papiers académiques. » Pour son projet, il a souhaité rendre un hommage à ses propres enseignants.
L’artiste a axé son travail sur les souvenirs et sur les liens qui, parfois, avec le temps, s’estompent. Il a choisi de recycler son matériel pour le projet : du carton pour en faire un banc qui pour lui, est « un symbole de confidence », du plastique sur lequel il a dessiné avant de faire du collage. Une technique peu répandue, car « il faut travailler à l’envers », précise celui qui a choisi de déchirer vieux livres et cahiers pour donner corps à son concept.
Il a aussi créé un QR code qui permet aux visiteurs de devenir acteurs de son projet. « Ils peuvent scanner le code, cela les mènera sur une page Google et ils pourront répondre à la question : “eski to prezans kapav ranplas bann ki finn ale.” Pour un éventuel projet solo sur les souvenirs », confie-t-il.
Les étudiants de cette cuvée ont été les premiers à bénéficier d’un module complet sur le Madhubani, souligne Veetasha Jhummun – qui a choisi d’accorder une grande place dans son projet à cette technique ancestrale qui vient de l’Inde. Elle présente un autoportrait et sur le rebord du sari qu’elle porte, elle inscrit, tels des tatouages, les souvenirs de cette grand-mère qui lui a transmis la tradition et la culture de sa communauté.
« Avec ce cours, j’ai ressenti une transformation en moi et j’ai compris ce qu’est un concept et comment le développer. C’est ainsi que j’ai pu exécuter ce travail qui comprend trois œuvres avec du mix media et qui est un travail de mémoire. » Idem pour la régate qu’elle présente avec quelques voiliers sur l’eau et une panoplie de poissons multicolores. Une installation inspirée de ses visites à Mahébourg avec sa grand-mère.
Quant à Michaëlla Babooram, étudiante en Design and Technology, qui a opté pour ce module optionnel, c’était une découverte extraordinaire de l’art et de la peinture. « C’était un module relaxant. C’était juste génial. » Award leader du National Youth Award, au sein de son collège, c’est lors d’une expédition à Mahébourg qu’elle découvre le village, les villageois et les régates. Elle participe dans une installation faite à partir des pots de terre peints au style madhubani pour symboliser toutes les cultures mauriciennes.
L’exposition est visible jusqu’au 22 novembre. Elle est ouverte samedi, jusqu’à midi, et pendant la semaine de 9h à 15h.
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Vick Shibdoyal : « Important que l’enseignant trouve son identité professionnelle et artistique »
Dans une déclaration à Le-Mauricien, à l’occasion de l’exposition Zistw’Art, Vick Kumar Shibdoyal, Senior Lecturer au MIE, évoque l’importance pour un enseignant de trouver « son identité professionnelle et artistique ». « Le PGCE contribue à cela », poursuit notre interlocuteur tout en reconnaissant qu’il s’agit d’une Policy Decision de l’ancien gouvernement. « Le PGCE d’Art et de Design est une formation qui comprend des aspects pédagogique et artistique. Dans le module de didactique, les enseignants apprennent, réfléchissent et expérimentent des méthodes pour enseigner aux élèves dans un contexte du 21e siècle. Ils explorent également les curriculums du National Certificate of Education (NCE) et le Cambridge International Examination (CIE) et les critères d’évaluation. »
Outre l’apprentissage et le développement des pratiques d’enseignement innovantes, il faut aussi qu’ils se connaissent en tant qu’artiste. « Chaque enseignant a un style, et chacun a choisi le concept qu’il souhaitait élaborer pour son projet et il présente trois travaux : une peinture, une sculpture, une photographie, une installation… Il a besoin de travailler régulièrement. Tous les jours même. L’art visuel et le design, c’est comme la musique et la danse : il faut être dynamique et évoluer avec son temps », soutient Vick Shibdoyal.
Aujourd’hui, note-t-il, beaucoup d’élèves ne s’intéressent plus à l’art. « Il est important de les motiver et cela se fait dans la manière d’enseigner. » En outre, fait-il ressortir, un autre groupe terminera sa formation en juillet 2025. « C’est un groupe différent, ils ne sont pas en service. » Il s’agit d’une formation sur quatre semestres, en attendant que le ME revoie la durée de sa formation, comme annoncée il y a quelque temps.