Le Guide - Législatives 2024

Chronique d’une défaite électorale annoncée : « Kot to’nn fote »… et le « BZTD » des Mauriciens

L’Alliance Lepep, comprenant le Mouvement Socialiste Militant (MSM) et ses alliés, dirigée par Pravind Jugnauth, a subi une défaite cuisante lors des élections législatives du 10 novembre, marquant un revers sans précédent pour le parti au pouvoir. Depuis 2017 sans discontinuer, habitué à gouverner comme si le pouvoir lui était acquis de droit, Pravind Jugnauth semble avoir été pris au dépourvu par l’ampleur du rejet populaire qui a
pris la forme d’une déroute. Malgré la gravité de la situation, le Premier ministre sortant s’est contenté de rejeter la faute sur des « forces extérieures »,
refusant de reconnaître les signaux avant-coureurs évidents d’une contestation croissante et un désamour progressif des Mauriciens à son encontre. Une telle posture ne fait qu’exacerber la colère d’une population fatiguée d’un leadership, perçu comme déconnecté et autocratique, d’autant que les Missie
Moustass Leaks ont constitué le dernier clou au cercueil du MSM et de son leadership.

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Pour de nombreux observateurs, la défaite de Pravind Jugnauth n’est pas un simple accident. Elle résulte d’une accumulation de facteurs, dont l’usure du pouvoir et son incapacité à répondre aux préoccupations des Mauriciens, notamment en matière de coût de la vie, de corruption et surtout d’une dérive de plus en plus prononcée vers un autoritarisme et une déconnexion avec la population masquée par des « chatwas » qui profitaient du régime et faisaient croire à Pravind Jugnauth qu’il était adulé dans les chaumières, alors que son aura s’étiolait.
Réalité complexe
La réalité est toutefois plus complexe. La dissection de l’ensemble du mandat de Pravind Jugnauth permet de mieux comprendre à quel point c’est l’ensemble de son œuvre qui, d’un bout à l’autre, l’a bel et bien plombé. Pourtant, son parcours n’est pas dénué de belles réalisations, allant d’une reconnaissance internationale de sa gestion du Covid, la mise sur pied du Metro Express, même s’il n’a pas changé la donne comme attendu dans le flux du trafic routier, le développement de nombreuses infrastructures et d’ouvrages majeurs comme le SAJ Bridge et des complexes sportifs et communautaires à travers l’île, dans des domaines variés allant des routes, autoroutes et ponts, dont les plus marquants sont dans ce qu’était jusqu’ici son bastion au No 8.
Au fil des années, l’administration Jugnauth s’est aliéné une large frange de la population. Les scandales à répétition, notamment les allégations de népotisme et de favoritisme, ont entamé la crédibilité du MSM. Par ailleurs, les réformes souvent impopulaires et jugées mal pensées, ou la gestion opaque des projets de développement, ont renforcé un sentiment de défiance.
Arrogance du leadership
Depuis son arrivée au pouvoir par linpost en 2017, lorsque son père Anerood a dû se soumettre à la démission, Pravind Jugnauth a promis des transformations majeures : moderniser les infrastructures, diversifier l’économie et améliorer le bien-être des citoyens. Malheureusement, ces promesses se sont souvent heurtées à une gestion jugée chaotique et entourée de suspicion de maldonnes et de scandales entourant des figures clés du gouvernement pendant le Covid, notamment avec l’achat de médicaments à des prix scandaleux et d’équipements qui n’ont jamais fonctionné, la mauvaise gestion des ressources publiques. L’absence de solutions tangibles pour résoudre les vrais problèmes sociaux des banlieues ont miné la confiance des Mauriciens.
La perception d’arrogance du leadership du MSM, combinée à son manque de réponse face aux critiques, a contribué à aggraver la situation. Parallèlement, un pouvoir parallèle illégitime, distinct de celui de Port-Louis, s’est établi à Angus Road, à Vacoas. Ce cercle rapproché de proches du pouvoir, surnommé « Lakwizinn », est devenu, au fil des mois, le centre névralgique du pouvoir politique.
Malgré les critiques et dénonciations, cette structure informelle — confirmée par Sherry Singh, l’un des piliers du système qui, après avoir été évincé de Mauritius Telecom pour avoir défié frontalement le Premier ministre, Pravind Jugnauth, a révélé des faits troublants déjà inquiétants — a continué à exercer son « pouvoir ».
Sherry Singh, déjà, avait expliqué qu’il avait refusé de permettre l’accès, à la demande du Premier ministre, à la station de relais de Baie-du-Jacotet à des ressortissants indiens. Ces derniers souhaitaient, semble-t-il, utiliser cet accès pour des opérations d’espionnage visant les ambassades étrangères et les communications sensibles sur les réseaux sociaux mauriciens.
Cet épisode notable s’est finalement déroulé le 12 avril 2022, lorsque trois techniciens indiens sont arrivés à Maurice. Leur mission : installer du matériel électronique permettant d’intercepter les données circulant dans les câbles et d’analyser les échanges des utilisateurs. Cet acte, jugé scandaleux et illégal, a renforcé la perte progressive de confiance à l’encontre du gouvernement, qui depuis n’a pas cessé de perdre du soutien.
L’image du Premier ministre et de son gouvernement était en fait déjà écornée malgré une réélection en 2019 marquée cependant par un recul en nombre de sièges. Trois événements majeurs qui ont marqué son début de mandat allaient faire croître son impopularité, cette fois progressivement légitimisé par la population : la marée noire du naufrage du Wakashio, le Covid-19 et le meurtre de Kaya Kistnen, le chef agent du MSM de sa circonscription de Moka/St Pierre (No 8).
Wakashio, le début
de la fin
D’abord la marée noire du MV Wakashio s’est produite après que le vraquier sous contrôle japonais s’est échoué sur le récif corallien de Pointe-d’Esny le 25 juillet 2020 vers 16h00 UTC. Avec la fuite du fiou dans les semaines suivantes, le vraquier s’est brisé en deux au cours de la pteière quinzaine du mois d’août.
Environ 1 000 tonnes de pétrole se sont déversées dans l’océan. Ce que certains scientifiques ont qualifié de pire catastrophe environnementale jamais survenue à Maurice. Deux semaines après le gouvernement avait décrété la situation d’une urgence nationale. En conférence de presse, il devait interpeller le journaliste du Mauricien Ltd, qui l’interrogeait sur les manquements de cette gestion, « Kot mo’nn fote ?! ». Une phrase aujourd’hui fameuse qui marquera son mandat électif jusqu’au bout, et caractérisera son manque d’empathie, mais surtout un orgueil démesuré.
Cette perception d’un échec du gouvernement à répondre rapidement et efficacement à cette crise environnementale a entraîné des manifestations. Une foule immense — une centaine de milliers de manifestants — s’est ainsi rassemblée dans la capitale à Port-Louis. Et les critiques étaient toutes concentrées sur le Premier ministre, Pravind Jugnauth, avec notamment des appels à sa démission, symbolisés entre autres slogans par les BLD (Bour Li Deor) et les BZTD (Bour Zot Tou Deor) qui font désormais partie du patrimoine linguistique du pays.
Le Premier ministre avait, sans surprise, une nouvelle fois nié toute responsabilité, et ce, malgré des manifestations internationales, principalement menées par la diaspora mauricienne, qui ont également eu lieu au Canada, en Nouvelle-Zélande, en Australie, en Suisse, en France, au Luxembourg, en Allemagne et au Royaume-Uni.
La goutte d’eau
La pandémie de Covid-19 a atteint les rivages de Maurice au début de mars 2020. Les autorités ont rapidement mis en place des mesures de traçage des contacts et de quarantaine pour les personnes exposées au virus, y compris le personnel médical et les policiers.
Les îles Agalega et Saint-Brandon n’ont signalé aucun cas. Maurice a obtenu un score parfait de 100 sur l’outil de suivi des réponses gouvernementales au Covid-19 de l’Université d’Oxford. Depuis le 26 avril 2020, aucun cas de transmission locale n’a été détecté ; tous les cas signalés par la suite étaient importés, provenant de passagers rapatriés et placés en quarantaine à leur arrivée.
Le gouvernement avait annoncé la fin du confinement le 30 mai 2020, tout en maintenant des restrictions sur les activités publiques et les rassemblements. Le 15 juin 2020, toutes les mesures de confinement concernant les entreprises et les activités avaient été levées.
Malgré cette gestion globalement positive, le gouvernement a laissé des plumes importantes à cause des soupçons graves de corruption par rapport aux achats d’équipements médicaux et de médicaments pendant le Covid, notamment l’achat opaque du Molnupiravir. Le leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval, devenu allié du MSM pour les élections, s’en souviendra encore.
Le gaspillage de fonds publics dans des contrats douteux octroyés à des petits copains a entaché cette gestion jugée mondialement correcte. Il faut ajouter à cette gestion désastreuse le décès de 11 patients dialysés en mars et avril 2021 en plein Covid avec un rapport accablant quant à la gestion du ministère de la Santé dans cette affaire et que le ministre ait pu survivre à une telle négligence médicale !
L’inconcevable meurtre de Kistnen et des autres morts suspectes
Le meurtre de Soopramanien Kistnen, chef agent du MSM au No 8, reste un mystère non résolu depuis la découverte de son corps calciné dans un champ de cannes à sucre le 18 octobre 2020. L’enquête judiciaire, présidée par la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath, a rejeté la thèse du suicide avancée par la police et a conclu, en octobre 2022, qu’il s’agissait d’un homicide criminel. Cette conclusion a incité les autorités à relancer les investigations, mais depuis, les progrès ont été limités, malgré les appels répétés de la veuve et d’autres proches pour obtenir justice.
En août, dernier l’affaire a amorcé un tournant critique lorsqu’un agent des Fire and Rescue Services, Vishal Shibchurn, un protégé du régime, qui a été lâché, a déposé un affidavit explosif. Shibchurn affirmait agir par remords pour dénoncer des malversations politiques et financières liées au meurtre de Kistnen. Bien qu’il ait nié toute implication directe dans le meurtre, il a cité plusieurs noms, soulignant les possibles motivations politiques et financières derrière le crime. Cela a alimenté les soupçons selon lesquels le meurtre pourrait être lié à des différends internes au MSM et à des irrégularités financières, notamment concernant le remboursement de services lors des élections de 2019.
L’enquête judiciaire avait déjà révélé plusieurs négligences policières préoccupantes, telles que l’absence de vidéos de surveillance et une gestion défaillante des preuves. Malgré la pression de Me Rama Valayden et du groupe Avengers, qui ont levé le lièvre du meurtre, pour faire éclater la vérité, les avancées dans l’enquête demeurent minimes. L’affaire est également marquée par les Kistnen Papers, révélés dans les colonnes du groupe Le Mauricien, portant sur des malversations dans les marchés publics pendant la pandémie de Covid-19.
Ces révélations suggèrent l’existence d’un réseau de corruption, et des soupçons d’implication d’autres fonctionnaires décédés dans des circonstances similaires sont désormais sur la table, avec entre autres Pravind Kanakiah, Sarah Boitieux, Faheza Mooniaruth et d’autres moins médiatisés.
Cette situation a mis en lumière une crise de confiance profonde à l’encontre des institutions, avec un manque de transparence qui nuit à l’avancement de l’enquête et à la quête de justice pour la famille de Kistnen, par exemple. En parallèle, le Premier ministre, Pravind Jugnauth, a annoncé qu’une enquête interne avait conclu à l’innocence de son ancien ministre Yogida Sawmynaden, prétendant qu’il n’avait aucune implication dans la mort de Kistnen.
Cependant, plusieurs éléments troublants persistent, notamment l’absence du PM aux funérailles de Kistnen et son comportement étrange, comme le fait qu’il n’ait jamais rencontré la veuve ni avant ni après l’enterrement. De plus, il a publiquement mis en doute la crédibilité de la famille de Kistnen, ce qui soulève des questions au sujet de ses intentions dans cette affaire complexe.
Série d’échecs et d’abus
La gestion du gouvernement MSM de Pravind Jugnauth ces dernières années a été marquée par une accumulation d’échecs et de controverses qui suscitent un mécontentement croissant parmi la population.
Il est crucial de ne pas minimiser la colère populaire qui s’est exprimée face à l’utilisation du Parlement comme instrument politique, notamment par un Speaker controversé dont l’attitude a, durant ces cinq dernières années, empoisonné le bon fonctionnement de l’institution parlementaire. Cette situation a provoqué une frustration croissante, exacerbée par le renvoi sine die des élections municipales, un geste qui a été perçu comme un mépris flagrant envers les électeurs urbains.
Dans le domaine des libertés individuelles, l’usage de la police pour des arrestations arbitraires et du planting de drogues d’opposants politiques trop gênants sont également des pratiques préoccupantes portant atteinte à la démocratie et à l’État de droit.
La minimisation du rôle du Directeur des Poursuites publiques (DPP) constitue un autre aspect inquiétant de cette dérive, avec une police agissant souvent sans les garde-fous nécessaires, notamment ceux du bureau du DPP.
La création de la Financial Crimes Commission, mise en place en décembre 2023, qui a remplacé l’Independent Commission Against Corruption (ICAC), s’inscrit dans cette même logique de la marginalisation des institutions, suscitant une grande controverse, notamment en raison de sa gestion opaque et de ses liens perçus avec des intérêts politiques du pouvoir, ce qui soulève des inquiétudes quant à son indépendance et son efficacité dans la lutte contre la corruption et les crimes financiers.
Errements économiques
La dépréciation de la roupie a amplifié le coût des importations, pesant lourdement sur le pouvoir d’achat des Mauriciens. Parallèlement, des décisions coûteuses, comme le remboursement de Rs 5 milliards à Betamax et Rs 2 milliards au Patel Group, ont aggravé les pertes publiques.
Des initiatives coûteuses comme le Metro Express (Rs 20 milliards) et le réseau de Safe City (Rs 19 milliards), sont perçues comme surévaluées, sans véritable impact sur les problèmes quotidiens de la population. L’Extended Programme a été un échec retentissant, avec un taux d’échec de 96%. Par ailleurs, des promesses phares, dont l’accès à l’eau 24/7, restent non tenues, malgré une décennie d’engagements.
Les accusations de malversations autour d’Angus Road, impliquant le Premier ministre, et les allégations sur des fonds suspects à l’étranger ternissent davantage l’image du gouvernement. De plus, les nominations controversées favorisant des proches et alliés politiques affaiblissent les institutions, notamment la MBC, devenue, comme toujours, un outil de propagande.
Et les courses hippiques, enlevées au MTC, après plus de 210 ans, par des subterfuges de bas étage des services du gouvernement, avec la GRA et la COIREC en tête pour favoriser l’un des financiers autodéclaré du MSM,  Jean Michel Lee Shim, ont aussi touché au coeur les turfistes et plus encore la population mauricienne qui a avait perdu son Maiden annuel, une des messes qui unit dans une même élan le melting pot mauricien.
Enfin, l’explosion du trafic de drogue touchant une large partie des jeunes Mauriciens, impliquant des personnalités liées au pouvoir, dont une bien placée, est alarmante. Sur le plan des infrastructures, le naufrage du remorqueur Sir Gaëtan Duval sans permis valide, causant quatre morts, reflète une gestion négligente à bien des égards.
Face à ces multiples crises, le gouvernement de Pravind Jugnauth a soulevé une défiance grandissante de la part de la population. L’urgence d’une remise en question profonde semblait inévitable pour restaurer la confiance du public et relever les défis auxquels le pays est confronté.
Mais Pravind Jugnauth n’a pas entendu tous ces appels à une prise de conscience de cette dégradation de la société. Et le résultat est tombé dès la fermeture des bureaux de vote le dimanche 10 novembre…

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