À Maurice, la présence des chiens errants constitue un vrai problème au point où, pour s’en débarrasser, des personnes malintentionnées ont recours aux méthodes les plus cruelles à leur égard, en toute impunité. Les actes de cruauté perpétrés sur les animaux sont chaque jour déplorés sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, les cas d’agression de la part des chiens errants sont rares et, à en croire les rescuers et nourrisseurs sur le terrain chaque jour, dépendent souvent du comportement des hommes à leur égard. Ce que le DogsTrust Worldwide (qui mène et soutient des projets sur cinq continents) et la Coalition ICAM (qui intervient également dans plusieurs pays) confirment. Après l’interview dans Week-End de Debbie Wilson (membre de la European Link Coalition) sur le lien entre les actes de cruauté animale et la violence perpétrée sur les humains, deux Organisations non-gouvernementales (ONG) et coalition internationales ont accepté de répondre à nos questions et nous éclairer quant à l’attitude à adopter à l’encontre des chiens errants.
Le phénomène n’est pas nouveau, mais prend de l’ampleur. Chaque jour, des bénévoles chargés de nourrir au quotidien, traiter et stériliser les animaux errants, notent, impuissants, la disparition de dizaines de chiens errants. Ébène, Moka et Bambous sont parmi les plus récents. Des disparitions sont également notées au sein de certains gated community ou encore à proximité de certains hôtels.
L’élimination à grande échelle des chiens par des méthodes cruelles est souvent une façon de contrôler la population. Les modes opératoires sont variés, dépendant s’il s’agit d’individus habitant la localité, d’une compagnie privée ou autre. Aboiements, poubelles vidées ou renversées, crottes de chiens, tout est prétexte pour éliminer les animaux, condamnés à vivre dans la rue après avoir été abandonnés par leur propriétaire. À l’heure où les histoires macabres sont en constante hausse chez ces chiens errants, victimes d’une mauvaise réputation et vus par la société comme des animaux dangereux et agressifs, nous avons demandé à deux spécialistes – le Dr Jenna Kiddie, responsable du comportement canin au Dogs Trust Worldwide, et le Dr Elly Hiby de la Coalition ICAM – de nous éclairer quant à l’attitude à avoir / ne pas avoir envers les chiens errants.
Le Dogs Trust Worldwide mène et soutient des projets sur cinq continents, dans des pays comme la Thaïlande, l’Inde, le Sri Lanka, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Serbie et les États-Unis. La Coalition ICAM est un groupe inter-organisationnel composé de représentants de l’International Fund for Animal Welfare (IFAW), de la Humane Society International (HSI), de la Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals (RSPCA) International, de la World Animal Protection, de FOUR PAWS, de la World Small Animal Veterinary Association (WSAVA) et de la Global Alliance for Rabies Control (GARC). Cette coalition a été créée afin de soutenir le développement et l’utilisation d’une gestion sans cruauté et efficace des populations d’animaux de compagnie dans le monde entier. Tous les organismes faisant partie de la Coalition ICAM ont pour but commun d’améliorer le bien-être des animaux.
Si les aboiements, les poubelles vidées et crottes de chiens font partie des raisons motivant à la cruauté, des cas de morsures et d’agressions, occasionnelles poussent également à l’empoisonnement, laissant des animaux mourir dans d’atroces souffrances. Pour le Dr Jenna Kiddie, comme pour le Dr Elly Hiby et Patrick Gerard, directeur du plaidoyer, un animal errant n’a pas forcément le réflexe d’attaquer sans raison. lls tiennent à rappeler que dans la majorité des cas, les chiens errants ou en liberté ont tendance à bien gérer leur distance avec les humains. « La plupart des chiens en liberté ne sont pas intrinsèquement dangereux. Ils évitent généralement les conflits avec les humains et préfèrent interagir positivement, ou éviter complètement toute interaction. Cependant, tout chien – ayant un maître ou errant – peut réagir de manière défensive s’il se sent menacé », explique le Dr Elly Hiby.
Le Dr Jenna Kiddie abonde dans le même sens : « La grande majorité des chiens errants ou en liberté vivent en paix aux côtés de leurs communautés humaines – les chiens co-évoluent avec les humains depuis des dizaines de milliers d’années et ont développé des traits de comportement pour permettre cette coexistence harmonieuse. La principale raison pour laquelle un chien, y compris les chiens en liberté, adopte un comportement agressif, comme mordre, est qu’il se sent menacé par quelque chose. La façon dont ils se comportent en réponse à ces menaces dépend de facteurs tels que la génétique individuelle, les expériences d’apprentissage antérieures, la santé et l’environnement, y compris leur capacité à échapper à ce qui les fait se sentir menacés : par exemple, s’ils sont acculés et incapables de s’échapper. Ils n’ont, peut-être, pas d’autre choix que d’adopter un comportement agressif. Un comportement agressif vise généralement à augmenter la distance entre le chien et ce qu’il perçoit comme menaçant ou potentiellement menaçant. »
Pour elle, les trois comportements à retenir sont : « Ne touchez pas un chien lorsqu’il dort, ne touchez pas un chien lorsqu’il mange, ne touchez pas un chien avec des chiots, ou des chiots apparemment seuls. » Et les trois comportements à retenir si, malgré ce qui précède, un chien vient vers vous de manière apparemment agressive : « Ne courez pas et ne criez pas. Restez immobile, gardez les mains à vos côtés (« agissez comme un arbre » !). Si vous tombez, roulez-vous en boule et rentrez vos bras et vos jambes (« agissez comme un rocher » !) ». Karen Reed, quant à elle, exhorte de consulter le blog https://www.icam-coalition.org/evidence-against-culling-dogs-and-cats qui contient de nombreuses informations utiles sur les raisons pour lesquelles l’abattage est inhumain et inefficace. Il comprend également des informations sur la position de l’Organisation mondiale de la Santé animale, la sentence des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, etc.
« L’empoisonnement, un acte des plus cruels »
Pour le Dr Elly Hiby, « La clé pour éviter les conflits est de ne pas présenter une menace à un chien en premier lieu, et de reconnaître que sa perception de la menace sera différente de la vôtre. Par exemple, l’interaction avec les chiots peut se faire sans intention de nuire, mais la mère peut percevoir cette interaction comme une menace pour leur sécurité. Un chien peut être blessé et ressentir de la douleur, sans montrer de signes évidents, mais votre approche ou votre contact peut déclencher cette douleur. Les chiens peuvent garder des ressources qui sont vraiment importantes pour eux, notamment la nourriture, un abri ou l’accès à un lieu sûr, et percevoir votre approche comme une menace pour ces ressources.«
Selon le Dr Elly Hiby, les chiens présentent généralement un comportement défensif lorsqu’ils se sentent effrayés, menacés, ou lorsqu’ils protègent leurs ressources. « Les expériences passées négatives avec les humains, le manque de socialisation ou la compétition pour des ressources limitées peuvent augmenter le risque de comportement défensif. Comprendre ces facteurs nous aide à identifier le moment où une agression est susceptible de se produire et à éviter l’interaction ou à réduire la menace », affirme-t-il. La gestuelle et l’attitude de l’homme avec ces animaux ont un impact direct sur leur comportement. C’est pourquoi, comme le Dr Jenna Kiddie, il conseille, en cas de confrontation avec un chien errant présentant des signes d’agressivité, d’éviter tout contact. « Marcher avec confiance, mais calmement, dans les espaces publics. Évitez tout contact visuel direct avec les chiens, car cela peut être considéré comme menaçant. Si vous rencontrez un chien qui se comporte de manière agressive, ne courez pas, mais éloignez-vous lentement. En tant que communauté, réfléchissez aux raisons pour lesquelles les chiens de votre quartier pourraient se sentir effrayés ou menacés : existe-t-il un problème de bien-être qui peut être résolu ? Souffrent-ils, ont-ils faim ou ont-ils peur de quelqu’un ? Existe-t-il un moyen de récompenser un comportement amical et calme ? »
Quelle attitude éviter ? « Ne courez jamais, car cela pourrait déclencher une réaction de poursuite. Ne faites pas de bruits forts ni de gestes menaçants. N’approchez pas les chiens, surtout lorsque vous mangez, ou des chiots. Ne coincez pas et ne piégez pas les chiens. N’établissez pas de contact visuel direct et ne montrez pas les dents. »
Tandis que le World Veterinary Service (WVS), une grosse ONG internationale, avait vu leur proposition – soumise au gouvernement mauricien visant à stériliser massivement les chiens errants – rejetée, et que de petites campagnes organisées autour de l’île par les ONG et les autorités sont sans grand résultat, l’empoisonnement semble être la méthode la plus courante, à en croire ONG, rescuers, bénévoles et autres témoins qui exposent des cas sur les réseaux sociaux chaque jour.
Pour le Dr Elly Hiby, « l’empoisonnement et autres actes cruels envers les chiens sont inhumains. Ces méthodes provoquent des souffrances inutiles et ne résolvent pas les problèmes sous-jacents. La cruauté envers les animaux en présence d’enfants a des effets néfastes sur leur développement et est contraire à la Convention relative aux droits de l’enfant. Cette Convention exige que les enfants soient protégés contre le fait d’être témoins de violences, y compris de violences infligées aux animaux. Les preuves scientifiques montrent qu’une gestion humaine de la population canine – y compris des programmes de stérilisation et de vaccination, permettant une propriété responsable et un engagement communautaire – est plus efficace à long terme« , affirme-t-il.
L’ICAM recommande des approches à l’échelle communautaire pour établir des relations positives entre les personnes et les chiens. Une stratégie réussie identifie les risques présentés par les chiens errants actuels et s’efforce de les minimiser, mais identifie également la source de ces chiens et développe un système pour traiter ces sources. Ce système peut inclure des services tels que le CNR (Catch-Neuter-Release) qui est déjà pratiqué à Maurice à petite échelle, l’éducation communautaire sur le comportement des chiens et les interactions sûres avec les chiens, l’éducation des enfants sur le bien-être des animaux et les comportements sûrs autour des animaux, des services permettant une propriété responsable tels que les soins vétérinaires, Identification, enregistrement, relogement et application appropriée des lois sur le bien-être animal pour protéger les chiens de la cruauté. La gestion de la population canine relève de la responsabilité des autorités – en tant que système permanent de services qui apporte de nombreux avantages aux animaux et aux personnes –, mais peut être réalisée en collaboration avec de nombreux partenaires, notamment des ONG et des entités privées telles que des cliniques vétérinaires.