Robert FURLONG
- 6 novembre 1954 : Robert-Edward Hart est mort. C’était il y a 70 ans.
Dans une Lettre ouverte à Dieu, poème publié dans la revue Vergers (septembre 1926) de son ami Marcel Cabon, Robert-Edward Hart écrivait ceci :
Et puis, concédez-moi un bout de plage
où batte la mer, que j’y vive en harmonieux silence.
Faites-moi souffrir de temps en temps, un peu, pas trop, merci,
– afin que je demeure doucement humain
et que mes yeux n’oublient pas de regarder le ciel.
Né en 1891, Hart a 50 ans quand il prend sa retraite du Mauritius Institute où il était bibliothécaire, un retrait prématuré dû à une allergie à la… poussière, mal on ne peut plus incommodant au milieu de livres, de cartes et tableaux anciens etc… Lui qui avait vécu une forme de nomadisme insulaire en changeant sans cesse de lieu de vie – Port-Louis, Curepipe, Vacoas, Curepipe Road, Phœnix, etc. – décide enfin de jeter l’ancre.
Est-ce Dieu qui répond à son rêve de poète en le guidant vers ‘un bout de plage’ à Souillac, à proximité de la résidence d’un ami de toujours, Émile Labat. Avec son fonds de retraite, il achète une maison en bois recouverte de chaume, un peu spartiate et, malheureusement, vétuste. Le cyclone de 1945 abîme sérieusement cette maison et la générosité de ses amis permettra la construction de sa maison de corail. Pour celui qui avait tant célébré la mer indienne (un recueil de 1925 porte le titre de Mer Indienne), n’est-il pas finalement dans l’ordre des choses que son domicile soit construit de ces ‘roches-fleurs’ issues de la mer ?
Souillac devient alors le chemin obligé, le lieu de convergence de tous les écrivains, artistes, intellectuels de Maurice et d’ailleurs… Ce qui est loin de déplaire à Hart, qui aime recevoir pour partager repas, alcools et idées ! Conscient d’en omettre plusieurs, citons – pour mémoire – les Charoux, Raymonde de K/Vern, Cabon, Hazareesingh (qui en 1934 réalisa avec le poète indien Goomansingh les premières traductions de Hart en hindi), Chazal, les Masson, Max Moutia, Beejadhur, Decotter, les jeunes Vaco Baissac et Pierre Renaud, l’académicien français George Duhamel… Ces pèlerins vers Souillac n’allaient pas pour vénérer ou flatter un modèle… Ils cherchaient autre chose : certains peut-être un peu de « cette paisible lumière vers laquelle il s’acheminait à pas confiants » (P. Renaud) ; d’autres, un peu de cette mauricianité profonde dont Hart témoignait sans cesse et dont il a dit « le ciel, les arbres, la mer céruléenne, les monts au loin étendus comme des bêtes héraldiques » (Marcel Cabon) ; d’autres, encore, un fragment de ce témoignage de la Lémurie des géants que Chazal allait extrapoler ensuite ; d’autres, aussi, venaient plonger dans l’interculturalité qui a permis à Hart d’échafauder en lui « l’âme d’un homme libre, absolument libre ».
Robert-Edward Hart est mort le 6 novembre 1954. Un samedi matin. Il a été trouvé mort dans sa salle de bains. La veille encore, il avait mis un avis dans la presse pour vendre de rares objets de valeur lui appartenant tant il manquait d’argent pour vivre.
« Si l’œuvre doit durer, qu’importe que l’on meure », écrivait-il dans Pérennité (L’ombre étoilée, recueil de 1924, soit il y a juste 100 ans). Robert-Edward Hart est mort et son œuvre dure toujours. La Nef, la seule authentique maison de poète devenue musée à Maurice – réduite en poussière à un moment par une aberration administrative – offre de nouveau en partage aux visiteurs cette sérénité que Hart était venu chercher.
Le mythe, façon Hart
Avant Chazal en 1951, il y eut la volonté de Robert-Edward Hart, entre 1928 et 1936, de créer une autre lecture de l’île Maurice, avec son cycle de Pierre Flandre. Le dialogue connu, entre Pierre et le « vieux brahmine » Ananda résume bien cette ambition. À l’angoisse de Pierre devant les dérives du monde occidental demandant « Où fuir ? », Ananda répond : « Nulle part. Demeure ici. Des dieux propices veillent sur cette île, un des derniers lieux au monde où l’homme puisse garder le sens de la nature et de la liberté intérieure, de la lumière, de la Beauté, de l’évasion en soi-même. »
Mais cette volonté – trop poétique dans sa formulation – s’est dissoute dans les mémoires. Définitivement, Hart n’est pas Chazal. Hart demeure plutôt sur le versant doux, peu abrupt de la montagne… Ses paysages sont suaves, bucoliques. Ses montagnes ne descendent pas faire le carrousel dans la plaine et ne jouent pas à cache-cache comme celles de Chazal. Le poète ne croise aucun personnage d’une intelligence supérieure, communiquant par télépathie… Le mythe hartien est une Montagne-Fée, sa féerie tient de la magie et du plaisir panthéiste et sera plutôt pourvoyeuse de miracles poétiques, nés des arcs-en-ciel prêtés par « la profondeur de ses ravins »… Ce mythe ne laissera pas d’empreinte chez les historiens de notre littérature… Et, pourtant, c’est bien Hart qui est à l’origine du mythe chazalien en initiant Chazal, lors d’une visite fin 1950 à Souillac en compagnie d’Hervé Masson, aux écrits du réunionnais Hermann, Les révélations du Grand Océan (1927) dévoilant ce continent primitif englouti par suite d’une catastrophe cosmique et au-dessus duquel vivent aujourd’hui les habitants des Mascareignes : la Lémurie…
Robert-Edward Hart – Le poète ne meurt pas (extraits)
Est mort le prince des poètes de l’île Maurice.
Un mot résume Hart : esthétisme.
Hart plaçait la Beauté au-dessus de tout. [….]
Européen par son penchant physique, Hart s’était re-né aux bords du Gange ou dans un de ces hypogées bouddhiques.
C’était un bonze dans ses habits à l’européenne et dans son raffinement incomparable d’homme de salon. […]
L’homme cependant s’était fait une sagesse, qui, depuis de longues années, s’était stabilisée.
Né dans la beauté, pour la beauté, par la beauté, Hart tentait de rejoindre Dieu.
Christique il l’était, mais en Grec.
Le Dieu du Beau était pour lui le seul Dieu. […]
Car jamais le poète n’est plus vivant que quand il est mort.
Dans Pierre Flandre, cependant, Robert-Edward Hart a donné son tout.
L’homme était plus poète, à mon sens, dans sa prose que dans ses vers.
Dans ses vers, Hart cherchait la musique. Dans sa prose, il s’exhaussait par la pensée. Et le balancement de ses mots donnait une nostalgie à une pensée désabusée et en même temps enchantée.
Hart croyait, comme tout Oriental, à la réincarnation.
Que de fois, quand commençait la nuit, n’a-t-il pas fait un geste vers Vénus, saluant à l’avance, le site où, selon lui, il reprendrait souffle.
Et je me questionne : quelle est la différence entre un homme intelligent qui meurt et celui qui n’a pas senti vibrer un au-delà des choses d’aimer ?
Quand on m’a annoncé la mort de Hart, ma première pensée a été : que voit-il ? Car le poète voit. […]
Hosannah, ne plaignez pas, amis, ce trépassé.
Il aspire à ce qu’il a été, et il est ce qu’il était devenu dès avant que l’ange de lumière ait soufflé le souffle mortel.
Le poète ne devient pas, il est.
Son immortalité, c’est le souffle de l’Esprit qui l’inspira, avant qu’il l’aspire vers les contrées d’où il n’y a pas de retour, car le poète, dans l’enfer d’ici-bas, est un extradé.[…]
La Nef, qu’en fera-t-on ? Elle ne saurait être qu’un lieu poétique. Qu’on la lègue aux poètes, en site du souvenir.
Rien ne saurait assoiffer l’âme du poète mort dans la misère, après avoir vécu dans l’indigence, qu’une œuvre vive qui servirait en même temps que la Poésie, le culte du Beau qu’a tant pratiqué notre grand ami.
Que les jeunes en profitent, et que les épines soient épargnées pour eux sur le chemin des roses.
Qu’on verse à la mémoire de celui qui a tant servi l’île Maurice les cendres de nos roupies, afin que sur ce fumier jaillisse le bourgeon d’idéal, sans quoi aucun pays ne vaut.
Je proclame Robert-Edward Hart un des grands Mauriciens qui ont vécu, sinon le plus grand, car la Beauté n’est-elle pas cela même sans quoi nul bien ne vaut ?
Et qu’est la Beauté, sinon la rayonnante lumière ?…
Hart a concouru à l’âme de l’île Maurice. L’homme est désormais sur nos plages, plus vivant qu’avant.
Il est un exemple. Il s’est fait un nom. Il vit.