Cruelle et dramatique juxtaposition

Comme le bambou, la démocratie plie mais ne rompt pas. Dans la nuit de jeudi à vendredi, l’Information and Communication Technologies Authority (ICTA) a franchi une étape que la fierté de tout Mauricien n’aurait osé nullement envisager.

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Ainsi, avec tambour et trompette, Access Now annonce que « another country joins our shame list of offenders as Mauritius blocks access to digital platforms ahead of elections! » Le choc de cette décision face à un danger ressenti à l’Hôtel du Gouvernement a été des plus traumatisants pour la population, et surtout pour les jeunes, qui sont des heavy users des plateformes de réseaux sociaux. Le communiqué de l’ICTA est d’une précision chirurgicale sans égal.

L’accès à Facebook, TikTok, et autres est bloqué jusqu’au 11 novembre. Cette dernière date revêt une importance dans le calendrier menant aux élections générales. Parmi les Top Chefs de Lakwizinn du Prime Minister’s Office, n’y a-t-il pas un aide-commis de cuisine qui aurait attiré l’attention sur le fait que le soupçon de sel du Blocking of All Social Media était trop prononcé ? Au risque de gâter toute la sauce.

Vendredi matin, après un premier round marqué par un sentiment d’incrédulité face à la nouvelle réalité, une lame de fond sournoise constituée des composantes du quotidien à Maurice – de la grand-mère, qui a lutté contre un écran blanc alors qu’elle tentait de se connecter avec ses proches, aux organisations économiques et professionnelles, dont Business Mauritius, aux jeunes professionnels conscients de l’enjeu de la connectivité dans le monde – s’est mise à déferler. Et le touriste aussi, tentant d’établir des contacts à travers ces mêmes réseaux sociaux.

Le message était subtil mais ferme. Probablement se résumant à un Enough is enough. La ligne rouge en matière de contraintes et d’obstacles sur le chemin de l’exercice des droits démocratiques a été franchie. Surtout dans un contexte où chaque abonné des services de téléphonie entretient une appréhension : son intimité est confisquée en toute impunité. Face aux avalanches de Missie Moustass Leaks, aucune autorité compétente n’est venue de l’avant pour rassurer le citoyen lambda au sujet des pratiques illégales d’écoutes téléphoniques à grande échelle, pratiquées depuis des années.

Le temps d’une opération de damage control à la mi-journée vendredi et un point de presse en cours d’après-midi, le diagnostic du cancer anti-démocratique s’était propagé à l’international. La communication de Internet Society Pulse à ses membres, à travers le monde, était sans appel: « The government of Mauritius has ordered the blocking of all social media services from November 1 through November 11, the day after the country’s national assembly election on November 10, 2024. »

Aussi virulent dans la forme que l’attaque d’Access Now, classant Maurice dans la même catégorie que le Bangladesh de l’ère Sheikh Hasina, aujourd’hui révolue, ou même le Mozambique en proie à des convulsions post-électorales.

Des réactions légitimes et prévisibles. Mais ce qui ajoute à la dimension de la dignité souillée de la république de Maurice est cette séquence de nouvelles défilant sur les téléscripteurs des abonnés de l’Agence France-Presse dans le monde. Une cruelle et dramatique juxtaposition de nouvelles, mettant à rude épreuve l’apparat de la démocratie dont se revêt la république de Maurice.

Vendredi 1er novembre, 10 h 58, la dépêche de l’AFP se lit comme suit :       « Île Maurice : les réseaux sociaux bloqués après un scandale d’écoutes téléphoniques. »  Sans commentaire sur les conséquences à l’international.

Ce même vendredi, 10 h 59 : l’AFP informe depuis Gaborone : « Élections au Botswana : le président reconnaît sa défaite. » Le gouvernement sortant de ce pays d’Afrique, souvent en rivalité avec Maurice dans les indices de notation, a connu un règne sans partage durant 56 ans.

Cette seconde pourrait s’avérer volatile, face aux explications d’atteintes probables à la sécurité nationale ou encore de cyberattaques contre des cibles politiquement stratégiques. Mais cette même seconde vient consolider les analyses du récent Mo Ibrahim Index au sujet de la bonne gouvernance à Maurice.

Toutefois, le dénominateur commun entre les écoutes téléphoniques illégales, servant de toile de fond aux dénonciations de pratiques abusives dans des institutions avec les Missie Moustass Leaks, et le blocage de l’accès à Facebook et TikTok est ce viol en toute impunité de la dignité humaine.

L’article 1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne n’affirme-t-il pas que « la dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée » ou encore que « la dignité de la personne humaine n’est pas seulement un droit fondamental en soi, mais constitue la base même des droits fondamentaux » ?

Et le respect de l’intimité de chaque citoyen ne peut qu’être le prix à payer pour l’épanouissement de la dignité humaine dans toute démocratie digne de ce nom.

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