Les « Moustass Leaks » et le blocage des réseaux sociaux ont ouvert une boîte de Pandore dont le Premier ministre sortant, Pravind Jugnauth, a tenté de refermer, vendredi, face à la presse. Au motif que le PMO aurait subi une cyberattaque terroriste sur son système informatique, incluant ses téléphones fixes, « la décision a été prise de limiter l’accès à certains réseaux sociaux afin de ne pas compromettre la sécurité de l’État », dit-il. Au sujet des bandes-son mises en ligne jeudi, sur YouTube par « Missie Moustass », le chef de l’État a confirmé que c’était bien sa voix qui était audible sur certains enregistrements, même s’il évoque d’éventuelles manipulations sur sa fabrication. Face à ce qu’il semble considérer comme étant « une cabale orchestrée en cette période électorale », le concerné a émis des accusations graves, imputant à l’opposition et d’autres individus d’être de connivence…
L’atmosphère est lourde au bâtiment du Trésor. Pravind Jugnauth a fait son entrée avec une dizaine de minutes de retard et s’apprête à se livrer à un exercice périlleux. Flanqué des ministres sortants Deepak Balgobin et Maneesh Gobin, il a laissé tomber la cravate. Une apparence décontractée qui tranche avec la situation d’extrême délicatesse dans laquelle il se retrouve depuis le malaise provoqué par la suspension de l’accès à certains réseaux sociaux où l’homme mystérieux à la moustache a le vent en poupe.
Le Premier ministre sortant a traversé ces 50 minutes d’allocution en équilibre sur un fil, à l’image de la traversée qui l’attend jusqu’à la prochaine échéance électorale. Pour ne pas tomber dans le gouffre, Pravind Jugnauth a, dans un ton calme et posé, tenté de justifier le choix difficilement compréhensible de censurer les réseaux sociaux, en précisant qu’une enquête policière était est en cours pour « déterminer comment ces enregistrements ont été réalisés et ont été procurés. »
Le chef de l’État a souligné que la décision de bloquer l’accès à certains réseaux sociaux a été prise après mûre réflexion et sur la base de rapports qu’il a recueillis auprès des instances responsables de la sécurité de notre République et que le blocage était temporaire. « Il existe un risque réel que la ligne de téléphone fixe du Bureau du Premier ministre ait été placée sur écoute de façon illégale. C’est très grave, car cela compromet non seulement la sécurité nationale, mais également l’intégrité de notre pays », dit-il, sans toutefois apporter de l’eau au moulin à cette thèse. Questionné par un journaliste sur l’ampleur de la cyberattaque, Pravind Jugnauth ne s’est pas dérobé, mais sa réponse recèle des zones d’ombre qui mériteraient plus d’éclaircissements.
« La raison pour laquelle on s’est rapproché de l’ICTA, c’est qu’on a des renseignements qu’il y aura d’autres fabrications qui porteront atteinte à la paix dans le pays, comme cette supposée conversation où on parle de religion. Cette mesure prise pour limiter les plateformes était nécessaire. Nous sommes en discussions avec elles », a fait ressortir le PM sortant. En fin observateur, Jean-Claude de L’Estrac a soutenu, vendredi, sur une radio privée que « me basant sur toutes les conversations relayées par Missie Moustass, il n’y a absolument rien qui est susceptible de mettre en péril la sécurité de l’État. En revanche, cette décision du Premier ministre sortant a mis en péril l’image et l’avenir même du pays ! »
Et quid du CP Dip ?
La presse a cuisiné le PM sortant sur « les propos tenus par le patron de la police envers la Vierge Marie » en lui demandant si les autorités agiront promptement dans la conjoncture en poussant le principal concerné à la sortie, le temps que l’enquête qui a été diligentée pour faire la lumière sur ce sinistre affaire rende son verdict ? Que nenni ! Pravind Jugnauth n’est pas prêt de lâcher du lest, en témoigne sa réponse dans équivoque : « Nous ne voulions pas que la police enquête sur un commissaire de police. C’est la raison pour laquelle une commission d’enquête totalement indépendante… »
« Conscient des implications politiques ! »
D’autres observateurs avertis soutiennent que cette décision controversée qui a exacerbé la colère des férus de Facebook, YouTube et TikTok, entre autres, a définitivement sonné le glas des ambitions de Pravind Jugnauth de reprendre les rênes du pays pour un troisième mandat consécutif. Le chef l’Etat s’est-il tiré une balle dans le pied à quelques jours du scrutin ? En guise de réponse à un confrère, Pravind Jugnauth persiste et signe : « Je n’ai pas pris cette décision, qui comporte des implications politiques, de gaieté de cœur, croyez-moi. Elle a été prise à partir d’informations que nous avons. Je suis déterminé à assurer la sécurité et l’intérêt du pays. Il y a certains pyromanes qui essaient de mettre le feu aux fondations de notre République. »
Navin Ramgoolam et Sherry Singh
Le PM sortant croit dur comme fer que le leader de l’Alliance du Changement, Navin Ramgoolam, et son ex-acolyte, Sherry Singh, font partie des individus qui tirent les ficelles dans l’ombre en exploitant les « Moustass Leaks » à des fins politiques. « Nou tou kone ki sa finn komanse kan Navin Ramgoolam finn zwenn Sherry Singh. C’est clair que c’est un complot qui coïncide avec la campagne électorale. L’opposition est tellement désespérée qu’elle s’adonne à ce basses besognes », dit-il.
Pravind Jugnauth a confirmé que c’était bien sa voix qu’on entend sur certains enregistrements relayés par celui qui tient en haleine tout un pays depuis deux semaines.
« Mo kapav konfirm zot ki se bien mo lavwa.
« C’est bien ma voix, mais… »
Me par kont mo pa kapav konfirme si sa bann propo ki atribie a mwa la zot genuine. Il y a deux conversations où je parle avec le secrétaire du cabinet. Dans l’une, on ne comprend pas vraiment ce qui est en train d’être dit, mais l’autre est plus clair. Je ne connais pas le contenu et jusqu’à quel point il est correct », dit-il.
Une question revient en boucle dans cette nébuleuse affaire. Le PM sortant est-il en train de s’emmêler les pinceaux en soutenant d’abord que c’est l’Intelligence Artificielle (IA) qui est à l’origine des voix relayés par Misssie Mousstass, avant de confirmer que c’était bien sa voix qu’il a entendue dans quelques enregistrements, pour finalement affirmer que l’opposition et Sherry Singh étaient en train d’exploiter ce filon dans le cadre de la campagne ?
Pravind Jugnauth ne l’entend pas de cette oreille en soutenant que « Non. J’ai bien fait ressortir que quand certains enregistrements ont été publiés, des personnes sont allées faire des dépositions à la police dans lesquelles elles soulignent qu’elles n’ont jamais entendu ces conversations. La voix paraît identique, mais le contenu n’est pas le même. Prenons mon cas. Je maintiens que c’est bien ma voix qu’on peut entendre, mais le contenu me laisse perplexe. C’est pour démêler le vrai du faux, qu’une commission d’enquête, avec à sa tête une personne très expérimentée, a été mise sur pied. »
Les élections pas menacées
Les mauvaises langues prétendent que ces épisodes rocambolesques pourraient compromettre la tenue des législatives. Pravind Jugnauth a balayé cette hypothèse d’un revers de main en soulignant que « nou dan enn demokrasi. Nounn touzour koz ekeksion Free & Fair. On l’a toujours fait. Selma finn ena bann move perdan ki finn fer toi kalite alegasion. Zordi sa bann mem dimounn-la kouma pe azir. Kan premie konversasion ti piblie, ti pe dir Pravind Jugnauth pe ekout tou dimounn ek lopozision. Zordi ki pou dir ? Pravind Jugnauth pe ekout limem… ek so madam ? Les élections auront bel et bien lieu. »