LA LANGUE KREOL, OUTIL DE RÉINSERTION SOCIALE La contribution de Dev Virahsawmy remémorée

Rowin Narraidoo

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L’éducation en milieu carcéral ne date pas d’hier. L’histoire pénitentiaire nous enseigne que l’éducation joue un rôle important dans la réinsertion sociale des détenus.

Si vous ne savez ni lire ni écrire ou compter, vous êtes stigmatisés d’être un analphabète. Plus dramatique encore : c’est lorsque vous avez été à l’école primaire pendant plus de six ans et que vous ne savez pas écrire une bonne phrase complète sans faute ou même ne savez pas du tout écrire votre nom ; là, autant de questions qui rendent fous nos pseudo-pédagogues.

« Why a few succeed, and where most fail ? » se demanda Dev Virahsawmy.

« Senkantan plitar

Boukou mo sir pa pou kwar

Res boukou katar »

En dépit de l’investissement massif, en termes de milliards, dans l’éducation, nous avons failli à produire les effets voulus. Raison ? C’est simplement parce qu’on n’a pas une vraie politique de langue.

Certainement, sans aucun bon certificat entre les mains, vous n’allez pas avoir un emploi rémunérateur, et bien des portes vont être fermées. Pour survivre dans une société à haute consommation, vous serez tenté de voler pour vous nourrir et approvisionner votre famille. Définitivement, tôt ou tard vous serez derrière les barreaux.

Et cette situation en milieu carcéral mauricien touche en grande partie une seule communauté. Cassam Uteem, ancien président respecté de la République, dira que l’indépendance économique ne sera pas complète si une partie de notre population n’a pas droit au gâteau national. Le partage n’est donc pas équitable.

Suite à un repérage professionnel effectué par Jean Bruneau, alors commissaire des prisons, il fit appel à un homme, pas n’importe lequel, mais à un linguiste professionnel, en l’occurrence Dev Virahsawmy.

L’ex-commissaire Bruneau découvrit des adultes et de jeunes hommes et femmes, qui ne savaient ni lire ni écrire. Et c’est une communauté précise qui en souffre, victime d’un système totalement archaïque et dépassé.

Dev Virahsawmy proposa des modules appropriés utilisant le kreol morisien(KM) comme outil d’apprentissage pour la réinsertion sociale des détenus. Le linguiste avait certes une mission difficile, mais pas impossible pour autant. Il fallait simplement y croire.

Ces détenus ont appris à lire et écrire dans leur propre langue maternelle, tout en développant les bases requises en anglais et aussi la comptabilité. Ce fut, à la fois, un pari et un grand défi.

« Kapav aplay pou rant liniversite aster », nous avoua un des apprenants-détenus.

Et cette démarche progressiste de Dev Virahsawmy se différencie des autres enseignants, qui interviennent à fréquence irrégulière dans nos prisons.

L’objectif fut pour le commissaire Bruneau que les détenus puissent maîtriser et acquérir les compétences de base nécessaires pour une vie sociale et professionnelle.

Saviez-vous que la langue maternelle est un support identitaire qui s’ajoute à d’autres repères identitaires ? Histoire et traditions, la culture, mais le plus important c’est l’éducation.

Tout être humain éprouve le besoin ou le désir de créer. Mais la créativité peut être entravée si on ne lui permet pas de s’exprimer dans sa propre langue. Il arrive aussi que la créativité soit déviée dans un sens destructeur ou anti-social, ce qui a été le cas pour nombre de détenus. Toute éducation véritable est en quelque sorte un exutoire pour la créativité.

Il faut souligner que dans toutes les prisons du monde, il existe des talents sous exploités. Nous avions eu le cas de Ponsamy Poongavanam, qui avait écrit un roman à sa sortie de prison. Condamné à mort par la cour d’assises en 1987 et libéré en 2007. Il s’est lancé dans une carrière journalistique par la suite.

Il importe de souligner que les activités artistiques ont un rôle très particulier dans le processus de libération des détenus. L’éloignement de l’école, le taux d’absentéisme, surtout dans les écoles ZEP, l’échec après six années de vie scolaire au cycle primaire semblent être les facteurs du taux grandissant de l’analphabétisme dans le pays. Soulignons que le KM est actuellement reconnu comme langue optionnelle au même titre que les langues dites ancestrales. Pas comme un médium. Est-ce une « générosité » des décideurs politiques en vue de calmer ou apaiser « le malaise créole » ?

La grande faiblesse des opprimés, c’est de n’avoir pas pris conscience de l’importance de leur langue maternelle, outil de libération, nous fera ressortir le Brésilien Paulo Freire dans ses recherches pédagogiques. Qui a osé remettre en question les structures oppressives qui favorisent l’injustice sociale dans notre système éducatif mauricien ? Personne !

Qui a osé remettre en question l’impact du colonialisme sur l’éducation ? Personne !

Qui a osé effectuer une étude sérieuse et approfondie sur les séquelles du colonialisme sur la vie citoyenne des Mauriciens ? Personne !

Il est possible qu’il existe des thèses universitaires cachées dans un placard qui répondent à toutes ces interrogations.

Il est certes salutaire de mener un combat acharné contre les Anglais pour la reconnaissance de propriété des îles Chagos et Diego Garcia à notre République. La lutte pour la décolonisation complète de notre pays passe aussi par l’éducation. De concert avec la société civile, l’État doit s’engager à mener une lutte sans merci pour la décolonisation complète de notre système éducatif mauricien.

Si aujourd’hui nous revendiquons que les langues anglaise et française doivent être absolument des médiums d’enseignement, il ne faut pas s’en étonner. Depuis l’Indépendance, nous hésitons à accueillir l’entrée du KM au Parlement ; nous hésitons toujours quant à l’entrée du KM dans le système judiciaire ; nous hésitons toujours d’accepter le KM dans les institutions publiques – simplement, parce que nous sommes encore « néo-colonisés ». C’est cette volonté progressiste qu’avait voulu mener Dev Virahsawmy au sein du MMM, et qui résulta à la scission et devenir par la suite le MMMSP.

Soulignons le travail remarquable de formation des profs au niveau du Prevobek qu’a effectué Dev Virahsawmy.

Allez voir le nombre d’enfants inscrits dans les classes de KM et comparez avec celui des classes consacrées à l’enseignement de langues ancestrales. Il y a une baisse dramatique d’apprenants, avec des classes quasi désertes. Dans moins d’un quart de siècle, si cette tendance continue, nous prévoyons la fin des classes d’enseignement de langues ancestrales. Et ce, mise à part la réticence des parents à ce que leurs enfants suivent des cours de langues ancestrales. Dans moins de 20 ans, nous prévoyons la disparition même du bhojpuri ; alors qu’il fallait que nos élèves, toutes communautés confondues, découvrent les langues et la richesse des autres cultures en provenance des terres ancestrales.

Au cours d’une réflexion, on se vante de dire que toute la population sait très bien parler le KM, mais concédons et soyons honnêtes d’affirmer qu’elle ne sait pas écrire convenablement sa langue. Pour construire une nation, la population mauricienne doit d’abord reconnaître sa langue, savoir écrire et lire dans sa propre langue. Nous croyons ici que la CSU (Creole Speaking Union) a un travail colossal à entreprendre.

Si la population mauricienne ne sait pas écrire et lire dans sa propre langue, c’est une population défavorisée sur le plan éducatif. Le 25 mai 2019, Dev Virahsawmy élabora, à travers une réflexion sérieuse – ce qu’on pourra découvrir sur son site – « What is to be done ? », et il étale sous nos yeux les bénéfices qui aboutiront à l’émergence d’une nation arc-en-ciel.

Politiquement, nos électeurs n’auront plus besoin des symboles sur la liste des candidats à voter. Et la démocratie sera plus valorisée et respectée.

Économiquement, nous aurons une main-d’oeuvre instruite, qui sait lire et écrire et qui pourra faire face aux multiples défis technologiques.

Culturellement, nous verrons l’émergence d’une vraie nation mauricienne.

“Il est certes salutaire de mener un combat acharné contre les Anglais pour la reconnaissance de propriété des îles Chagos et Diego Garcia à notre République. La lutte pour la décolonisation complète de notre pays passe aussi par l’éducation. De concert avec la société civile, l’État doit s’engager à mener une lutte sans merci pour la décolonisation complète de notre système éducatif mauricien.

Si aujourd’hui nous revendiquons que les langues anglaise et française doivent être absolument des médiums d’enseignement, il ne faut pas s’en étonner. Depuis l’Indépendance, nous hésitons à accueillir l’entrée du KM au parlement ; nous hésitons toujours quant à l’entrée du KM dans le système judiciaire ; nous hésitons toujours d’accepter le KM dans les institutions publiques – simplement, parce que nous sommes encore néo-colonisés.”

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