Dans un contexte national marqué par des inégalités croissantes, Patricia Félicité, secrétaire générale de Caritas Ile Maurice, examine les initiatives entreprises pour soutenir les familles en situation de précarité économique. Elle évoque les efforts réalisés par la National CSR Foundation et les aides monétaires ciblant les enfants scolarisés, tout en soulignant les lacunes dans la durabilité de ces programmes. En abordant la problématique du logement social, elle questionne l’efficacité des projets en cours pour les ménages les plus vulnérables.
l Quelle est votre analyse des progrès réalisés à l’échelle nationale pour aider les familles les plus nécessiteuses à sortir de la précarité économique ?
Plusieurs propositions d’aide, y compris par le biais de la National CSR Foundation, ont été faites pour soutenir les familles et les associations qui les accompagnent, afin d’aider les plus vulnérables à s’en sortir à long terme. Chaque année, cependant, cette aide de la National CSR Foundation demeure une sorte d’épée de Damoclès, car bien que l’exercice d’appel à projets ne soit plus requis, nous nous demandons toujours si nous obtiendrons le financement souhaité.
Il faut tout de même reconnaître qu’il y a eu une série d’aides monétaires, notamment pour les familles dont les enfants sont scolarisés. Cela inclut la gratuité de la maternelle et les aides destinées aux familles inscrites sur le Registre social de Maurice. Nous avons constaté qu’en raison des aides monétaires permettant aux parents de scolariser leurs enfants, la demande pour le soutien alimentaire de Caritas a diminué. Bien que certaines mesures et stratégies demandent encore à être améliorées, des progrès ont été réalisés dans la lutte contre la précarité matérielle.
l Quelles mesures urgentes faudrait-il prendre pour renforcer les programmes existants ou en introduire de nouveaux ?
Je ne dirais pas qu’il faut mettre en œuvre des projets dans l’urgence, mais plutôt de manière durable. Dans le cas de certaines aides sociales, il subsiste toujours une incertitude quant à leur renouvellement. Soutenir les familles sur le long terme contribue, pourtant, à leur stabilité.
Par ailleurs, la sécurité alimentaire reste une préoccupation majeure. De nombreuses familles peinent encore à se nourrir correctement, même pour un ou deux repas quotidiens. Le panier de la ménagère est de plus en plus coûteux, les frais de transport sont élevés, et il devient difficile pour certaines familles de trouver un emploi. Cela révèle un certain dysfonctionnement.
La recherche de solutions à long terme doit être le fruit d’une réflexion collégiale. Malheureusement, il n’existe pas de réelle concertation entre les acteurs publics et privés, ce qui empêche de proposer un service homogène aux plus nécessiteux. Ce manque de collaboration représente un manquement regrettable.
l Les maisons sociales ont-elles réussi à aborder la problématique de la précarité en matière de logement ?
En ce qui concerne les projets réalisés, je me pose la question suivante : ces maisons livrées sont-elles réellement des logements sociaux ? Je ne le crois pas. Certes, il y a beaucoup de chantier et de maisons livrées. À mon avis, ces maisons sont destinées à tous les Mauriciens ayant besoin d’un logement. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui se trouvent dans cette situation. Cependant, en ce qui concerne ceux qui se trouvent au bas de l’échelle, j’attends encore des éclaircissements supplémentaires. Caritas a toujours plaidé pour une meilleure prise en compte de la question du dépôt.Certaines familles, déjà en situation de précarité économique et ne disposant que d’un salaire minimum, peinent à louer un logement, à subvenir aux besoins des membres du foyer et à économiser pour rassembler le dépôt requis.
Pour ces familles, il est essentiel d’avoir des solutions adaptées qui prennent en compte leur réalité quotidienne et leur permettent de se stabiliser à long terme. Nous avons soulevé cette question. La réponse donnée est que les familles éligibles à un logement social de la NHDC doivent solliciter un prêt auprès d’une institution bancaire. Cependant, je me demande si une famille en situation de précarité peut réellement obtenir un prêt pour acheter un logement. Y aura-t-il des programmes spécifiques pour les familles les plus démunies ? Car si une famille avec quatre enfants a un revenu mensuel inférieur à Rs 50,000, il semble difficile d’envisager qu’elle puisse être éligible à un prêt bancaire et ainsi répondre à son besoin de logement.
l Pensez-vous que les mesures monétaires annoncées lors de cette campagne électorale, visant chaque membre d’une famille, pourraient inverser la tendance à la pauvreté ?
Probablement. Un autre point très important concerne les critères d’éligibilité. Pour l’instant, ces mesures sont des annonces. J’ai remarqué qu’en pratique, lors de la mise en œuvre des programmes, de nombreux bénéficiaires potentiels restent sur la touche en raison des critères d’éligibilité. La question de la stabilité à long terme est également cruciale : comment garantir que l’aide apportée ne ramène pas les bénéficiaires à la case départ dans six mois ?
Que se passera-t-il pour les bénéficiaires qui, à 18 ans, ne recevront plus d’aide? Leur dira-t-on de chercher des solutions ailleurs ? Il y a une réelle fragilité dans ce système. Il est essentiel que les familles mauriciennes deviennent résilientes, continuent à travailler et trouvent une stabilité durable. Les aides ponctuelles sont utiles, mais qu’en est-il des solutions à moyen et long termes ?
l Maurice donne-t-il finalement l’impression d’être un État qui privilégie la stratégie de l’assistanat ? Votre opinion ?
On parle beaucoup d’ “empowerment”, mais en pratique, on se demande si les aides visent réellement à renforcer les capacités des bénéficiaires ou simplement à offrir un soulagement temporaire, une forme d’assistanat à court terme. Une aide sociale est souvent accordée, mais elle est interrompue dès que la famille commence à travailler, même si cette aide reste minime.
Je pense qu’il est crucial de renforcer les capacités des familles et de les accompagner, car tout le monde a droit à une vie et à un logement décents. Il serait pertinent d’évaluer le coût de la vie actuel à Maurice en lien avec ces petites aides accordées, afin de déterminer si elles permettent réellement de consolider la situation des familles à long terme.
l Quelle est votre estimation du nombre de foyers en situation de précarité économique qui nécessitent un soutien ?
C’est une question complexe. Jusqu’ici, toutes les aides mises en place pour lutter contre la pauvreté étaient destinées aux familles vivant dans une pauvreté absolue, avec des revenus bien inférieurs au salaire minimum. Cependant, entre cette catégorie et celle des familles ayant quatre enfants ou plus et rencontrant des difficultés, la pauvreté reste relative. Le spectre est si vaste qu’une solution universelle semble peu probable ; chaque cas doit être examiné en fonction de sa situation spécifique.
Il est essentiel de mener une étude pour définir les niveaux de précarité et identifier précisément combien de familles sont concernées. Nous manquons de chiffres officiels sur la pauvreté en fonction des réalités actuelles. Les données dont nous disposons aujourd’hui proviennent de sources comme le Household Budget Survey, mais celles-ci ne nous fournissent aucune information sur les dimensions et les conditions spécifiques dans lesquelles vivent les Mauriciens en situation de précarité.
Aides sociales — Quand le Child Allowance Scheme sert à payer le loyer
Sandrine (nom modifié), 38 ans et mère de quatre enfants, fait partie des milliers de chefs de famille qui dépendent des aides sociales pour éviter de sombrer dans la pauvreté. Dans son cas, ce sont ses enfants qui bénéficient des aides monétaires. « Sans le Child Allowance Scheme, je ne sais pas comment j’aurais pu payer mon loyer », confie-t-elle. Pour trois de ses enfants, âgés de 15 à 4 ans, scolarisés et en garderie, Sandrine reçoit une aide totale de Rs 5,000.
Elle a toujours compté sur les fonds reçus en tant que bénéficiaire du Social Register of Mauritius et sur des travaux occasionnels pour subvenir aux besoins de sa famille. Abandonnée par le père de ses enfants, Sandrine explique que son fils aîné, âgé de 18 ans, la soutient en travaillant lorsqu’il parvient à décrocher un emploi temporaire. Elle révèle que le jeune homme n’a pas hésité à partager son Independence Allowance (Rs 20,000) quand il a atteint la majorité : « Li ti donn mwa Rs 10,000 pou mo fer mo bann zafer, pey se ki mo bizin peye. Li, li ti aste bann kiksoz ki li ti bizin », raconte Sandrine.
Depuis son inscription sur le registre social, elle a fait une demande pour un logement. « On m’a dit que pour être éligible à un programme de logement, il me fallait travailler. J’ai donc cherché un emploi et j’ai été embauchée par une compagnie de nettoyage. Mon salaire de base était de Rs 16,000 et je percevais un revenu total de Rs 19,000, mes dimanches de travail étant payés. Quand j’ai produit ma fiche de paye à la NEF, ainsi que celle de mon fils, on m’a dit que le revenu de mon foyer était trop élevé pour être éligible à une maison sociale », confie Sandrine.
Face à cette situation, elle prend la décision d’arrêter de travailler à plein temps. Actuellement, son fils, qui travaille comme aide maçon, est le seul à ramener un salaire au foyer. Entre-temps, le propriétaire de la maison a décidé de mettre un terme à son contrat de location. Il y a trois mois, celui-ci lui a donné un préavis – qui expire la semaine prochaine – pour quitter les lieux. « Je ne sais toujours pas où aller. Les maisons sont louées à des prix qui ne correspondent pas à mon budget. Et de l’autre côté, la NEF me dit que je n’aurai pas de maison », indique-t-elle.