Folklore Électoral : Des élections tape-à-l’œil 

Jocelyn Chan Low (historien) : « Les oriflammes sont non seulement des outils de communication, mais des moyens psychologiques pour convaincre les indécis de sa force »

Les élections approchent à grands pas. Cela se voit et s’entend. « Meetings », « baz politik », oriflammes multicolores, chansons partisanes et punchline acérés ont déjà fait leur grand retour dans l’espace public, provoquant à la fois rires et agacements. Si tout cela fait partie de l’ambiance des élections, soit du folklore électoral mauricien, ils restent avant tout de vrais outils de communication et de stratégie politique, avec pour principal objectif de (re)conquérir un électorat hétérogène et indécis. À moins d’un mois des élections générales, l’historien Jocelyn Chan Low nous en parle.

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Si force est de constater que les oriflammes multicolores « kas lizie » et demeurent un vrai danger pour les automobilistes — disons-le haut et fort —, ils font partie de ce qui constitue le folklore électoral mauricien bien distinctif. Et si effectivement les « drapo ek oriflam na pa fer eleksion », sont des supports et moyens de communication qui contribuent à l’ambiance électorale, ils font surtout partie du marketing politique des partis politiques, et ce, au prix fort. « Le folklore se réfère à des éléments typiquement mauriciens que l’on retrouve dans le cadre d’une campagne électorale et qui sont des éléments qui agrémentent notre vie politique, mais qui peuvent aussi causer pas mal d’inconvénients », explique Jocelyn Chan Low. Ainsi, il indique que « les symboles et couleurs jouent un rôle pour distinguer les uns des autres et agissent comme badge d’identité pour les agents et sympathisants, bien que les symboles sur le bulletin électoral aient comme mission première d’aider l’électeur qui ne sait pas lire ou qui a la vue faiblissante. »

Par ailleurs, en 2024, l’on découvre un nouveau type de campagne digitalisée face à un électorat nouveau friand des réseaux sociaux. Ainsi, chaque politicien a un compte Facebook ou un compte TikTok où il s’affiche tout sourire en cravate ou t-shirt assorti à son parti… l’image du politicien projetée est polie, travaillée. Et si, cette année, l’utilisation de haut-parleurs est réglementée, avant c’était un des principaux moyens pour les agents politiques d’attirer et d’attiser la foule électorale.

« Ce folklore a évolué au fil des années. Par exemple, pendant la campagne pour les élections de 1911, il y avait une caravane de la liberté qui sillonnait le pays et les orateurs haranguaient la foule aux abords des marchés, bien qu’une partie d’entre elle n’avait pas le droit de vote », poursuit-il. Il explique aussi qu’« en outre, auparavant un membre du public avait le droit d’interpeller un orateur pendant un meeting », chose qui ne se fait plus. « Aujourd’hui, ce sont les agents, baz et oriflammes. Mais les oriflammes et les baz commencent à se généraliser qu’à partir des années 1980 en même temps qu’il est question de money politics », dit-il.

En effet, l’utilisation de ces affiches et autres, dont pétards, systèmes de sonorisation et de lumières dans les salles de meeting, par exemple, sont aussi de gros indicateurs du capital financier que détiennent ces partis politiques… « Boukou kas zot ena sa », entend-on du quidam. « Avant, il n’y avait pas autant de bailleurs de fonds et autant d’entreprises spécialisées dans l’impression d’affiches et d’oriflammes », nous confie un photographe de carrière. « Les partisans fabriquaient eux-mêmes leurs affiches avec des caricatures et des dessins qu’ils collaient sur les murs. Ils n’avaient pas les moyens qu’on a aujourd’hui. » D’ailleurs, pour la petite anecdote, il nous raconte que les murs n’étaient pas crépis totalement, c’est-à-dire qu’ils n’avaient pas de surface lisse pour décourager les « koler lafis » de coller leurs posters en papier qui se déchiraient plus facilement. « Aussi, les partisans, pour la plupart des bénévoles, distribuaient des tracts politiques pour informer la population de la tenue de rassemblements politiques. De nos jours, avec les réseaux, en un clic, tout se partage », dit-il.

Dans le volet des discours politiques mauriciens auparavant tenus « lor kes savon », l’on est loin des grandes allocutions, suivant les principes de rhétorique d’Aristote, mais ils présentent  toutefois des spécificités bien mauriciennes « to get you in the mood », notamment la phrase d’accroche « Morisien, Morisienn ! » Jocelyn Chan Low explique qu’en « ce qu’il s’agit de “Morisien, Morisienn” c’est notre version de “mesdames et messieurs”. Dans les années 1970, c’était “kamarad, travayer” pour certains. Le glissement sémantique est très éloquent comme preuve de changement idéologique. » L’on notera aussi la diversité linguistique des propos énoncés par les politiciens, dépendant du lieu où se tient le rassemblement politique, avec des « dialog » et des punchlines taillés sur mesure.

Ainsi, pour Jocelyn Chan Low, « les oriflammes, affiches, posters et banderoles sont non seulement des outils de communication, mais des moyens psychologiques de rallier les fidèles du parti, marquer un territoire, convaincre les indécis de sa force. » Il se demande toutefois, « jouent-ils pleinement leur rôle ? Difficile à dire. Les oriflammes ne votent pas et sont des nuisances écologiques, et souvent des inconvénients aux automobilistes. Mais tout cela crée une ambiance électorale. » À quelques jours du Nomination Day, les chefs de file commencent ainsi à rallier leurs troupes, à distribuer les t-shirts, casquettes et drapeaux. Si effectivement, « oriflam ek likes pa fer eleksion », l’affichage électoral — qu’il soit sous forme d’oriflammes, d’affiches ou de publications Facebook — joue un rôle important dans une campagne électorale…

Pas d’alcool, des mariages reportés
Cela fait aussi partie du folklore ! Avec l’annonce des élections le 10 novembre, beaucoup de jeunes couples qui devaient se marier durant cette période ont dû revoir leur programme… et leurs cartons d’invitation. Sur les réseaux, beaucoup ont exprimé leurs griefs et leurs astuces. « Prenez tout ce qu’il faut prendre avant le 9 novembre ! Et amusez-vous entre vous », écrit un internaute. En effet, comme pour chaque élection, les commerçants n’auront pas le droit de vendre de l’alcool la veille des élections, le jour du vote, ainsi que le jour du décompte des voix et de la proclamation des résultats.

La campagne en chansons

Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, chantait Aznavour. En effet, à peine la campagne électorale 2024 entamée, que les chansons partisanes de tout genre ont commencé à sortir. Nous avons ainsi eu droit au King is Back d’Armada 666 pour l’Alliance du Changement ou au To sanze to tase de l’Alliance Lepep. Une pratique courante en campagne électorale qui, encore une fois, en 2024, a une résonnance particulière et différente du temps des chansons de sega engagé. « Quant aux chansons utilisées, il y avait non seulement des chansons engagées, mais des titres d’ambiance comme Célimene pour les “bleus” et Macarena pour les adversaires de Navin Ralgoolam. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, on voit une tendance vers des clips très courts avec des textes souvent très creux. Cela reflète sans doute le déclin de niveau de la culture politique à Maurice », note Jocelyn Chan Low.

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