Le mythe de la suprématie

L’homme est-il au sommet de la pyramide du vivant ? La question mérite d’être posée, car bien que minoritaire dans la chaîne animale, Sapiens s’est érigé un tel pouvoir au fil de son évolution qu’il est devenu aujourd’hui le seul à pouvoir influer la destinée de la planète. Le problème étant de connaître quelle orientation il prendra et, surtout, quels seront ses choix quant à la résolution (ou pas) des grands défis de notre siècle. Pour autant, il serait peut-être temps pour lui de redescendre de son piédestal et de reprendre la place biologique qu’il n’aurait jamais dû quitter. Certes, notre vie est précieuse, mais pas plus finalement que celles de l’immense majorité des autres espèces animales et végétales. Et ça, le moment est venu de s’en rappeler.

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Si l’on évacue en effet du débat toute question religieuse, et que l’on considère le seul point de vue scientifique à l’effet que l’homme est avant tout une création de la Nature – ce qui du reste n’est pas incompatible avec quelconque croyance –, il est une évidence que nous feignons de ne pas comprendre : l’humain n’est aucunement supérieur à toute autre forme de vie. Certes, nous avons des « capacités » que n’ont pas les autres espèces, mais en fin de compte, ces dernières en ont développé d’autres qui nous sont tout aussi inaccessibles. En outre, sur le plan purement biologique, nous ne sommes encore une fois qu’une espèce parmi d’autres et, surtout, nous ne sommes pas, biologiquement aussi, plus « achevés » qu’elles le sont, prenant bien sûr compte des différences interespèces.
Cette réalité physique, nous peinons pourtant à la reconnaître, car depuis des millénaires, nous nous pensons, encore une fois, au sommet de la pyramide. Ce qui est bien entendu une énorme sottise. Car non seulement cette perception nous élève au statut de « rois du monde », nous octroyant des pouvoirs divins sur les autres membres de l’ordre animal, mais celle-ci nous pousse à croire en l’illusion que nous serions au bout de notre développement. Ce qui est loin d’être le cas, à moins que notre course ne s’arrête subitement du fait d’un des désastres que nous aurons créé.

En vérité, nous ne sommes au sommet de rien; tout cela n’est qu’une vision anthropocentrée. D’ailleurs, d’un point de vue phylogénétique, autrement dit de la généalogie de la descendance des espèces en fonction de leur évolution, nous sommes qu’un phylum parmi d’autres, et donc sans aucun primat. Toutefois, à ceux qui, malgré les évidences scientifiques, digéreraient difficilement le fait que l’homme ne soit en réalité qu’un maillon d’une vaste chaîne, et qui penseraient que « roi il est, et roi il restera », nous dirons que si Sapiens a des capacités propres à lui, la plus remarquable en ces temps d’incertitude reste celle de détruire; non seulement ce qu’il est, puisqu’il s’évertue à ignorer les dangers qui se présentent devant lui (changement climatique, pillage de ses ressources, clivages sociaux et raciaux, etc.), mais aussi aux autres membres du vivant.

Cela dit, cette capacité à détruire – même engendrée par notre développement intrinsèque (notre évolution biologique), technologique, culturel ou sociétal – ne signifie pas obligatoirement que nous sommes voués à la destruction. Car s’il est une autre capacité que nous avons, c’est celle du libre arbitre. Prenons ainsi pour exemple la bombe atomique, que l’homme aura mise au point et utilisée par deux fois dans les années 1940’. Eh bien le nombre d’ogives nucléaires a beau aujourd’hui se chiffrer à près de 17 000, avons-nous fait sauter la planète jusqu’ici ? Non, bien sûr (du moins pas encore). Pourquoi ? Simplement parce que, bien qu’ayant la capacité de détruire, nous avons « choisi » de ne pas le faire.
En d’autres termes, il est faux de présupposer que l’homme soit programmé à exercer son « être de nature », car cela impliquerait qu’il maximise automatiquement son impact destructif sur l’environnement de manière inconsciente. D’ailleurs, en ce sens, notre espèce n’est pas différente des autres, en attestent les autres grands prédateurs. Ainsi n’aura-t-on jamais vu une lionne piétiner des termites, même si elle aura moins de scrupule à ôter la vie d’une gazelle pour nourrir son clan. Pour résumer, s’il est une « règle de vie » générale, ce n’est pas de faire le maximum de dégâts possibles. Ce qui vaut donc pour nous aussi. La question centrale restant de savoir si, face aux décisions urgentes qui s’imposent pour la planète, nous ferons le bon choix.

Michel Jourdan

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