La crise sociale s’aggrave au sein d’Air Mauritius. Deux courriers distincts ont été adressés par l’Intersyndicale d’Air Mauritius (AMSA/PTEU/UEAML), et l’AMCCA, syndicat du personnel navigant, au Chief Executive Officer de la compagnie, Charles Cartier, avec copie à plusieurs instances, dont le bureau du Premier ministre, le ministère du Travail, la présidence du Board d’Air Mauritius. Ces correspondances révèlent une montée des tensions entre les syndicats d’Air Mauritius et la direction, accusée de mauvaise foi, de rétention d’informations, et de tactiques dilatoires lors des négociations. Alors que l’Intersyndicale propose un arbitrage pour résoudre les différends en suspens, l’AMCCA exige une application stricte de la Convention collective de 2018, tout en menaçant de recourir à des actions légales si les discussions ne progressent pas.
Le climat social au sein de la compagnie nationale, déjà fragile, risque de se détériorer davantage si un accord n’est pas rapidement trouvé et tout cela à la veille d’une nouvelle rencontre prévue ce jeudi entre la direction et les représentants de l’AMCCA, et vendredi avec l’inter syndicale AMSA/PTEU/UEAML.
Pratiques de « mauvaise foi »
Dans une lettre adressée au CEO, l’AMCCA exprime son mécontentement face à des pratiques qu’elle qualifie de « mauvaise foi » dans le cadre des négociations sur la Convention Collective de 2018, bien qu’elle reconnaisse les efforts de la direction d’avoir rétabli des relations industrielles avec les syndicats.
L’AMCCA explique que lors d’un déjeuner de travail organisé le 16 septembre, en présence de représentants de quatre autres syndicats de la compagnie au restaurant Opium, le CEO a présenté un état des lieux des finances de la compagnie affirmant des risques d’administration judiciaire si les syndicats continuaient de revendiquer leurs dus. Il a annoncé que le gouvernement ne procéderait pas à l’injection de capitaux demandée par Air Mauritius, contrairement à ce qui avait été évoqué dans un article de presse locale. En contrepartie, il a proposé une augmentation de 5 % du salaire de base, dans la limite du budget déjà alloué, en remplacement de la prime ponctuelle prévue initialement.
Cette proposition a immédiatement été rejetée par tous les syndicats présents, qui ont rappelé que les mauvaises décisions prises par la direction au fil des années ont gravement affecté les droits des travailleurs. Les syndicats ont également refusé d’examiner les comptes non audités présentés par le CEO, préférant attendre les comptes audités, qui devaient initialement être disponibles mi-octobre.
Cependant, l’AMCCA a appris, par voie de presse, qu’Air Mauritius avait demandé un délai supplémentaire au régulateur pour la soumission des comptes audités, avec une nouvelle échéance fixée à la fin de novembre. Le syndicat perçoit cette rétention d’information comme un signe de « mauvaise foi » et estime que cela compromet la confiance nécessaire au bon déroulement des négociations.
Le syndicat a également dénoncé des conflits d’intérêts au sein de l’équipe de négociations, soulignant le cas du COO Sameer Baichoo, qui, selon l’AMCCA, profiterait de ses fonctions de pilote pour influencer les équipages contre le syndicat lors des vols où il officie comme capitaine. L’AMCCA appelle à la cessation immédiate de ces pratiques qu’elle juge préjudiciables à un climat de travail sain.
L’AMCCA, qui a déposé plainte auprès de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) pour le non-respect des conventions internationales concernant les négociations collectives, avertit qu’une nouvelle plainte pourrait être déposée si les pressions ne cessent pas. Le syndicat rappelle que la loi mauricienne, ainsi que les conventions signées avec l’OIT exigent que les employeurs offrent à leurs employés des conditions égales ou supérieures à celles stipulées par la loi.
La correspondance réitère l’importance de négociations « équilibrées et transparentes », respectant les droits des travailleurs. Le syndicat réclame notamment la diffusion immédiate des notes de réunions pour les trois derniers mois, en conformité avec la législation en vigueur.
Alors que la rencontre entre la direction et l’AMCCA approche, la situation semble à un tournant décisif pour la compagnie nationale. Le syndicat se dit prêt à poursuivre les discussions, mais reste ferme sur la nécessité de prendre la Convention collective de 2018 comme cadre de référence. La réunion de demain s’avère être cruciale dans la conjoncture.
Arbitrage pour apaiser les tensions
L’intersyndicale indique dans sa correspondance que les discussions avec le CEO, qui se sont tenues les 1er et 2 octobre, ont permis d’aborder certains points, mais qu’il est désormais crucial d’aller plus loin. Afin d’éviter des négociations qui pourraient traîner en longueur et entraîner des tensions inutiles, les syndicats proposent de soumettre leurs revendications dans le cadre d’un document d’arbitrage. Ce processus, en vertu de la Section 63 de l’Employment Relations Act (ERA), impliquerait le recours à un arbitre, dont le nom et les honoraires seraient décidés conjointement.
La lettre précise qu’il est impératif de commencer par des négociations bilatérales pour consigner ce qui a déjà été convenu et soumettre les points de désaccord en suspens à l’arbitrage. Cette approche vise à protéger la réputation d’Air Mauritius, tout en assurant une résolution équitable et rapide des différends.
Trois catégories
Les propositions de l’intersyndicale seront structurées en trois volets majeurs, couvrant des questions laissées en suspens lors de la signature de l’accord de 2018, ainsi que des enjeux liés aux nouvelles conditions de travail et à la classification des postes :
- Les arriérés de salaires
La première partie des revendications concerne les questions qui n’ont pas été abordées au moment de la signature de l’accord de 2018, en particulier le règlement des arriérés de salaires et l’impact négatif sur le système DPS (Dynamic Pay Scale). - Les demandes retirées lors de la période d’administration
La deuxième partie fait référence aux éléments qui ont été retirés de l’accord de 2018 à la demande des deux administrateurs nommés après la mise en redressement judiciaire de la compagnie. - La nouvelle convention collective
Enfin, le dernier volet concerne la nouvelle convention collective qui, selon les syndicats, devrait entrer en vigueur dès le 1er janvier 2024, et non au 1er juillet 2024 comme proposé initialement par la direction. Parmi les principales revendications figurent la nouvelle classification des postes, la restauration des augmentations liées à l’ancienneté, la mise en place d’un 14e mois sous forme de bonus de rentabilité, ainsi qu’une révision des différentes indemnités.
Transparence
L’intersyndicale met l’accent sur l’importance de conclure un accord en toute transparence et dans le respect des droits des travailleurs. Elle invite le CEO à indiquer son accord de principe à ces propositions afin que les discussions puissent avancer de manière constructive. Les syndicats ont également proposé de convenir d’un calendrier pour les négociations, ce qui permettrait d’établir un cadre clair pour les échanges à venir.
Ces deux correspondances, bien que distinctes dans leur approche, partagent un objectif commun : celui de défendre les droits des salariés d’Air Mauritius face à une direction perçue comme peu coopérative. Si l’AMCCA se montre plus combative, dénonçant des manœuvres de mauvaise foi et des conflits d’intérêts, l’Intersyndicale préfère jouer la carte de l’arbitrage pour tenter de trouver un terrain d’entente. Les deux instances craignent que la direction de la compagnie aérienne nationale utilise des stratégies dilatoires pour empêcher une véritable avancée des discussions et priver les employés de leurs droits légitimes.
Le point commun reste la volonté des syndicats d’obtenir des réponses claires et une reconnaissance des droits des salariés, notamment à travers la mise en application de la convention collective de 2018 et le respect des lois du travail. Enfin, avec la persistance de ces tensions, il reste à voir si la direction d’Air Mauritius acceptera de rétablir un climat de confiance avec ses partenaires sociaux, ou si ce conflit social risque de prendre une ampleur plus importante.