Les écoles spécialisées gérées par des ONG ont constitué une plateforme pour dénoncer les conditions difficiles dans lesquelles elles opèrent. Depuis juillet dernier, ces écoles ne perçoivent plus de financement de la National Social Inclusion Foundation (NSIF) et la Special Education Needs Authority (SENA) n’a pas ajusté leurs Grants pour leur permettre de combler le vide. Certains responsables affirment n’avoir pu payer le loyer depuis plusieurs mois, tandis que le personnel paramédical, si important à l’encadrement des enfants avec handicap, n’a pas été pris en considération par le Remuneration Order pour le secteur Special Education Needs (SEN).
Ils se disent au bord du précipice. Ces managers des écoles spécialisées tirent la sonnette d’alarme sur les conditions difficiles dans lesquelles ils opèrent depuis la nouvelle année financière. En juillet 2024, la NSIF leur a fait part qu’elle ne leur accordera plus de soutien financier, vu que la SENA prend en charge la scolarisation des enfants handicapés. Cette autorité a, en effet, vu son budget être augmenté de 10% pour l’année financière 2024-2025, atteignant Rs 330 millions. Ce qui a poussé la NSIF à focaliser ses ressources sur d’autres groupes d’enfants avec handicap – en dehors des 5 ans à 20 ans – qui ne sont pas sous la responsabilité de la SENA.
Cependant, affirment les managers de ces écoles, « nous n’avons pas reçu un sou en plus de la SENA pour la nouvelle année financière. Sans l’aide de la NSIF, nous n’arrivons plus à financer nos dépenses. Il y a des factures et des loyers qui sont dus depuis plusieurs mois. » Ces responsables font ressortir que certaines écoles spécialisées existent depuis 40 ans, soit bien avant que l’État ne prenne en charge la scolarisation des enfants handicapés : « Même aujourd’hui, 80% de ces enfants sont dans nos écoles. Le SENA a pris le contrôle et maintenant, nous avons les mains liées. Auparavant, même si nous opérions avec les moyens du bord, nous avons pu combler les lacunes et offrir un encadrement aux enfants handicapés », font-ils comprendre.
Les responsables disent avoir écrit une lettre à la NSIF, avec copie aux ministères des Finances et de l’Intégration sociale, demandant une période de transition, en attendant que la SENA prenne toutes les charges des écoles spécialisées. Sans succès. « Par le passé, la NSIF répondait toujours quand nous frappions à sa porte. Elle a pourvu un grand soutien aux écoles spécialisées. Toutefois, après le budget, la SENA a émis une lettre, en copie à la NSIF, pour dire que dorénavant c’est elle qui prendra toutes les charges et c’est là que tout a changé », s’appesantissent-ils.
Les managers précisent d’emblée, qu’ils ne partent pas en guerre contre la SENA, ni le ministère de l’Éducation, mais font appel à la compréhension. « La création de la SENA a été une très bonne chose. Cela a permis de professionnaliser ce secteur. Toutefois, il y a des manquements qu’il faut rectifier. Malheureusement, quand nous attirons l’attention des personnes concernées, nous n’avons aucune réponse »,font-ils comprendre.
La vice-Première ministre et ministre de l’Éducation, Leela Devi Dookun-Luchoomun, a été sollicitée pour une réunion en vue de trouver des solutions aux problèmes. Deux lettres en date du 18 septembre et du 25 septembre, représentant 22 écoles, n’ont eu pour toute réponse qu’un accusé de réception. D’où la décision des managers, d’alerter l’opinion publique sur leur situation. « Vu que nous sommes actuellement dans une campagne électorale, nous tenons à préciser que les ONG sont apolitiques. Nous ne sommes pas en train de faire campagne contre le gouvernement. Nous voulons simplement être entendues, car nous avons frappé à toutes les portes sans succès », indique-t-il.
Personnel paramédical : ressources insuffisantes
Outre les difficultés financières, les écoles spécialisées se retrouvent également confrontées à un risque de perdre leur personnel paramédical. « Le Remuneration Order pour ce secteur, qui a été publié l’année dernière, ne prévoit rien pour le personnel médical. Or, une école spécialisée ne peut fonctionner sans le personnel paramédical. Ici, l’éducation primaire, ce n’est pas l’enseignement de l’anglais, du français et des mathématiques. C’est la thérapie avant tout. D’ailleurs, selon les règlements du SENA, le travail scolaire doit se faire en collaboration avec la Paramedical Team », fait-on comprendre.
D’après les managers, le SENA octroie un Grant de Rs 14 520 par mois aux écoles pour les services d’un professionnel paramédical. Jusqu’au mois de juin 2024, la NSIF complétait cette somme, pour atteindre le salaire minimum. « Comment peut-on demander à des jeunes ayant leur Degree ou leur Master, de venir travailler pour une telle rémunération? Ils ne seront pas motivés à venir dans ce secteur ? » se demandent-ils. Dans la pratique, indiquent-ils, les Resource Centres du gouvernement devaient offrir les soins paramédicaux. « Mais ces centres ont eux-mêmes été transformés en écoles et ne peuvent accueillir tous ces enfants.»
Un manager relate qu’un parent était venu le voir pour faire admettre son enfant à son école. Au regard des procédures en cours, il a été redirigé vers la SENA. « On lui a donné rendez-vous pour voir une équipe paramédicale à la fin de novembre ! Imaginez, ce parent est en attente depuis tout ce temps. L’enfant a dû rester à la maison pendant six mois, en attendant son rendez-vous .»
Les responsables des écoles déplorent également que leur Grant n’ait pas été revu, en dépit du fait que tout a augmenté sur le marché. « L’allocation de Rs 120 par enfant pour le Hot Meal devient insuffisante, car tous les produits ont augmenté. D’autant que nous ne pouvons servir n’importe quoi, il y a un menu bien défini par la SENA que nous devons respecter. De même pour le Cleaning Service. Nous devons aussi trouver les moyens pour payer la relativité salariale pour ceux qui ne sont pas couverts par le RO » ; s’insurge-t-on.
Les managers lancent un appel pour trouver des solutions au plus vite à leurs problèmes afin que les enfants handicapés puissent aussi profiter des meilleures conditions. Ils font remarquer que les autorités investissent massivement dans le mainstream mais indiquent que le secteur SEN ne représente que 1% du budget de l’éducation.
Pour y voir plus clair
Les écoles spécialisées étaient principalement opérées par les ONG dans le paysage mauricien. Dans un premier temps, ces écoles étaient payantes. Elles avaient tout de même un soutien de la Sécurité sociale. Des ONG comme l’APEIM ont longtemps milité pour que les enfants handicapés aient aussi droit à l’éducation gratuite. Depuis, l’APEIM a préféré céder ses écoles au Service diocésain de l’éducation catholique (SeDEC). Les autres écoles ont continué à opérer jusqu’à ce que le gouvernement prenne en charge les frais des écoles spécialisées, notamment à travers des Grants.
Depuis la création du SENA en 2018, toutes les écoles spécialisées ont été placées sous cette autorité. La SENA assure non seulement le salaire des éducateurs et autres Carers, mais organise aussi des formations. Toutefois, les écoles doivent avoir l’approbation de la SENA pour tous leurs projets et pour le recrutement de leur personnel. Comme tel est le cas pour les collèges privés Grant-Aided avec la PSEA, ou les écoles maternelles avec l’ECCEA.
Les écoles spécialisées ne peuvent plus admettre des bénéficiaires directement. Les parents doivent s’adresser à la SENA, qui après avoir procédé à une évaluation de l’enfant par son équipe paramédicale, décidera de l’école appropriée où l’enfant sera placé.
Les managers toujours sur la touche
Les managers des écoles spécialisées n’ont qu’une allocation de Rs 13 400 par mois de la SENA. « Ce n’est même pas le salaire minimum », déplore-t-on. Ces derniers sont les grands absents – avec le personnel paramédical et les Attendants pour les vans transportant les enfants – du Remuneration Order pour le secteur SEN publié l’année dernière.
Des négociations avec les autorités n’ont rien donné à ce jour. « C’est une anomalie que nous avions déjà signalée lorsque l’ébauche du RO avait été circulée. Nous nous retrouvons dans une situation où aujourd’hui, un éducateur avec dix ans de service a droit à un salaire de Rs 32 000, tandis que le manager n’a que Rs 13 400.»
Les managers se disent très heureux pour leur personnel, dont certains ont commencé avec un salaire de Rs 1 000 et sont restés par vocation. « Mais s’il n’y avait pas le manager pour opérer l’école, il n’y aurait pas eu de personnel. Or, aujourd’hui les autorités reconnaissent le personnel mais pas le manager… »
Ils lancent ainsi un appel pour que l’équilibre soit rétabli, car ces anomalies ont créé une situation « malsaine » dans les écoles.