Attaque de squales au large d’Albion : Hugues Vitry s’insurge contre le droit à l’excès de certains opérateurs

   « La mer est comme la savane africaine avec de grands espaces, mais aussi avec des dangers bien réels », avertit le naturaliste

À Maurice, il est interdit de nager, de pratiquer du snorkeling ou de la plongée avec une baleine/cachalot. Pourtant, il se trouve qu’ils sont nombreux à le faire en toute impunité. Suite à l’accident survenu le week-end dernier où deux ressortissants chinois ont été blessés au large d’Albion lors d’une sortie en mer ayant pour but de nager avec les cachalots, nous avons contacté Hugues Vitry, président de la Marine Megafauna Conservation Organisation (MMCO) et président du comité technique de la Mauritian Scuba Diving Association (MSDA), qui se dit inquiet que ce cas ne soit pas isolé. Le naturaliste de la MMCO (Marine Megafauna Conservation Organisation) avertit de ces dangers bien réels, tout en condamnant les pratiques excessives et abusives de certains opérateurs.

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Pour rappel, un homme d’origine chinoise avait été attaqué par un requin et blessé au visage, tandis que son compatriote, une femme, voulant regagner le bateau dans la panique, avait été blessée par une hélice. Contacté par nos soins, Hugues Vitry a déclaré que ce cas n’est pas isolé. « Il y a déjà eu d’autres cas qui ont été rapportés, mais qui n’ont jamais fuité dans les médias », dit-il. Pour le naturaliste, il s’agirait plutôt d’un jeune requin entre 1,20m et 1,50m.

Car, dit-il, si cela avait été un adulte de 3m, le malheureux nageur n’aurait pas survécu. Celui dont le travail est d’étudier, d’observer, de filmer le comportement des cachalots et de fournir des données, précise que « les cachalots vivent entre 5 et 22 km au large des côtes. Les squales les plus dangereux pour l’homme sont souvent proches des cachalots et ceux-là sont des prédateurs du large. Ils attendent des opportunités d’animaux blessés ou malades ou se nourrissent des restes des autres grands prédateurs comme le cachalot. Ce n’est pas la première fois que nous, scientifiques de la MMCO, avertissons de ces dangers bien réels que des opérateurs bien trop cupides ne prennent jamais en considération. Nous avertissons régulièrement par voie de presse du danger des squales au large, mais personne ne prend ces avertissements au sérieux. La mer est comme la savane africaine avec de grands espaces, mais aussi avec des dangers bien réels. On ne sort pas de sa voiture pour aller prendre des photos dans la savane et ce doit être la même chose avec la mer, au large. »

Le plongeur et naturaliste marin, dont certains requins sont devenus ses compagnons de plongée, indique également que « l’homme n’est pas la nourriture naturelle des squales, sauf le bouledogue, qui se nourrit de tout ce qu’il peut trouver dans tous les estuaires, dans toutes les passes. Ces requins se nourrissent d’animaux morts emportés par les rivières et courants. Les autres squales sont beaucoup plus sélectifs. Les grands requins prédateurs sont assez friands de tortues marines et ils savent que les tortues sont très vulnérables quand elles remontent en surface pour respirer, et c’est à ce moment qu’ils attaquent. Les requins du large sont aussi des prédateurs de marins lors des naufrages au large et surtout la nuit. Les requins océaniques parfois mordent quand ils se sentent dérangés dans leurs territoires comme le ferait un chien… La chair humaine n’est pas la plus appétissante pour les squales du large. Très souvent, quand ils mordent pour goûter, ils s’en vont, mais la blessure est déjà trop grave pour la victime qui meurt d’hémorragie. »

« Ils faisaient de la nage en harcelant les cachalots »

Y a t-il des spots infestés et zones potentielles d’attaques qu’il faut éviter à Albion ou ailleurs ? Hugues Vitry répond que « il n’y a pas de zone infestée de requins. Ils circulent en suivant leur nourriture. Albion n’est pas particulièrement plus infestée qu’ailleurs, mais la proximité du port et la nourriture ou la graisse des poissons des navires de pêche entrant pourraient les attirer plus qu’ailleurs. Ce n’est pas la même chose pour les requins côtiers de récif. Ceux-là se concentrent dans des endroits précis pour se reposer. Ils chassent en principe la nuit, mais sont opportunistes de jour et ne sont pas un danger pour l’homme, pour les plongeurs. Les requins-bouledogues, c’est autre chose, ils vivent souvent dans l’eau trouble ou boueuse et mangent tout ce qu’ils trouvent. Les braconniers chasseurs sous marins sont les plus à risques avec ceux-là. »

Réagissant à l’article publié par un quotidien qui expose que deux touristes chinois ont été attaqués par des requins en faisant de la plongée dans le lagon, le président du comité technique de la MSDA affirme : « Cest totalement faux. Cela s’est passé loin au large, en plein océan, pas dans le lagon, qui se limite entre la plage et la barrière de corail avec une eau peu profonde où tous nos touristes se baignent. Les deux ne faisaient pas de la plongée non plus, mais de la nage avec masque et tuba au large en plein océan à plusieurs kilomètres de la plage, en harcelant les cachalots. Il ne faut pas mélanger l’activité de la plongée qui est encadrée professionnellement par des centres de plongée et la nage illégale avec des cachalots loin au large. » Tout en ajoutant que « la MSDA se dissocie de ces pratiques et les centres de plongée de la MSDA ne sont pas impliqués de près ou de loin de ces accidents. »

De plus, au sujet de ce touriste chinois qui, selon certaines publications, aurait attrapé la queue du requin, il ajoute que, « personnellement, je trouve que c’est un peu tiré par les cheveux cette histoire de dire que le Chinois a voulu attraper la queue du requin. Vous croyez que quelqu’un peut attraper la queue d’un singe dans la forêt ou même d’un lion dans la savane ? Non, ce n’est pas possible ! Un requin nage beaucoup plus vite que nous et il est impossible d’attraper sa queue, et ça ne voudra pas se faire attraper la queue. C’est simplement qu’ils veulent détourner l’attention. Ils ne veulent pas qu’on dise que c’est à cause de la nage avec les cachalots. Ils veulent dire que la personne s’est mal comportée avec le requin et que c’est pour cela qu’elle s’est fait mordre. Ce n’est pas du tout le cas. Ce requin-là, quand vous êtes dans son territoire, il vous mord s’il sent que vous êtes vulnérable, un point c’est tout ! »

Celui qui prône un écotourisme responsable rappelle la Fisheries Act 2023 against mammals’ harrassment qui prévoit des amendes allant de Rs 5000 à Rs 2 millions et de deux ans d’emprisonnement. La Tourism Authority, de son côté, a déjà une législation depuis 2012, la Dolphin & Whales Watch Act 2012. Celle-ci stipule que « None shall : 8.1 (b) swim, snorkel or dive with a whale. » Et au point 8.2 : « Except for scientific or educational purposes with written permission. »

« Il est impossible d’attraper sa queue »

Pourtant, ce secteur reste très lucratif. « Les opérateurs étrangers se font payer en Europe et l’argent ne bénéficie même pas à l’économie mauricienne. Les autorités attendent pour mettre en place de nouvelles législations strictes, mais attendre dans ce cas n’est pas sans conséquences », affirme Hugues Vitry.

L’activité attire chaque année de très nombreux touristes. Les opérateurs auraient-ils échappé à la vigilance et au contrôle des autorités ? L’activité est-elle encadrée ? Qu’en est-il de ces associations qui, contrairement à ceux qui oeuvrent pour la préservation des mammifères marins, représentent une menace pour ces derniers ?

Pour Hugues Vitry, « si l’observation est encadrée par une réglementation, la nage, le snorkeling ou la plongée sont strictement interdits depuis 2012 et tous les opérateurs le savent. Le problème ne vient pas du cadre légal, mais de l’application de la loi. Les autorités n’ont pas suffisamment de moyens pour contrôler. Il faudrait une synergie entre les différentes autorités. Le Tourisme, le ministère de l’Économie bleue et de la Pêche ainsi que la National Coast Guard (NCG). Ce qui est vraiment dommage, c’est la mentalité du droit à l’excès qu’ont certains opérateurs. Ils savent tous que c’est illégal, mais comme il n’y a pas suffisamment de contrôle, ils abusent. Ils auraient dû réglementer l’activité eux-mêmes puisqu’ils en vivent royalement et s’enrichissent. »

Selon nos informations, des dizaines de Chinois viendraient chaque semaine à Maurice uniquement pour nager avec les cachalots. Si tel est le cas, pourquoi la Tourism Authority ne prendrait-elle pas de réelles mesures contre ces pratiques abusives ? Est-ce parce que cela fait venir des touristes en nombre de la Chine ?

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