Confiance ou soumission…

2024 est désignée comme une année électorale record : cette année en effet, la moitié de la population mondiale en âge de voter est appelée aux urnes dans un total de 68 pays, parmi lesquels figurent les Etats Unis, le Brésil, le Mexique, l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh, l’Indonésie, la Russie, soit huit des dix États les plus peuplés au monde.
Maurice fait aussi partie de ces 68 pays. Car nous voilà donc engagés dans une course électorale qui s’achèvera le 10 novembre prochain avec la tenue de très attendues élections législatives.
Une course qui a d’emblée été marquée par des ralliements qui focalisent l’attention pour diverses raisons. Et soulèvent bien des questionnements sur notre scène politique, et ce qu’elle prétend incarner et porter.
Il y a ainsi le ralliement de Rezistans ek Alternativ à l’Alliance du Changement. Impensable pour certains. Judicieux pour d’autres.
Qui eut cru en effet, il y a seulement quelques mois, que le parti qui a jusqu’ici incarné depuis des années une gauche pure et déterminée, rejoindrait une alliance composée de deux « gros dinosaures », le PTr et le MMM, que ReA a longtemps décriés ? Dévoiement en raison d’une volonté d’accéder rapidement au pouvoir pour leurs détracteurs. Dans l’explication du parti, réalisme politique dans une situation où ce qui compte au-delà de tout est d’empêcher la ré-élection d’un MSM qui a fait un tort immense au pays ces cinq dernières années, notamment en noyautant et minant jusqu’à l’os nos institutions démocratiques.
Chacun-e sera libre de ses choix par rapport à ce choix, et il sera intéressant d’en voir les résultats. Mais il est d’ores et déjà intéressant de voir que le ralliement de ce tout petit parti à l’Alliance du Changement a, jusqu’à la dernière minute cette semaine, maintenu en haleine, leur soutien étant conditionné à l’obtention d’une troisième investiture, alors que leur poids électoral ne permettait pas forcément de justifier une telle exigence selon les logiques qui ont jusqu’ici gouverné notre scène politique. Cette troisième candidature a finalement été avalisée, comme s’il était important pour cette grande alliance de s’offrir une « caution » de sérieux face à de précédents errements, comme pour rattraper des dérives et manquements qui pourraient lui être reprochés. ReA affirme avoir obtenu, dans l’accord électoral conclu, « l’inclusion de l’écologie, des droits des travailleurs et la reconnaissance des luttes historiques, tels que le retour des plages publiques et des réparations pour les victimes de Wakashio », et plus généralement « une reconnaissance des valeurs fondamentales du mauricianisme ». L’avenir dira ce qu’il en est. Si le petit parti y perdra ou gagnera en crédibilité. S’il se fera bouffer par les mastodontes ou s’il parviendra effectivement à faire avancer ces agendas en cas de victoire électorale.
En face, il y a également eu le ralliement finalement officialisé du PMSD à l’Alliance Lepep au pouvoir. De ce côté, il est aussi marquant de voir à quel point le leader du parti, Xavier Luc Duval, s’est peu donné la peine d’explications, alors que jusqu’à tout récemment, en tant que Leader de l’Opposition, il n’a cessé de mettre en lumière et de dénoncer, avec véhémence, les agissements du parti au pouvoir auquel il a fini par se rallier.
Il y a encore eu, cette semaine, un ralliement de partis extra-parlementaires qui, après avoir fait cavaliers séparés, ont finalement décidé d’unir leurs forces face au pouvoir en place. Et cela dit aussi la mesure de l’enjeu.
La campagne électorale s’annonce en tout cas âpre. Et préoccupante la démarche du Premier ministre d’amener d’entrée de jeu le venin communal sur le devant de la scène, notamment en accusant le député Shakeel Mohamed d’être anti-hindou pour avoir repartagé sur ses réseaux sociaux un clip du groupe Armada 666 qui rappe, de façon percutante, divers scandales ayant marqué le mandat du gouvernement.
Une chanson peut en dire beaucoup.
Dans un titre sorti en 2016, le groupe belge Thibor dressait le portrait de ce qu’il appelait l’humanipulateur.
Petit homme du monde en campagne
Toujours en représentation
Un vrai faux altruiste qui soigne
Son look, sa communication
Il donne beaucoup pourvu qu’il gagne
Ta confiance ou ta soumission
Pendant que tu bois son champagne
Stratège, il avance ses pions
Il prend toutes les couleurs qui passent
Politicien caméléon
Il s’installe aux meilleures places
Pour figurer au Panthéon
L’humanipulateur
Fait tout pour garder le contrôle
Et pour rester à la hauteur
Il peut endosser tous les rôles…
Nous serons sans nul doute confronté-es à beaucoup de manifestations d’humanipulateurs dans les semaines à venir. Et dans le jeu des uns et des autres, il faudra beaucoup de vigilance pour tenter d’y voir clair.
Car il n’y a pas que les politiciens.
Ce qui est particulier dans cette campagne qui démarre, c’est aussi la position affichée par le secteur privé. Jusqu’ici, il a été de mise que celui-ci maintienne, vis-à-vis des forces en présence, une sorte de prétendue « neutralité » consistant notamment à financer les unes et les autres, de façon non-déclarée. Or, cette fois-ci, Business Mauritius semble avoir carrément déclaré la guerre au gouvernement en déposant cette semaine une demande de révision judiciaire des nouvelles réglementations salariales émises par le ministère du Travail. Une affaire qui sera examinée en Cour suprême le 21 octobre, soit à la veille de la date fixée pour le dépôt de candidatures pour ces élections législatives. Mais la question sera aussi de savoir ce que fera le secteur privé par rapport à la présence de ReA dans l’Alliance pour le Changement…
En parallèle, l’organisme patronal a fait savoir qu’il appelle les membres de la communauté des affaires à respecter les principes du National Code of Corporate Governance (NCCG) à l’approche des élections générales. Business Mauritius dit ainsi attirer l’attention de ses membres sur « l’importance de la transparence et de la responsabilité dans les contributions financières aux partis politiques », soulignant que les directives du NCCG sont claires sur les dons en espèces, les parrainages, la fourniture de services, la responsabilité des conseils d’administration et le respect des exigences légales en matière de gouvernance.
Et Business Mauritius d’affirmer qu’il insiste sur « la nécessité d’établir un cadre législatif solide pour le financement des partis politiques », notamment pour la transparence dans la divulgation des sources de fonds, la limitation des dons à 5 % du budget total de campagne et l’interdiction des contributions étrangères.
Mais qu’est-ce qui empêche Business Mauritius de faire sa part dans ce combat sans attendre le gouvernement, en se donnant les moyens de contrôler scrupuleusement les agissements de ses membres à cet égard ? Sachant qu’il faut un corrupteur pour faire un corrompu…
Que faut-il penser de cette position qui semble vouloir dédouaner un acteur capital, et pas forcément vertueux, du financement de ceux qui nous gouvernent ?
Ces élections législatives du 10 novembre 2024 vont appeler chacun-e a exercer des choix cruciaux. Dans sa Déclaration chantée en 1973, Georges Moustaki posait le sien :
«Je déclare l’état de bonheur permanent
Et le droit de chacun à tous les privilèges
Je dis que la souffrance est chose sacrilège
Quand il y a pour tous des roses et du pain blanc
Je conteste la légitimité des guerres
La justice qui tue et la mort qui punit
Les consciences qui dorment au fond de leur lit
La civilisation au bras des mercenaires
Je regarde mourir ce siècle vieillissant
Un monde différent renaîtra de ses cendres
Mais il ne suffit plus simplement de l’attendre
Je l’ai trop attendu. Je le veux à présent.»
Le 10 novembre 2024, nous aurons chacun-e le choix de dire sans plus attendre, en toute conscience, ce que nous voulons pour notre pays en ce nouveau siècle déjà bien entamé.
Que ferons-nous de ce choix ?

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SHENAZ PATEL

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