Patrimoine en péril dans la capitale : la Case Créole à l’échafaud !

 … sacrifié sur l’autel du capitalisme après avoir perdu sa classification comme patrimoine national

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C’est avec le pincement au cœur, voire avec la rage au ventre, qu’on assiste actuellement à la démolition d’une belle maison coloniale, connue comme La Case Créole, jouxtant les locaux du groupe Le Mauricien Ltd, à la rue St-Georges. Elle avait appartenu à des immigrés chinois, puis à l’agence Publico, avant d’être vendue, en 2016, à une société immobilière qui, hélas, a d’autres projets en tête que de rénover ce bijou d’architecture coloniale dont la splendeur témoigne du savoir-faire des concepteurs du 19e siècle. Les amoureux du patrimoine gardaient un infime espoir sur l’éventualité que des mécènes, sortis de nulle part, allaient permettre l’établissement d’un plan de sauvetage de l’édifice à étage doté d’un toit en bardeau, de lambrequins blancs et de colonnades au rez-de-chaussée. Que nenni ! Avec ses faux airs de maison-château, l’une des « ces belles dames » de la rue St-Georges avait été enlevée, en 2020, de la liste des sites classés au Patrimoine national, avant d’être sacrifiée sur l’autel du capitalisme !

Un ouvrier observe le mastodonte de bois qui se dresse devant lui en secouant la tête. « Ces personnes qui ont échafaudé le plan architectural et construit cette demeure sont des génies. Mo pe sagrin pou kraz sa bizou-la, me mo la zis pou exekite. Se mo travay », dit-il en désignant avec peine les tuiles et les planches qui gisent à ses pieds au seuil de la porte d’entrée. Pour constater la particularité de cette demeure, mi-cachée à l’ombre de grands sapins et palmiers, mais qui excitait systématiquement la curiosité des touristes, il faut y rentrer. Face à l’état de délabrement dans lequel se trouve La Case Créole, abritant auparavant l’agence de publicité Publico, les vacanciers s’en vont souvent le cœur gros au moment d’être mis au parfum du terrible sort qui lui était réservé.

La pièce principale, dont la hauteur de plafond représente une dizaine de mètres, et l’escalier en vis menant à l’étage sont révélateurs des styles et formes de maisons introduites par les colons, français et britanniques, à partir du 18e siècle. Les employés ou ex-employés de l’agence Publico qui ont eu la chance d’arpenter les lieux décrivent l’atmosphère qui y régnait de tellement singulière. ll ne reste qu’un décor dépouillé de sa superbe d’antan. Des carreaux cassés, le sol défoncé, des panneaux pourris. Des fenêtres se sont volatilisées, alors que les murs, serpentés de profondes lézardes, disloquent à vue d’œil.

On reste bouche bée devant ce désastre. Oui, le mot n’est pas assez fort pour décrire ce qu’il est advenu de ce lieu emblématique désormais entouré de mauvaises herbes s’élevant jusqu’à la toiture qui, aussi étonnant que cela puisse paraître, n’a pas cédé à certains endroits. Casque de protection vissé sur la tête, un ouvrier s’affaire dans la grande salle voûtée, jadis somptueuse, sise à l’étage. Il contemple la charpente de toit en bois, composée de poutres et de poteaux contreventés et entre lesquels sont insérées des planches, qu’il devra détruire, bon gré mal gré. « Wow ! Les composants imbriqués fonctionnent ensemble pour supporter le poids du toit et transférer les charges vers les murs et les fondations du bâtiment. Le bois a résisté au temps et à l’humidité. Cela n’aurait pas été le cas à Curepipe, je pense. C’est un crève-cœur de devoir démolir tout ça », dit-il.

Les exemples de bâtiments historiques en péril ou qui ont déjà disparu ne se comptent plus sur les doigts de la main à Port-Louis, dont ceux sis à la rue St-Georges. Cette impuissance face au marasme dans lequel se trouve notre patrimoine immobilier peut s’avérer d’autant plus ardue quand l’édifice ne bénéficie d’aucune reconnaissance à l’échelle nationale ou s’il a tout bonnement été enlevé de la liste des sites classés patrimoine national. L’ancien bureau de Publico a passé quatre ans et quelques jours en tant que tel avant d’être balayé d’un revers de main par le gouvernement MSM en 2020 !

Pour comprendre la genèse de cette volte-face, il faut remonter à janvier 2016, lorsque La Case Créole est rachetée par un promoteur qui voulait la raser pour construire une guesthouse. Cette décision provoque un tollé auprès des défenseurs du patrimoine. La décision de le classer patrimoine national, conformément à l’article 12 de la National Heritage Act, est soutenue en juillet 2016 par le ministère du Tourisme, sous la tutelle de Xavier Duval. « Nous avons été avertis par les voisins de l’annonce de la démolition de cette maison qui serait remplacée par un développement immobilier. J’ai contacté rapidement le ministère de la Culture qui, à la suite d’une réunion urgente du National Heritage Foundation (NHF), a inscrit ce bâtiment sur la liste des patrimoines nationaux. Nous sommes interpellés par la disparition de maisons de l’époque qui font partie de l’héritage culturel de la nation. Ce sont des bâtiments d’une rare beauté. Il est important que nos enfants et les visiteurs étrangers puissent continuer à voir ces maisons qui sont les témoins de notre riche histoire architecturale », avait déclaré Xavier Duval à l’époque.

Quatre ans plus tard, le 4 juin 2020, un règlement est promulgué en catimini. Il stipule que le bâtiment serait déclassé. Une décision qui prend effet deux jours plus tard, soit le 6 juin 2020, alors que le pays sortait tout juste de trois mois de confinement. Ce n’est que 20 mois après — à la faveur d’une question posée par la députée Joanna Bérenger au ministre des Arts et de l’héritage culturel, Avinash Teeluck, et suite à des recherches effectuées par l’ONG SOS Patrimoine en péril — qu’on a été mis au parfum de ce déclassement. « C’est en faisant des recherches sur les récentes nominations au conseil d’administration du NHF que je suis tombé sur cet amendement. C’est un triste record qu’établit ce ministère, car c’est la première fois qu’un bâtiment est déclassé. J’ai demandé aussi si des consultations ont eu lieu. Et surtout pourquoi une telle décision n’a pas figuré dans les décisions du conseil des ministres, mais le ministre était plus occupé à décaisser des sous pou aroz so bann organizasion sosiokiltirel », confie Arrmaan Shamachurn, président de l’ONG.

En réponse à Joanna Bérenger au Parlement le 29 mars 2022, le ministre Avinash Teeluck avait justifié ce déclassement en soutenant que « since the listing of the former Publico House as a National Heritage Site in July 2016, the owner of the property had been making representations to both my Ministry and the NHF for the delisting of the property as with the listing of the site, he could no longer develop his property nor maintain or carry out repairs to the property. Moreover, he also informed that he had contracted a loan for the acquisition of the property and he was encountering difficulties for the reimbursement of the loan. Since the owner had informed that the property needed major repairs and the cost of these repairs are enormous… Quantity Surveyors and Architects estimated the cost for restoration at Rs32 m. in January 2017 as per the visual survey and between Rs 45 m. to Rs 55 m. in 2019… »

Jointe au téléphone hier, Joanna Bérenger s’est dit attristée et en même temps en colère face au sort réservé à ce joyau architectural. « C’est une nouvelle interruption dans la transmission de la mémoire d’une partie de l’histoire de la capitale. À pleurer. La faute à un ministre de tutelle et un gouvernement qui n’en ont cure de la sauvegarde du patrimoine mobilier et architectural qui a façonné notre pays. La cause patrimoniale est le parent pauvre de l’action gouvernementale. Le bilan du ministre est une catastrophe totale. Il a beau se ranger derrière l’excuse du financement élevé pour la rénovation des sites, les solutions existent et ont déjà été proposées à maintes reprises au Parlement et par les ONG », dit-elle. Arrmaan Shamachurn étaye les propos de la députée mauve : « For three successive years, our association has made representations during the course of the Pre-Budgetary Consultation to provide owners of such buildings fiscal incentives to carry out necessary renovation works, but hardly any proposal has been taken on board. »

L’architecture traditionnelle tombe dans l’oubli. Les années s’égrènent et chaque jour l’impitoyable progrès dévore le patrimoine architectural. Pourtant, la maison traditionnelle née sous les tropiques est le fruit du génie de tout un peuple, c’est dire qu’on doit assurer au plus vite leur sauvegarde. Sauf que labsence de ressources, de mécanismes d’action et d’un ministre qui s’y consacre avec assiduité font que les générations futures seront privées des mille facettes de « ces belles dames » qui font la fierté de la capitale. « Inspirons, s’il est possible, à la nation l’amour de l’architecture nationale », disait le célèbre écrivain Victor Hugo. Certains en sont manifestement dépourvus.

Le tout-Maurice a assisté avec beaucoup d’amertume, de tristesse et de colère comment on a si odieusement procédé à la démolition, en 2017, du bâtiment en bois qui abritait jadis “La School”, le collège Royal de Port-Louis. Après « La School », « La Case Créole » et tant d’autres joyaux passés à l’échafaud, le restaurant Lambic, qui faisait jadis la fierté des habitants de la rue St-Georges jusqu’à ce qu’il ne ferme définitivement ses portes en 2020, devrait connaître le même sort l’année prochaine.

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