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Rencontre – Ni chaînes ni maîtres : Une démarche mémorielle pour éveiller les consciences

Avec Ni chaînes ni maîtres, on est en plein dans l’histoire du marronnage, avec en relief la résistance des esclaves fugitifs à l’ère coloniale à Maurice. Un film qui prend aux tripes avec en filigrane un témoignage historique très bien mis en perspective par le réalisateur Simon Moutaïrou. Un film qui est entièrement tourné à Maurice et qui a coûté la somme de Rs 122 millions. La parole aux Mauriciens qui ont travaillé sur le plateau de tournage.

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Ni chaînes ni maîtres s’inscrit dans une démarche mémorielle pour éveiller les consciences. À ce stade, Simon Moutaïrou, le réalisateur, a réussi à transmettre cette émotion souhaitée. Derrière la trame, la force des mots, les images poignantes, il y a aussi tout le travail abattu par des Mauriciens. Pour ceux qui ne le savent pas, le film est entièrement tourné à Maurice.

Bénédicte Banessy de la compagnie 2 Zebres raconte sa rencontre avec David Bersanetti, chef décorateur français qui a aimé sa perspective de déco pour Ni chaînes ni maîtres. « Bersanetti s’est senti connecté à ma vision que j’avais pour le film. Je suis devenu son bras droit sur ce projet. Il avait besoin de quelqu’un qui soit connecté à sa vision. À partir de là, ma mission a été de trouver des gens qui avaient la même sensibilité par rapport au film, dont Émilien Jubeau, Joël Valérie, Armand, ils ont été nos trois chefs constructeurs. Émilien a créé le village des esclaves, il sait gérer une équipe et il a l’habitude des chantiers. Quant à Joël qui a créé le village des marrons, il avait une connaissance du thème. »

Selon Joël Valérie, à travers le regard de David Bersanetti, il y a eu une élaboration d’idées, une analyse de la trame. Et à la suite de discussions avec l’historienne Vijaya Teelock, il est parvenu à sa manière à créer le village des marrons qui « n’a jamais été dessiné, photographié ou iconographié ». Et d’ajouter : « C’est la première fois que j’ai dû créer une déco en ayant en tête le passé de ces esclaves, de leur vécu. David, lui, est venu avec des esquisses de différentes cultures et nations. Pour créer ce village de marrons inexistants, il a fallu mettre en relief la végétation, la montagne, et aussi amener l’audience à se projeter dans ce village mythique des marrons avec son bois en acacia, le vétiver de l’époque. Cela a nécessité huit semaines de travail en atelier. David a su apporter de l’ordre dans ce village des marrons en sachant exactement l’emplacement. »

Émilien Jubeau, chargé de réaliser le village des esclaves, précise n’avoir pas été sur le lieu du tournage. Son rôle consistait à apporter sa touche personnelle en utilisant des matériaux locaux, un travail qu’il a abattu avant le début du tournage. « David a su cerner ma sensibilité créative pour un village d’esclaves dans le contexte mauricien mais avec un décor qui vient de la tête d’un Français. C’est très spécifique, on a le four, le moulin en brique, la croix, la niche des chiens. Ce qui différencie le village des esclaves à celle des marrons est sa construction européenne imposante. Le contraste entre les deux est que le village des marrons est caché, les esclaves se sont échappés et se fondent dans le décor. Il y a deux univers différents. Avec en point d’orgue, cette belle représentation d’une sucrerie de l’époque qu’il a fallu créer. » Et Bénédicte de rajouter : « La force de ce film repose sur l’expertise et le professionnalisme de tous les Mauriciens qui ont travaillé sur ce projet. Dans notre département, il a fallu créer des univers là où le réalisateur du film, Simon Moutaïrou, allait emmener les acteurs pour raconter cette histoire. Et par rapport aux décors créés, il y a eu une immersion totale. »

Pour Joël Valérie, il s’agit d’un voyage au cœur d’une île Maurice profonde pour les Mauriciens avec les champs de canne, la montagne, les cascades, les bois, les caves… Et Émilien Jubeau de renchérir : « C’est un film fait à Maurice avec le talent des Mauriciens. Notre gros défi a été de réaliser ce que le réalisateur avait en tête avec les moyens mauriciens. Tout ne se fond pas, tout ne se construit pas. Pour la scène finale, il a fallu étendre la montagne sur 25 mètres. Il y a eu une structure monumentale à construire, avec de faux rochers pour que les acteurs évoluent. Et là on s’est dit qu’on a des talents à Maurice. »

Reconnaissance des talents mauriciens

Niven Pareemanen de Nine Pictures Company, producteur exécutif de Ni chaînes, ni maîtres, a expliqué de son côté que ce film raconte une histoire qui est celle des Mauriciens. « Ce qui s’est passé en 1759, on a pu le transposer en 2024. Il y a encore des inégalités, des gens opprimés à cause de leur couleur de peau. Le film tient tout seul, c’est avant tout une histoire des gens à la recherche de la liberté. L’autre point fort qu’on ne voit pas à l’œil nu est la grotte des marrons. On a mis un décor dans une grotte. La machine qui écrase la canne à sucre, on l’a reconstruite. »

Bérengère Sériès, présidente de Ti Rayon Soleil, relate avoir rencontré le réalisateur Simon Moutaïrou par hasard sur une terrasse de restaurant. « Il parlait français et comme je suis française, j’ai intercepté sa conversation, il parlait de costumes du 18e siècle, alors que lui était habillé en T-shirt et short. Je me suis présentée comme directrice de l’Ong Ti Rayon Soleil. Et de là, il me parle de son film et de sa recherche de figurants. »

Nadia Kirsten Motet, Casting Director de NKM Design & Talent, dira que Simon était très passionné par ce projet. « J’ai une base de données d’acteurs et de figurants, mais c’était compliqué. On avait des personnes du Morne qui n’avaient jamais été comédiens. On est parti dans tous les villages, tout en faisant appel à l’Ong Ti Rayon Soleil. Et c’est Bérengère qui nous a fait avoir des familles défavorisées comme figurants. Et grâce à leurs prestations, ils ont eu une rémunération qui les a aidées à faire vivre leurs proches. » Et Bérengère de renchérir : « C’est une rencontre incroyable, il y a eu la conteuse Zanan qui vient du village du Morne, Nina, pêcheuse de coquillage, mère de 11 enfants. Ces familles ont participé à une aventure humaine chargée d’émotions. »

Authenticité du décor

Joël Ramdoo a, de son côté, endossé le rôle d’un des commandeurs malgaches. « J’ai coupé l’oreille d’un esclave. Il a fallu que je construise quelque chose dans ma tête, surtout que je joue le rôle d’un salopard et qu’il m’a fallu rester impassible face à l’action horrible que je venais de faire. » L’acteur s’est dit interpellé par le « faux sang, les fausses cicatrices, les coups de fouet », car il avait « cette odeur » dans le nez. « Ils ont tout fait pour que la scène semble réelle, j’avais cette fausse odeur de sang presque dans les narines. Il y a aussi des moments forts lorsqu’un esclave se fait marquer au fer rouge de la fleur de lys. Et en tant qu’humain, rester insensible, c’était difficile. Mon rôle saisissant m’a permis de comprendre ce que les esclaves avaient vécu. J’ai eu la chance de parler à Benoît Magimel, Camille Cotillo, Ibrahim Mbaye. » Selon Joël Ramdoo, cela lui a permis de se reconnecter avec son île en campant ce personnage de commandant. Par ailleurs, il considère Ni chaînes ni maîtres, comme étant une réalisation artistique, et pas vraiment de l’ordre d’un documentaire. « La chasse aux esclaves, c’est une histoire vraie avec Mme Lavictoire, un personnage qui a existé. »

Amaury Bouchet et Vincent de Robillard, tous deux de Compass Location Ltd, forment un solide tandem. « Amaury a fait le repérage des sites une année avant le tournage. C’est la première fois qu’on a fait un film avec autant de décor extérieur. Les productions ont tendance à penser aux hôtels, plage. Pour “Ni chaînes, ni maîtres”, on a choisi de montrer la nature, le marronnage, les esclaves et des lieux insolites. La culture en termes de protection du patrimoine, c’est fort comme thème. C’est important de savoir d’où on vient, qu’on est un peuple multiculturel. Et ce brassage est un bel exemple pour le reste du monde. »

Amaury Bouchet parle de sa rencontre avec Simon Moutaïrou à travers David Constantin. « Simon était en repérage et je lui ai demandé s’il était prêt à aller beaucoup plus loin dans les forêts pour son film. On a cherché des cascades, des chasses, des forêts, la montagne Yémen. On a emmené une équipe d’une centaine de personnes et c’est précisément le repérage de ces lieux qui a donné à ce film tout son cachet authentique. Je suis particulièrement sensible devant la montagne du Morne, notre patrimoine. On a mis en relief l’authenticité du décor mauricien et beaucoup de Mauriciens ont été étonnés de voir ce que renferme notre île. »

Niven Pareemanen reconnaît qu’il y a eu des difficultés lors du tournage. « Il fallait trouver des accès, car 3% du film ont été tournés à la maison Eureka et tout le reste à l’extérieur. Rs 122 millions ont été dépensées à Maurice. » Pour Niven, il s’agit « d’un coup de chance » d’avoir fait partie de cette production. Son nom a été communiqué par David Constantin, réalisateur de Simin Zetwal, au producteur délégué, Nicolas Dumont de Chi Fou Mi (société qui produit Ni chaînes ni maîtres). « Tous les sites du film, on les doit au repérage d’Amaury Bouchet. »

Niven raconte que le déclic pour le scénario s’est produit dans la tête du réalisateur Simon Moutaïrou lorsqu’une dame habitant Le Morne lui a raconté l’histoire des esclaves et du marronnage de cette partie de l’île. « Il a rencontré des historiens mauriciens, français, sénégalais et le résultat a été concluant. Pour nous, Mauriciens, cela a été bouleversant de voir l’histoire de Maurice sur grand écran. Je pense que cette démarche inspirera d’autres réalisateurs.»

Ceux qui n’ont pas regardé le film peuvent le faire en se rendant aux cinémas Star et MCiné. Un film qui vaut le détour comme un rappel de mémoire.

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