Money first

L’emballement n’aura été que de courte durée. Lorsque la nouvelle est tombée jeudi, c’était littéralement l’extase pour les plus crédules. Ceux-là ne se sont pas fait prier pour distribuer des félicitations aux uns et aux autres, tandis que les plus circonspects, soupçonneux quant au timing de l’annonce, ont sagement préféré attendre de lire le communiqué officiel sur la souveraineté de la République de Maurice sur les Chagos pour se prononcer.

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Ceux qui ont bien disséqué le communiqué présenté comme officiel n’ont pas été dupes des prétentions triomphales mises en avant par le récit propagandiste. Lalit a parlé de « historic sell-out », alors que Jean-Claude de L’Estrac, jamais à court d’une formule piquante, a évoqué « une deuxième vente » des Chagos.

Dans tout ce débat, c’est le chiffre de 99 ans, celui de la durée du bail que s’octroie la Grande-Bretagne pour continuer à permettre aux Américains d’occuper la base de Diego Garcia qui colle à l’esprit des Mauriciens et qui les interpelle au premier chef. Pour eux, le postulat se résume à ceci : reconnaître la souveraineté, c’est bien, l’exercer c’est encore mieux. Or, c’est très loin d’être le cas et, à bien y voir, on est à un retour à la case départ. Les plus sceptiques sont tentés de dire que c’est quelque part pire que ce qui nous avait été imposé au moment où le pays n’était pas encore lui-même totalement souverain.

C’est pour toutes ces raisons qu’une fois le discours officiel prononcé et la victoire revendiquée, il y a eu comme un sentiment de désenchantement chez les Mauriciens de même que chez les Chagossiens devant ce faux triomphe. Tout ça pour ça ! Logique dépit.

Dans ce dossier, tout ressemble à un échéancier qui a été savamment organisé. La visite récente du haut-commissaire de Maurice en Grande-Bretagne accrédite la thèse d’une action concertée en vue de précipiter les annonces avant le prochain scrutin. Il fallait vendre le volet d’assistance financière pour faire miroiter des distributions sonnantes et trébuchantes à venir. Même si personne ne sait quelles en sont les modalités et encore moins le montant agréé.

Money first ! Oui, dans toute cette affaire, c’est la question financière qui a été au centre des préoccupations de la partie gouvernementale mauricienne pressée de conclure avant un scrutin décisif, quitte à céder sur l’essentiel. La souveraineté rétablie en principe mais pas dans les faits était apparemment secondaire. C’est la manne qu’elle espère du deal conclu, quitte à sacrifier la souveraineté, qui a été son souci premier.

Il paraît même que certains tablaient sur un important décaissement avant les élections. Cela ne s’est pas matérialisé. Ils vont devoir se contenter d’une promesse d’assistance financière. Jamais le slogan « the best gouvernement money can buy » n’aura été aussi approprié pour décrire l’appétit démesuré pour soi et pour la distribution de bribes électoraux d’un régime qui ne sait pas se faire aimer ou respecter sans acheter des votes. Une situation parfaitement illustrée par des cris de « voler » proférés en direction de ministres devant le Bâtiment du Trésor il y a trois jours.

Si le fond pose problème, la forme n’en est que plus discutable. Les Chagos, cela a été l’affaire de tous les gouvernements depuis l’indépendance, avec un mouvement de revendication qui s’est accéléré depuis le début des années 1980. Il y a eu de multiples tentatives de présenter un front commun face aux Britanniques et aux Américains depuis cette date jusqu’à 2017.

À son retour aux affaires en 2014, sir Anerood Jugnauth avait pris l’initiative d’un comité de parlementaires pour discuter des voies et moyens d’obtenir le rétablissement de la souveraineté de Maurice sur les Chagos. Le comité avait tenu plusieurs réunions jusqu’à la décision de s’en remettre à la Cour internationale de Justice, qui a finalement donné gain de cause à la partie mauricienne.

Pravind Jugnauth, qui a pris le relais de son père dans les circonstances que l’on sait, n’a jamais cru utile de partager ou d’échanger sur le dossier Chagos avec les autres partis politiques, ne serait-ce ceux qui sont représentés à l’Assemblée nationale et qui ont une légitimité populaire. Là aussi, comme à Maurice, comme à Agaléga, Pravind Jugnauth se pose maintenant en propriétaire des Chagos.

C’est un état d’esprit qu’il faut absolument combattre. Il ne peut pas engager le pays dans un accord à la veille des élections qui peuvent le renvoyer dans le karo kann. Tout accord et tout traité à venir doivent, en l’absence de la possibilité d’un recours référendaire, obtenir la plus large adhésion qui soit et faire au moins l’objet d’un large débat impliquant les parties intéressées autant que ceux qui ont été déracinés de leurs îles natales et leurs descendants. Tout autre voie ne serait que violation supplémentaire de la démocratie.

Dans tout ce débat, il ne faut pas perdre de vue la lutte des Chagossiens et le sort qui leur sera réservé. Quel est le plan pour un retour dans les îles Peros Banhos et Salomon, ces parties de l’archipel qui devaient être restituées à Maurice depuis 2003 sous un gouvernement MSM-MMM et qui ont buté sur le refus de la notion du split sovereignty du gouvernement travailliste subséquent ?

On dira que c’est 20 ans de perdus, mais le temps de la reconnaissance, de la réparation et de la réhabilitation est venue. Les Chagossiens méritent toute leur place et une participation en première ligne dans les discussions à venir sur un dédommagement pour le long préjudice subi et sur un calendrier de visites et/ou de réinstallation sur leur terre natale.

Après avoir été témoins de ce qui s’est passé à Agaléga, une île qui dispose d’un aéroport pouvant accueillir des avions militaires indiens pendant que les enfants des natifs ne peuvent avoir un transport pour venir prendre part aux examens ici, ils verraient d’un très mauvais oeil que la République de Maurice fasse du fric sur leur dos et qu’ils ne deviennent que le dindon d’une farce qui n’a que trop duré. Alors, attention…

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