Pendant que vous cherchez comment trouver les bons mots pour parler de la mécanique sexuelle, des sentiments et de tout le package de l’amour à votre ado, il y a une grande chance que des sites pornographiques vous aient devancé depuis longtemps. Parler de sexualité et de vie affective aux préados et ados est un sujet glissant pour beaucoup d’adultes, éducateurs et parents. Pourtant, la sexualité précoce chez les jeunes est une réalité. C’est avec un esprit ouvert que Lesprisexy est arrivé sur la place cette année pour s’adresser aux enfants et ados, de 10 à 18 ans, et leur expliquer ce qu’est réellement la sexualité. Dépoussiérant les stratégies plutôt bon enfant, l’entreprise sociale de Gaëlle Schluchter propose une approche holistique de l’éducation à la sexualité et à la vie affective, comme préconisé par l’UNESCO, mais aussi basée sur la réalité des ados qui ont pour référence des groupes faisant la promotion de l’hypersexualisation de la femme. Une centaine de jeunes ont déjà bénéficié des formations de Lesprisexy.
Qu’est-ce qui vous a amené à lancer Lesprisexy ?
— Je travaille dans le domaine du social depuis 2018. J’ai travaillé pour le Collectif Arc-en-Ciel, le Collectif Urgence Toxida et en parallèle j’animais des ateliers d’éveil de conscience pour les enfants. J’ai toujours voulu explorer et développer le côté animation dans les interventions sociales. J’ai eu la chance d’être sélectionnée pour le projet Horizon 2024 de la Fondation Joseph Lagesse pour animer des ateliers d’éducation affective et sexuelle à Bois Marchand dans le but de réduire les grossesses précoces, en 2020. À côté de tout cela, je voyais que chaque association militait pour une cause spécifique, mais que toutes les thématiques qui concernent la vie affective et sexuelle n’étaient pas forcément abordées. Ce qui était pour moi une ouverture vers un projet. Et donc, à partir de 2020, je suis entrée dans un processus de réflexion autour de l’entrepreneuriat social. Ayant été entrepreneure autrefois, je n’allais pas tout à fait vers l’inconnu. Après avoir été sélectionnée et soutenue par Trampoline, initiative qui accompagne les entrepreneurs sociaux, l’idée que j’avais en tête, c’est-à-dire faire de mon projet une entreprise à part entière, s’est concrétisée. Lesprisexy a pris son envol depuis le début de cette année. J’ai pu tester mes ateliers et me réajuster lorsqu’il le fallait. Si j’ai lancé Lesprisexy seule, aujourd’hui j’ai à mes côtés deux facilitatrices, et je peux compter sur l’expertise d’une sexologue à qui je fais appel lorsqu’il y a un besoin.
Lesprisexy vient combler une lacune en éducation à la sexualité adaptée aux jeunes ou compléter des programmes déjà en place ?
— Nous vivons dans une société hypersexualisée avec des enjeux qui y sont liés et l’Organisation des Nations Unies a, à maintes reprises, pointé Maurice du doigt pour son manque d’éducation affective et sexuelle. Nos adolescents sont connectés à des réseaux sociaux où des clips de leurs groupes préférés normalisent l’hypersexualisation de la jeune femme. D’autre part, il est très compliqué pour nous, animateurs, d’intervenir dans les écoles pour toucher un maximum de jeunes afin de les responsabiliser à travers une démarche éducative.
C’est dans ce contexte, où il y a effectivement un vide à combler en matière d’informations objectives, que Lesprisexy a développé une approche holistique basée sur la réalité. J’aborde plus de 20 thématiques des 8 concepts clés pour une éducation à la sexualité complète selon les principes directeurs internationaux préconisés par l’UNESCO. Avec notre approche holistique, nous parlons d’amour et de sexe, d’un point de vue de la tête, du cœur et du corps. Cela comprend les émotions, l’identité, le genre, l’amour, le consentement, les relations saines et toxiques, l’anatomie, le cycle menstruel, le plaisir, le désir, la protection, la gestion des risques, les maladies sexuellement transmissibles, la violence, l’addiction… J’informe sur les droits, la majorité sexuelle, les réseaux sociaux, l’algorithme et la pornographie. C’est tout un processus.
Puisque vous ne pouvez pas intervenir dans les écoles, qui reste une plateforme clé pour la sensibilisation, comment est-ce que vous atteignez votre public cible ?
— À chaque problème une solution. Comme c’est difficile de rentrer dans des écoles, j’irai lor koltar, rod dimounn lor terin ki kapav transmet bann mesaz dan enn lot fason ki par lekol. Je travaille sur un projet pilote. Lesprisexy va monter et former une équipe de jeunes adultes, de 18-25 ans issus de toute l’île, aux notions que j’enseigne et partage, pour qu’ils deviennent les points focaux dans leurs régions respectives. Ils pourront à leur tour animer des sessions sur différentes thématiques. Ainsi, des jeunes qui ont des questions ou soucis sur quelque chose qui concerne leur vie affective ou sexuelle, par exemple la contraception ou les cycles menstruels, pourront aller à leur rencontre et en parler. Avec les contacts que j’ai au sein des ONG, j’ai déjà un réseau pour référencer les problématiques en fonction de leur nature. Ceux qui seront formés par Lesprisexy pourront aussi récolter des données, car nous n’avons aucune information qualitative et quantitative sur les comportements dans la vie affective et sexuelle, et les besoins des jeunes. Jusqu’ici, je vais dans les communautés, là où les fondations et ONG qui font appel à moi, sont actives.
Comment est-ce que les ados que vous avez sensibilisés accueillent les informations que vous leur donnez et qui ne sont pas celles qu’ils reçoivent sur les réseaux sociaux ou autres ?
— Ce qui est encourageant, c’est que, lorsque le dialogue s’installe entre eux et nous, ils s’expriment. Si des garçons de 14 ans demandent s’il faut qu’ils brutalisent leur copine pendant un rapport sexuel, c’est qu’ils sentent qu’enfin ils peuvent parler de ces questions qu’ils se posent depuis un certain temps. Ils se sentent écoutés. Et le fait de pouvoir leur expliquer comment les choses doivent se passer, cela permet de les aider à changer leur perception de la sexualité. D’abord, je leur parle de la réalité et des chansons qu’ils écoutent. Je les mets devant les faits accomplis. S’ils adhèrent aux informations que je leur donne c’est parce que je leur parle de choses réelles. Après, est-ce qu’ils vont mettre en pratique les enseignements que je partage avec eux ? Je pense que c’est plutôt compliqué pour eux. On leur parle de protection. Mais comment se protéger quand on est mineur ? Les mineurs ne sont pas supposés avoir accès à des préservatifs. Il y a des obstacles aux méthodes de protection lorsqu’on est mineur. Dans ces conditions, c’est à long terme que je pourrai mesurer l’impact du programme sur les adolescents que j’ai touchés.
La sexualisation précoce est de plus en plus courante chez les adolescents. Y a-t-il un comportement inquiétant en particulier ?
— Je vois des jeunes filles de 13-14 ans qui revendiquent une vie sexuelle active et libérée, sans protection. Elles vous disent de manière directe qu’elles préfèrent le contact sans préservatif, parce que c’est plus naturel. On connaît les crises qui découlent de ce comportement. Grossesses précoces, maladies sexuellement transmissibles… Quand une fille de 14 ans revendique une sexualité active et affirme que le préservatif est un obstacle au plaisir, il y a là une éducation à faire. Au-delà du simple fait de donner des protections, il faut lui expliquer que c’est un mythe que de croire que le préservatif diminue le plaisir et lui parler de l’importance de se protéger. Il faut expliquer aux jeunes qu’on a un rapport sexuel que lorsqu’on est prêt et que celui-ci comporte des étapes. Les garçons, comme je l’ai dit plus haut, se posent des questions sur la brutalité dans leur relation sexuelle. Il y a une influence de la pornographie qui prend une grande place dans la vie des jeunes, ils peuvent penser qu’un acte sexuel comprend des actes hardcore… Ils ont accès à tout, mais pas à l’accompagnement à l’éducation à la sexualité et la formation dont ils ont besoin. Les sites pornographiques ne sont pas des encyclopédies des relations sexuelles, mais des jeunes les utilisent. Du coup, ils perdent l’essence même de l’amour. On aura beau donner des informations, ils scrollent sur les réseaux sociaux et voient défiler des images erronées qui ne traduisent pas la réalité. Il y a actuellement une tendance sur TikTok qui m’interpelle, ce sont des photos de couples avant et maintenant où les filles si elles ont actuellement 18 ans, elles étaient donc mineures à l’époque. Ce qui constitue un délit. Avec les réseaux sociaux, le challenge pour Lesprisexy est plus grand.
Lesprisexy vient-il dépoussiérer une approche de la sexualité chez les jeunes, jusqu’ici plutôt bon enfant ?
— Lesprisexy vient promouvoir un mindset où il faut envisager l’amour et le sexe de manière globale en parlant des émotions. Je viens essayer de connecter toutes les thématiques qui lient l’amour et le sexe. Certes, il y a des cours d’anatomie à l’école, mais cela ne suffit pas ! Combien de jeunes filles comprennent réellement le fonctionnement de leur cycle ? Certaines reçoivent des informations et consultent des applications, mais combien d’entre elles ont accès à ces outils ? Il faut se connaître et apprendre à s’aimer soi-même avant d’aimer quelqu’un d’autre.