De concert avec des chefs religieux et l’ONG Castel Scouts, ils sont déterminés à les mettre hors d’état de nuire
En se donnant pour mission de dissuader les trafiquants de drogue d’opérer dans leur quartier, des habitants de Camp Caval à Curepipe, de concert avec l’ONG Castel Scouts et des chefs religieux, ont démontré qu’ils n’ont pas froid aux yeux. À leur risque et péril, ils ont manifesté leur courroux, dimanche dernier, dans les rues du quartier, avant de signer une démonstration de force en se confrontant aux dealers, avec tact, et sous l’œil de la police présente en grand nombre. Les manifestants ont analysé avec sévérité l’ « incapacité de l’État de réduire l’échelle du problème ». Le déroulement de ces événements n’est pas anodin et révèle une dynamique sociale orchestrée par des organisations citoyennes qui souhaitent peser de tout leur poids dans la bataille contre ce fléau qui tue de plus en plus de Mauriciens.
Le trafic de drogue ne tombe pas du ciel. L’éradiquer n’est pas une mince affaire. Il prospère dans des lieux que les réseaux de revente et circuits de consommation peuvent noyauter. Sous ses airs paisibles, Camp Caval n’échappe pas à ce triste constat. En vérité, le ras-le-bol couvait depuis longtemps. Pour saisir l’ampleur de la prévalence de la drogue dans ce quartier, il suffit d’écouter les nombreux témoignages des habitants. Les scènes révélées dépeignent des zones en proie au chaos, entretenues par une dizaine de dealers. Il y a surtout l’impunité dont ils continuent à jouir sans entrave. Attirés par l’appât du gain, des mineurs se retrouvent à la merci des trafiquants. La facilité avec laquelle n’importe qui peut se procurer de la drogue dans le quartier et l’émergence de « scènes ouvertes » d’usage de drogues synthétiques ont été la goutte qui a fait déborder le vase.
Le message est, désormais, clair et limpide du côté des riverains : mettre hors d’état de nuire les acteurs de ce commerce illégal. La première étape de cette délicate entreprise s’est traduite par l’organisation d’une manif, avec comme point d’orgue la confrontation avec les concernés ! Il faut un certain courage pour venir les défier dans leur propre fief. D’où la question de savoir ce qui a pu mener à cette mobilisation citoyenne de grande envergure. « Notre mouvement social avait été sollicité par des parents désemparés par l’enfer de la drogue synthétique dans lequel se sont plongés leurs enfants. La marche pacifique qui a précédé la confrontation avec les dealers présumés ne s’est pas faite sur un coup de tête. C’est une entreprise qui a été minutieusement préparée, car il fallait à tout prix éviter des prises de bec. Nous nous sommes orientés vers la mise en place d’une politique globale basée sur des concertations avec toutes les parties concernées par ces nuisances, des imams et d’autres chefs religieux, avant de faire feu de tout bois », confie Fardeen Koodoruth, membre de l’ONG Castel Scouts.
Fondé en 2018 et regroupant une cinquantaine de membres issus des quartiers de Vacoas/Phœnix, à l’instar de Castel, Mesnil et Camp-Fouquereaux, Castel Scouts a fait du trafic de drogue son cheval de bataille. « Dans un État de droit normal, les habitants n’ont pas à jouer ce rôle-là, mais comme la répression ne marche pas pour éradiquer le trafic, certains mouvements comme nous se présentent comme un rempart crédible contre ces dérives qui gangrènent notre société », ajoute Fardeen Koodoruth. Des centaines de personnes se sont mobilisées lors de ce rassemblement qui s’est déroulé sous un temps clément, dans l’ordre et la discipline.
Arborant des t-shirts blancs floqués aux couleurs du mouvement et muni de banderoles marquées au feutre, les membres de Castel Scouts, juchés sur des camions ou des 4×4, ont lancé des slogans et des messages sans équivoque à l’endroit des dealers. Une dizaine de deux-roues, roulant au pas en queue de cortège, ont également parcouru les rues principales du quartier dans un concert de klaxons. Tout ce beau monde lance un appel aux forces de l’ordre pour qu’elles multiplient les opérations de surveillance sur les lieux de trafic, ainsi que les filatures. Et le recours à des témoins sous X, des habitants du quartier qui s’expriment anonymement pour éviter d’éventuelles représailles. Au cœur de la manif, on a entendu des gens crier « aret toy nou zenfan ! » et « marsan lamor out ! » D’autres manifestants agitaient le quadricolore et scandaient « la polis bizin azir ! ».
Enhardis par l’effervescence autour de l’évènement, les riverains se sont massés en grand nombre devant le camion où des chefs religieux se sont exprimés tour à tour pour dénoncer l’impunité dont bénéficient les dealers. «Aucun citoyen n’est apte à prendre la loi entre ses mains. Nos lois prévoient l’intervention des autorités, notamment la police, dans le cas de tels délits ou infractions à l’ordre public. Dans l’éventualité où un ou des individus disposent de renseignements fiables concernant un quelconque délit ou acte illégal, il est de leur devoir d’alerter la police ki bizin azir », a fait ressortir un imam. Dans de nombreux quartiers gangrénés par le trafic de stupéfiants, il y a des réticences ou la peur de monter au créneau pour tirer la sonnette d’alarme, sous peine de faire l’objet de menaces… Les habitants de Camp Caval n’ont pas fait les choses à moitié, dimanche. En se mêlant aux chefs religieux et aux membres pour s’adresser directement aux dealers, ils leur ont lancé un signal fort qu’ils ne sont pas prêts d’oublier.
Les trafiquants de drogue présumés n’en croyaient pas leurs yeux en voyant débarquer devant leurs demeures cette troupe de gens s’époumonant, à l’aide d’un mégaphone. Il faut donner du crédit aux fers de lance de cette forte mobilisation qui ont eu la bonne idée de faire preuve de tact et de diplomatie pour s’adresser aux dealers. « Éviter les conflits. La diplomatie du langage est un mélange de délicatesse et de prudence que manient parfaitement les hommes religieux. C’est la raison pour laquelle un imam a été désigné pour discuter avec les concernés. L’objectif a été atteint, quand bien même certains dealers étaient dans la dénégation, alors que d’autres n’ont pas daigné nous écouter », soutient Fardeen Koodoruth.
Une mobilisation hors du commun qui pourrait donner des idées à bien d’autres quartiers sous l’emprise de ce fléau. « Ce combat continuera inlassablement et nous invitons non seulement des Mauriciens d’autres régions, de toutes les communautés, à se mobiliser, mais à nous rejoindre dans cette louable initiative », ajoute notre interlocuteur.