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Questions à Vijay Naraidoo : « La vie doit être difficile pour une personne âgée vivant seule… »

Comment se portent nos «  gran dimounn  »   ? Dans le cadre de la Journée internationale des personnes âgées, célébrée le 1er octobre, nous avons posé la question à Vijay Naraidoo, membre fondateur et Assistant directeur général de Dis-Moi et responsable de la Commission des Droits des Personnes âgées. Militant pour une Convention sur les Droits des Personnes âgées de l’ONU, il écrit régulièrement sur le sujet et milite aussi pour que le gouvernement mauricien procède à la ratification du Protocole Relatif aux Droits des Personnes âgées de l’Union africaine. Vijay Naraidoo a aussi participé aux débats sur la proposition de Convention à Genève en 2019 et à New York en mai 2024.

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Nous célébrons, le 1er octobre, la Journée des personnes âgées. À Maurice, en 2024, comment se portent nos seniors  ?

Le 14 décembre 1990, l’Assemblée générale des Nations Unies proclama le 1er octobre Journée internationale des personnes âgées. Certes, il faut célébrer ce jour dédié aux personnes âgées, mais il est primordial de fixer notre attention sur les défis auxquels elles font face. De par notre politique de Welfare State, les personnes âgées sont bénéficiaires d’une pension non contributive de vieillesse, ont droit à des soins gratuits et ont le droit de voyager sans payer le coût du trajet, quelle que soit la distance, et tout cela à partir de 60 ans. Il faut aussi souligner que ceux qui doivent prendre leur retraite à 65 ans touchent leur pension de vieillesse à 60 ans.

Je constate, et les statistiques le prouvent, que comme partout ailleurs dans le monde, nous sommes une société vieillissante. Les personnes âgées sont plus conscientes de leur hygiène de vie, fréquentent la gym ou font leur marche quotidienne. La médecine ayant fait du progrès s’ajoute au fait que les personnes vivent plus longtemps, ce qui est une bonne chose. D’ailleurs, le nombre de centenaires en est une indication.

Aussi, un grand nombre de personnes âgées sont sujettes à des maladies non transmissibles, il est de plus en plus commode de placer ses vieux parents dans des maisons de retraite communément appelées «  home  » chez nous, ou de continuer à les «  exploiter  » en leur donnant la charge d’accompagner les petits-enfants à l’école et de transporter de gros paniers de légumes les jours de foire ou encore aller faire la queue pour régler les factures. Mais j’ai de l’admiration pour ceux qui, même à un âge avancé, voire très avancé, continuent de travailler, et d’ailleurs c’est leur droit. Je pense aux tailleurs, laboureurs, maçons, médecins et j’en passe. Mais il n’y a pas que cela, il y a ces grand-mères qui sont obligées de travailler pour ajouter au maigre revenu d’un foyer où elle doit nourrir ses petits-enfants.

Quel est votre constat de la qualité de vie des personnes âgées à Maurice  ?

La qualité de vie dépend essentiellement du revenu, des dépenses obligatoires, des choix que l’on fait de son style de vie. En plus de leurs droits à la nourriture, aux habits et à un toit (« roti, kapra aur makhan »), elles doivent pouvoir exercer leurs droits à l’éducation, aux loisirs de qualité, pas qu’un tour en autobus et puis c’est tout. Il y a aussi le droit à la liberté d’expression, aux soins de qualité, à l’autonomie et l’indépendance, aux choix de participer aux affaires de la société, du pays, de choisir en toute lucidité une personne de confiance qui veillerait sur elles, de disposer de leurs biens selon leur volonté. La qualité de vie est aussi affectée par la hausse des prix galopante, je ne suis pas économiste, mais nous sommes tous servis à la même enseigne. La vie doit être difficile pour une personne âgée vivant seule, et il y en a beaucoup.

Diriez-vous que les représentations sociales des personnes âgées ont changé ces dernières années  ?

Trois axes sont proéminents au cours de notre existence : vivre, vieillir et mourir. Ce qui fait que les représentations sociales des personnes âgées changent effectivement dans une société en mutation. Notre vocabulaire s’est enrichi, nous appréhendons un peu plus la gérontologie, la gériatrie. Grâce à la lecture des journaux et autres magazines qui vulgarisent ces notions et des programmes à la radio et à la télévision, nous devenons plus conscients du phénomène du vieillissement. Je ne vous parle pas de la maladie d’Alzheimer qui devient le buzz au sein des familles… qui est une bonne chose. Une meilleure connaissance nous amène à développer une attitude plus responsable et plus respectueuse des personnes âgées.

Aussi, celles-ci ne sont pas que des demandeurs de prestations sociales, elles sont avant tout  owners of their rights. Reconnaissons aussi que cette catégorie de personnes continue à être active dans le secteur informel et, de ce fait, contribue au développement socio-économique du pays. Il n’y a pas que l’image d’une personne âgée synonyme de maladie, de dépendance et de fardeau pour la famille et pour la société. Cependant, il y a des écarts qui nous interpellent, par exemple, le non-respect des droits des personnes âgées. Cela dit, les personnes âgées s’expriment davantage et attirent l’attention des gouvernants présents et à venir.

Justement, plus les années passent, plus les cas de maltraitance envers les personnes âgées augmentent…

Le nombre de cas de maltraitance et de violence à l’égard des personnes âgées est de plus en plus alarmant et pas que, la nature de certains cas est révoltant. J’ai lu l’autre jour qu’un jeune aurait violenté un homme âgé par vengeance sur une question apparemment de palabres. Des hommes et des femmes sont battus par leurs enfants pour avoir refusé de leur donner de l’argent pour leur plaisir personnel. La pension de vieillesse qui fait survivre une famille pauvre est souvent convoitée par des voleurs aux aguets ou par des proches.

Souvent, des personnes nous appellent pour dire que la violence verbale fait partie de leur quotidien. Imaginez l’état psychologique de la personne humiliée peut-être parce qu’elle a osé exprimer une opinion, ou parce qu’elle a jeté de l’eau par terre ou a téléphoné à un ami de longue date pour demander de ses nouvelles ! Je n’invente rien. Dans d’autres cas, c’est l’exiguïté de la pièce qu’ils occupent comme maison et la personne âgée n’a nulle part où aller. Faut-il aussi que je dise que la maltraitance coupe à travers toutes les classes sociales et très rares sont ceux qui viennent dénoncer les présumés coupables à cause de leur filiation… «  Mo garson pou gagn onte sirtou lakoz so travay  », disent-ils. Dans des maisons de retraite, la situation n’est guère reluisante. Selon l’OMS, une personne sur six est l’objet de maltraitance dans les maisons de retraite. Maurice n’y échappe pas, malheureusement.

Peut-on dans ce cas parler d’âgisme  ?

Merci de poser cette question sur l’âgisme. Dis-Moi vient de compléter un sondage sur l’âgisme à Maurice et à Rodrigues. Une fois les données analysées et les constats faits, nous les rendrons publics. L’âgisme est une forme de discrimination fondée sur l’âge qui se traduit par des attitudes négatives ou par des gestes qui contribuent à l’exclusion sociale des personnes âgées.

Le fait, par exemple, de vous dire que votre opinion est jugée bancale, que vous entendez mal, que vous prenez trop de temps pour grimper les cinq marches de l’autobus, que vous êtes trop âgé pour une promotion ou pour travailler, ou alors qu’on vous laisse seul à la maison et… qu’on ne réponde pas à votre bonjour. Imaginez le mal que cela fait à l’estime de soi, au respect de sa dignité, à sa personnalité, et ce, quel que fût son parcours et statut social, son emploi, son engagement, sa contribution au développement du pays ? Et je répète quelle que fut la profession de la personne âgée ! Pour le besoin de vos lecteurs, j’aimerais partager ceci : c’est en 1969 que le gérontologue Robert Butler attire l’attention au fait qu’on mettait dans le même panier toutes les personnes appartenant au même groupe d’âge, en particulier les personnes âgées. Cela implique qu’on ne tient pas compte de leur personnalité unique, de leurs différences, de leurs conditions de vie, de leur parcours singulier, car les personnes âgées ne sont nullement un groupe homogène. Alors oui, on peut parler d’âgisme.

Comment faire pour améliorer la qualité de vie de nos aînés  ?

Plusieurs facteurs doivent être réunis, à commencer par une nourriture équilibrée, des vêtements et un toit convenables. Les membres de la famille doivent donner leur place à leurs aînés. Cela étant dit, je ne fais pas de jugement de valeur sur ceux qui trouvent trop convenable de «  poser  » leurs parents dans des maisons de retraite qui, soit dit en passant, deviennent un investissement lucratif. C’est vrai qu’il y a une demande croissante surtout pour ceux qui se trouvent dans une situation de  solo ageing , vieillir seul pour des raisons différentes. Les autorités ont le droit d’exercer des contrôles comme le font des organisations spécialisées pour attribuer des étoiles ou en enlever dépendant de la qualité du service.

Les associations de personnes âgées doivent montrer plus de solidarité entre leurs membres, ceux qui n’ont pas les moyens de sortir, ceux qui ont besoin de compagnie. L’Elderly Watch dans chaque ville et village doit se faire connaître et intervenir à temps pour que des situations ne dégénèrent pas dans les familles où des personnes âgées sont présumées victimes. Enfin, les personnes âgées ont droit à la parole, à l’expression artistique, à la lecture, à regarder des films de leur choix, aux loisirs récréatifs et intelligents, à l’autonomie et à l’indépendance de décider. D’ailleurs, on ne leur « donne » pas ces droits, ce sont leurs droits légitimes !

Lorsque nous parlons de personnes âgées, nous pensons notamment à la transmission de savoirs, de valeurs humaines. Peut-on dire qu’à Maurice, reprenant le célèbre dicton africain, que lorsqu’un «  vieil homme meurt, c’est toute une bibliothèque qui brûle ? »

Tous ceux et toutes celles qui nous quittent nous laissent un patrimoine inestimable en termes de valeur, imprégné de respect, du savoir, du devoir de transmettre à notre tour. Nous apprenons d’eux à être généreux, à considérer l’autre comme un humain. Nous vivons dans un grand pays avec de multiples formes d’intelligences, et c’est cette opportunité unique qui domine d’une manière notre culture mauricienne, celle de laisser des empreintes pour tous et toutes. Oui, Maurice pays d’Afrique a le même sentiment « lorsqu’une personne âgée meurt, c’est toute une bibliothèque qui brûle  »…

KD

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