Cadeau empoisonné

Le secteur privé a, par le biais de Business Mauritius,  accepté de demander aux entreprises qui le peuvent de payer l’augmentation salariale ordonnée par le ministre du Travail à travers les Remuneration Regulations publiées samedi et amendées mardi. Il est évident que la décision du secteur privé est motivée par le fait qu’il veut éviter l’affrontement, mais aussi au nom de la paix sociale. Ils ont réussi à esquiver le piège qui leur a été tendu par le ministre du Travail, qui avait porté le problème sur le champ politique en accusant certains membres de l’institution de faire le jeu de l’opposition.
« Nous n’avons jamais été contre le paiement d’une augmentation et n’avions aucun problème concernant le montant », affirmait hier Anil Currimjee, président de Business Mauritius. Il explique qu’il est facile de prendre la décision de payer Rs 4 900 ou Rs 5 000. « Tout le monde sera content et on sera tous riches. Mais après ? » ajoute-t-il.

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En l’écoutant, une déclaration du pape François tenue lors d’une rencontre avec des religieux nous vient en tête : « Le démon vient de notre poche, car le démon, c’est le pouvoir et l’argent. » Le papa sait de quoi il parle : « Car l’argent est une tentation facile et, si on ne fait pas attention, on risque de vendre notre âme. Quant au pouvoir, tout le monde  connaît la citation de Lord Acton : “the same moral standards should be applied to all men, political and religious leaders included, since power tends to corrupt and absolute power corrupt absolutely”. »

Aujourd’hui, c’est de la bouche du président de Business Mauritius qu’est sortie la parole prophétique : « La question de paiement aux employés n’est plus en question. La question est maintenant de savoir comment mitiger les conséquences économiques, qui pourraient être très négatives si on ne fait pas attention. » Nous avons voulu savoir de quelles conséquences économiques il parle. Et sa réponse donne froid dans le dos : « Il y a un risque concernant la confiance des investisseurs. Il y a des risques avec des firmes qui bougent. Il y a des risques avec les firmes qui veulent venir à Maurice et qui se disent : “Mais attendez, qu’est-ce qui se passe ? Je ne viens pas.” Il y a le risque d’inflation. Il y a des risques d’employment shopping. Il y a beaucoup de risques. Pour chaque secteur, il y a différents risques. Pour chaque compagnie, il y a différents risques. Il faut que l’on travaille ensemble pour régler ça. » Et d’ajouter : « On est d’accord qu’il faut payer, mais qu’est-ce qui va nous faire devenir un sustainable high income country ? » La question est posée.
Idah Pswaravi-Riddihough, directrice de la Banque mondiale responsable du dossier mauricien, dit à peu près la même chose dans une interview accordée au Mauricien. Elle souligne que « la résilience doit être au centre de toute stratégie de développement. Alors que Maurice va de l’avant, alors que les autorités mauriciennes et rodriguaises construisent cet aéroport international, un facteur essentiel est de savoir comment nous assurer qu’il soit résilient ? » Pour elle, la résilience n’est pas quelque chose qui apparaît aujourd’hui et disparaît demain. « Je pense que c’est la chose la plus importante aujourd’hui. C’est la résilience institutionnelle, la résilience des gens. »

Mais ce n’est pas tout. Anil Currimjee est suffisamment élégant pour ne pas parler de République bananière, mais il soulève une question fondamentale en justifiant la décision de Business Mauritius d’avoir recours à la Cour suprême pour demander un Judicial Review. « C’est un problème de principe très important pour le futur, parce que, si ça a été fait par un ministre qui n’a pas les pouvoirs conformément à la loi, quelque part, on commence à devenir un pays qui ne suit pas ses propres lois. Et ça, c’est la base de notre modèle économique et de notre développement qui est concernée. On est dans un État de droit avec un système judiciaire très fort. Et c’est ça notre vrai souci. »

Le problème qui se pose aujourd’hui est d’ordre économique et légal. Et tout cela afin de gagner la sympathie de travailleurs avec de l’argent dont la valeur est en baisse pour des besoins électoralistes. C’est ce qu’on appelle un cadeau empoisonné.

Jean Marc Poché

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