Zaahirah Muthy (artiste et curatrice d’exposition) : « Je suis une entrepreneuse et une artiste avec une mission »

L’artiste Zaahirah Muthy, également curatrice d’exposition, fondatrice de ZeeArts Gallery et instigatrice de projets artistiques divers, tient sa septième exposition solo à Maurice jusqu’au 20 septembre. À cette occasion, elle avait lancé une invitation aux écoles pour amener les élèves à visiter l’exposition qui se tient à The Hybrid, à Moka, car pour elle, il est important de sensibiliser les enfants à l’art dès un très jeune âge.

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Dans un entretien accordé à Le-Mauricien, elle parle de la pratique de l’art ainsi que de la visite d’exposition comme thérapie. Elle évoque aussi le marché de l’art et l’importance pour un artiste de s’ouvrir aux autres, de montrer ce qu’il fait et d’en parler. Car, affirme-t-elle, « l’artiste est un entrepreneur ».

Vous avez invité des établissements scolaires à visiter l’exposition. Pourquoi ?
J’ai invité les écoles à venir voir pour que les élèves aient une exposition à l’art dès un jeune âge. Les tableaux sont très colorés. Les couleurs sont vives et joyeuses et très attrayantes pour les enfants.

Souvent, les parents sont occupés et n’ont pas le temps d’amener les enfants visiter les expositions. C’est une occasion de passer par les écoles.
Vous organisez des expositions et proposez des installations de grande envergure. Vous dites que vous n’auriez pas pu faire cela si vous aviez été à Maurice…

Dubaï m’a permis de développer mon art et de monter de gros projets. On dit toujours que l’herbe n’est pas plus verte ailleurs. C’est vrai car, il y a beaucoup de compétition et il faut beaucoup travailler. Cependant, dans un pays cosmopolite où le Sheik Mohammed se positionne pour un Art hub, les possibilités sont plus grandes et il est plus facile de prendre des initiatives et de mener un projet. You always strive to do something different! Je suis une entrepreneuse et une artiste avec une mission. Je travaille constamment pour amener de choses nouvelles. J’ai été une des premières artistes à bénéficier du Golden visa, et je me suis installée à Dubaï en 2011.

’ai commencé Zee Art avec dix artistes et aujourd’hui 2 000 artistes sont enregistrés auprès de nous parce qu’ils voient que des choses sont faites. J’ai proposé trois événements artistiques notamment la Mauritius International Art Fair (MIAF) à Maurice. Cela a été un succès, mais Maurice n’est pas encore prête pour accueillir des événements de cette envergure.

Pourquoi dites-vous cela ?
L’année dernière, j’ai fait venir une représentante de Christies à Maurice. Cela aurait pu être une aubaine pour le pays de s’appuyer dessus pour booster le tourisme culturel. Et demain Maurice aurait pu abriter un bureau régional Afrique de Christies, mais tel n’a pas été le cas.

Maintenez-vous la MIAF cette année ?
Non parce que désormais, nous allons étendre la manifestation à la région et nous changeons de formule en proposant une biennale tout en gardant le même schéma que la MIAF. Cela demandera plus de temps de préparation. Nous voulons développer tout un écosystème artistique océan indien et faire de la biennale une de très connue comme celle de Dakar ou de Venise. Nous inclurons, en outre, le Sri Lanka et les Maldives dans le projet. Si nous voulons construire un pays, il faut inclure tout le monde et pas que ceux qui ont les moyens d’acheter un tableau et de l’accrocher au mur.
Les artistes évoquent souvent des difficultés à vendre leurs œuvres. Comment vendre ?
À Maurice, il reste beaucoup à faire. Mon message aux artistes, c’est d’utiliser les réseaux sociaux pour toucher un public global.

Ce n’est pas tout le monde qui est à l’aise avec la vente en ligne …
C’est vrai car cela englobe toute une formation pour savoir comment vendre, comment se faire payer, l’envoi des œuvres par la poste, etc. C’est tout un travail d’entrepreneuriat. ZeeArt propose un programme de formation aux artistes pour devenir des entrepreneurs, car l’artiste est un entrepreneur. Il apprend à développer les Softskills qui le rendront autonome.

La formation comprend également la préparation, la présentation d’un portfolio et les moyens d’organiser une exposition. Nous travaillons avec des partenaires comme le gouvernement ou le secteur privé pour offrir aux artistes cette formation de Capacity Building de trois jours. Nous souhaitons que cela puisse être concrétisé pour les artistes mauriciens d’ici à la fin de l’année avec le ministère des Arts et du Patrimoine culturel.
Comment faire la différence entre des arnaqueurs et de véritables acquéreurs ?
En général, une fois que nous nous lançons, nous arrivons à savoir s’il s’agit d’un vrai acquéreur ou pas. Moi, il m’arrive de téléphoner aux gens pour confirmer qu’il s’agit bien d’un client. Il y a un suivi par e-mail. Il est important aussi lorsque nous vendons, surtout en ligne, d’avoir un certificat d’authenticité de son travail et d’émettre des reçus.

Comment est le marché de l’art à Dubaï ?

Les gens investissent. Il y a un cercle de collectionneurs que j’invite à des expositions que j’organise. À Maurice, il n’y a pas ça. C’est toute une culture et une question de réseau. Il faut se faire connaître. Ceux qui achètent veulent souvent connaître l’artiste qui est derrière et il faut être prêt à en parler. L’artiste travaille tous les jours, et c’est ainsi que son travail évolue. Il faut qu’il montre ce qu’il fait. He needs to be proactive. À la fin de la journée, c’est un business.

Donc, j’encourage aussi les artistes à exposer même lorsque c’est payant parce qu’en même temps, cela les responsabilise. Par exemple, j’ai commencé à exposer au Carrousel du Louvre vers 2017-2018 et j’ai payé pour avoir un espace. C’est un rêve qui se concrétisait et il y a plus de 5 000 personnes, des connaisseurs qui viennent au vernissage. On reçoit aussi des feed-back qui sont très constructifs. C’est peut-être même plus important que de vendre à ce moment-là.

Souvent, des gens qui ont les moyens, Mauriciens ou étrangers, ne s’intéressent pas à l’art. Qu’est-ce qui motiverait un acheteur ?
Selon moi, qu’il soit un collectionneur émergent ou un qui soit déjà bien installé, c’est d’abord une histoire d’amour avec l’œuvre. Certains collectionneurs aiment connaître l’artiste et son histoire. D’autres, surtout les émergents, achèteront pour commencer un fonds sans savoir si l’œuvre de tel ou tel artiste aura un jour de la valeur. Ce qui est important, c’est qu’il ait une pièce originale de cet artiste.

Et puis, il est vrai que certaines personnes qui ont les moyens font attention à leurs dépenses ou investissement et préfèrent l’or ou l’immobilier. Cela est souvent lié à un manque d’éducation à la culture de l’art. D’ailleurs, tel est souvent le cas à Maurice. C’est pour cela aussi que pour l’exposition, j’ai invité les écoles et j’invite les parents à amener leurs enfants voir des expositions. Que ce soit en France ou à Dubaï, on voit souvent des parents et des enfants visiter une exposition ensemble. Tout commence par une éducation.
À l’occasion d’une exposition à laquelle je participais au Carrousel du Louvre, mon fils cadet m’accompagnait et il a fait un dessin. Un visiteur intéressé par ce qu’il faisait lui a proposé de l’acheter et avec cet argent, il a acheté une sculpture japonaise qu’il avait vue sur place et qui l’intéressait. Il est en train de devenir un collectionneur d’art. Je voudrais sensibiliser les Mauriciens à cela. L’art a un pouvoir thérapeutique aussi.

La pratique ou la visite d’exposition ?
Les deux. J’ai reçu la visite d’une dame de 82 ans qui m’a dit qu’elle s’est sentie revivre en voyant l’exposition. C’est une activité à encourager à Maurice. L’art aide à tisser des liens entre personnes. Pour ceux qui le pratiquent, c’est souvent, un moment de détente ou un exutoire…

Il y a toutefois de nombreuses plateformes artistiques à Maurice avec pour objectif de promouvoir l’art et les artistes avec des initiatives publiques…
C’est une très bonne chose parce que je pense que ces initiatives servent à sensibiliser le grand public et surtout la génération montante. Il faut continuer avec, et surtout ne pas hésiter à montrer ses travaux parce que vous ne savez jamais qui verra votre travail, où ce sera. Il ne faut pas penser seulement à la vente. You have to enjoy the process. Et vivre à fond l’expérience commune avec d’autres artistes.
J’ai organisé moi-même des activités similaires, et c’est une expérience puissante que vivent les artistes lorsqu’ils se rencontrent, travaillent ensemble et partagent ce qu’ils font. Beaucoup de choses positives sortent de ces rencontres. Et parfois, même s’il y a des conflits entre eux, ils arrivent à être sur une même table pour discuter. J’ai expérimenté cela durant la MIAF et c’est extraordinaire. Art is a universal language that connects people. Ce sera intéressant d’avoir une plateforme commune qui regrouperait tous les artistes.

Propos recueillis par
Munavvar Namdarkhan

EXPOSITION | À The Hybrid, Telfair

Une explosion de formes et de couleurs de Zaahirah Muthy

L’artiste Zaahirah Muthy, également curatrice d’exposition et fondatrice de ZeeArts, a exposé une quarantaine de tableaux à The Hybrid, à Telfair Moka. A Chronicle Voyage retrace le parcours de l’artiste de Maurice à Dubaï, où elle s’est installée il y a plus d’une décennie, avec un visa doré destiné aux artistes pour vivre et travailler aux Émirats arabes unis.

A chronicle Voyage comprend une quarantaine de tableaux aux multiples couleurs et formes que montre Zaahirah Muthy pour sa septième exposition à Maurice. « Ce sont des voyages physiques, spirituels et imaginaires. Le voyage pour moi, c’est grandir, se relever lorsqu’on tombe, se réveiller, parfois », affirme l’artiste qui montre 16 tableaux peints à Dubaï, quatre en France et le reste à Maurice, réalisés en deux mois.

Pour elle, « derrière chaque coup de pinceau, chaque geste, il y a un message ». Le fil conducteur de son œuvre, comme l’a peut-être constaté le visiteur, est un poussin qu’il retrouve dans chaque toile. « C’est moi », dit-elle. Un personnage créé comme un clin d’œil fait à la profession de son père qui était, jusqu’à récemment, éleveur de poules. On y retrouve aussi un trio de monts, de vagues ou d’orteils en écho à sa fratrie : Zaahirah Muthy a deux sœurs.

L’artiste a une préférence pour les textures et les couches en superposition. Elle opte ainsi pour le Mix-Media : peinture, gesso, pastel sec et gras, collage de papier surtout, toutes les matières sont comprises. « Parfois, je fais mes propres papiers. Il y a beaucoup de récupération aussi. J’adopte une approche durable », soutient-elle. Les œuvres sont marquées par des espaces vides bien que, souvent, de couleurs franches.

Si Zaahirah Muthy créait surtout des Patterns lorsqu’elle était à Maurice et était grandement influencée par l’architecture arabesque lorsqu’elle s’est installée à Dubaï, une évolution majeure dans sa pratique survient à la faveur du premier confinement. « Mo ti pe fer bokou de mix media, du grataz… mo ti pe servi akrilik. Et s’il y a cinq ans, on m’avait demandé de peindre un ciel jaune, j’aurais dit non ! », lance-t-elle, désormais plus audacieuse dans son approche. « Il y avait un seul confinement à Dubaï et je me suis consacrée totalement à mon art. » L’occasion d’expérimenter de nouvelles techniques, d’explorer les couleurs et même de recycler d’anciens canevas, puisque tout était fermé, et de présenter 45 toiles en exposition à l’Alliance française de Dubaï.

L’artiste fait aussi des sculptures de polystyrène et des installations. « Pour la journée internationale de la femme, j’avais fait une installation avec des chaussures que des femmes avaient utilisées, en provenance de 120 pays, sous le projet Women connects que j’ai fondé. Cela représente les femmes debout sur leurs pieds. Je ne pense pas que j’aurais pu faire tout cela si j’avais été à Maurice. » Pour l’exposition, elle montre aussi un dodo.

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