Ancienne toxicomane devenue accompagnatrice, Doris intervient aux quatre coins du pays pour soutenir ceux et celles qui comptent sur sa présence dans leurs diverses démarches. Depuis qu’elle est passée de l’autre côté, elle est devenue, à sa manière, une militante contre les substances qui ont failli ruiner sa vie. Ce qui l’inquiète le plus, c’est la vitesse à laquelle la drogue synthétique a gagné du terrain partout dans le pays.
Ses consommateurs ne se trouvent plus seulement chez les jeunes, mais aussi parmi des usagers plus âgés ayant une longue histoire avec des drogues, dont les opiacés et l’héroïne. La qualité de l’héroïne n’étant plus la même, ces derniers mélangent souvent cette substance à des drogues synthétiques pour retrouver des sensations plus fortes et durables. Les conséquences sont souvent désastreuses, voire fatales. Doris compte les morts, ceux qui sont partis en silence et qui, officiellement, auraient succombé à un œdème pulmonaire.
« De jour en jour, je perds mes amis, décédés d’overdose. Ce constat est devenu un lourd fardeau que je porte, une réalité tragique que je ne peux ignorer », confie Doris (nom modifié), accompagnatrice de personnes dépendantes de drogues. La majorité de ses bénéficiaires vit également avec le VIH. À 43 ans, Doris est une ancienne toxicomane qui a tourné la page sur un pan chaotique de sa vie pour un nouveau départ avec ses enfants, dont elle a failli perdre la garde. Cela fait plus de 16 ans qu’elle n’est plus sous l’emprise des drogues et qu’elle a adhéré au programme de la méthadone. Sa volonté de s’en sortir lui a valu la confiance d’une organisation non gouvernementale pour laquelle elle a travaillé pendant sept ans.
Aujourd’hui, Doris est active sur le terrain pour le compte d’une autre organisation et constitue un maillon essentiel de la stratégie de prise en charge de celle-ci. « Je me déplace à travers l’île », précise Doris. Pour les besoins de son travail, elle collecte des données nécessaires au dossier de chaque bénéficiaire. Mais au-delà de ces détails personnels et sanitaires, Doris voit la souffrance et les séquelles des ravages causés par la drogue. Il y a aussi les dommages collatéraux. Ce sont de nombreux drames humains qui ne sont pas inscrits dans ses dossiers. Doris compte en murmurant sur ses doigts avant de dire à voix haute : « Je connais une dizaine de personnes qui sont mortes d’overdose ces derniers mois. Officiellement, on ne dira jamais qu’elles sont décédées des suites d’une overdose. On dira qu’elles sont mortes d’un œdème. Mais c’est la drogue qui les a tuées. » Elle poursuit : « Un décès par overdose, souligne-t-elle, ne laisse jamais une case vide ; celle-ci est vite remplie par un nouvel usager de drogue. C’est pour cette raison que même sans statistique à l’appui, je dis que le problème de dépendance aux drogues augmente. »
Pour Doris, il ne fait aucun doute : au classement des drogues les plus consommées par ceux qu’elle rencontre dans le cadre de son travail, celles de synthèse et dite chimique, arrive au sommet. « C’est cette substance, avec ses effets dévastateurs, qui fait le plus de dégâts. Pour seulement Rs 100, un prix “dérisoire”, une dose est à portée de main », dit-elle.
Les consommateurs de drogues synthétiques ne se limitent pas aux jeunes. Cette réalité, souvent méconnue, indique l’accompagnatrice, révèle que des personnes de tous âges sont touchées par la drogue synthétique. « Mo zwenn bann dimounn ki ena swasant-an ek plis mem ki lor eroinn ek simik », raconte Doris. Les dégâts psychologiques causés par ce cocktail d’héroïne et de drogue chimique sont graves et souvent dévastateurs. De nombreuses personnes qui s’aventurent au mélange montrent des signes de régression cognitive et émotionnelle, dit-elle, raisonnant parfois comme des adolescents de 15 à 17 ans !
La qualité de l’héroïne a profondément changé au fil des années et elle est devenue pire qu’auparavant. Cette dégradation a encouragé bon nombre de consommateurs à se tourner de plus en plus vers des alternatives, notamment les drogues synthétiques, perçues comme plus accessibles et parfois plus puissantes. Face à une héroïne de moins bonne qualité, marquée par des impuretés, des effets de moins en moins prévisibles, des usagers cherchent désespérément d’autres solutions. « Prodwi-la pa pe kapav gard zot lekor fit ! » explique Doris en parlant de l’héroïne en circulation. Cependant, ces substances présentent des dangers encore plus graves, avec des compositions imprévisibles qui augmentent les risques d’overdose.
« Dan tou landrwa ena marsan pou tou kategori konsomater », souligne Doris en rappelant que la drogue est présente dans toutes les régions du pays. Et qu’actuellement le prix au gramme varie de Rs 1 500 à Rs 6 000 selon le type de drogue. Autre phénomène qui a pris de l’ampleur et qui inquiète cette dernière est la montée de la féminisation de la consommation de drogue. « Les facteurs poussant les femmes vers l’addiction demeurent similaires depuis quelques années, mais une nouvelle tendance révèle que beaucoup d’entre elles tombent dans la drogue en raison de leur relation avec un partenaire consommateur généralement impliqué dans la vente », explique Doris. Et d’ajouter : « On ne devient pas consommateur de drogue du jour au lendemain. Enn dimounn pa leve enn gramatin, li dir li-mem ki li pou komans pran ladrog. »
La consommation découle d’un cheminement, souvent marqué par des circonstances complexes et des influences multiples. « Au fil du temps, des facteurs tels que la pression des pairs, des expériences traumatisantes ou même des problèmes psychologiques peuvent pousser une personne à expérimenter des substances », dit-elle à la manière d’une pédagogue. Ce qui commence souvent comme une simple exploration peut rapidement évoluer vers une consommation régulière, puis vers une dépendance, fait-elle ressortir.
Les longues procédures d’admission au programme de méthadone découragent souvent les usagers à s’y inscrire. « Certains consommateurs de drogues croient à tort que les procédures d’admission sont rapides et qu’ils peuvent commencer un traitement dans les heures qui suivent, voire le lendemain de leur demande. On ne peut obliger personne à s’inscrire au programme de méthadone, car la demande doit venir de la personne elle-même. Il y a des usagers de drogues qui montrent une volonté de s’en sortir un jour, mais changent d’avis le lendemain », relève Doris. Une fois les données personnelles recueillies, les démarches administratives s’ensuivent. Si la personne est acceptée au programme de méthadone, elle doit d’abord participer à un programme d’induction qui déterminera sa réceptivité au traitement, un processus qui peut prendre jusqu’à trois semaines au total.
« La méthadone, insiste Doris, n’est pas la seule solution dans la lutte contre l’addiction. Bien qu’elle puisse être un support précieux pour certaines personnes, un suivi approfondi est tout aussi crucial. En effet, de nombreuses personnes ayant développé une dépendance aux drogues souffrent de problèmes psychologiques sous-jacents qui nécessitent une attention particulière. » La qualité de la méthadone a changé au fil des ans, suscitant des préoccupations parmi les professionnels du terrain et les usagers de drogues. « Autrefois, quand vous preniez la méthadone, vous ne pensiez même pas à la drogue. Ou pa pans zegwi ditou. » Alors que la méthadone peut ne plus offrir le même niveau d’efficacité qu’auparavant, l’accompagnement devient essentiel pour soutenir les usagers de drogues.
D’autre part, il est important d’offrir une variété d’alternatives aux usagers de drogues, car leur traitement varie considérablement selon leur historique.
Il n’existe pas de traitement de substitution efficace pour les consommateurs de drogues synthétiques. La composition de ces substances est complexe et évolue constamment, ce qui rend leur gestion encore plus difficile. Chaque nouvelle variante peut avoir des effets différents, et il est donc difficile de concevoir un protocole de traitement adapté.