Lors d’une exposition organisée en marge du lancement de la plateforme Kcious la semaine dernière, les vêtements exposés par African Marquis ont attiré l’attention en raison de ses modèles aux couleurs africaines, et dont l’initiateur est Gabriel Froid, légiste de profession, et qui pratique le design comme deuxième métier. Lors d’une rencontre avec Le-Mauricien, il évoque l’importance que davantage de personnes accordent leur soutien aux talents mauriciens. « Beaucoup de personnes sont supertalentueuses à Maurice », insiste-t-il.
C’est nouveau ça… Pourquoi vous êtes-vous lancé dans ce projet ?
En fait, ce n’est pas nouveau. En octobre, la marque fêtera ses cinq ans. Pour nous, cela a été une aubaine de célébrer la culture africaine à travers les vêtements à Maurice, d’emmener nos racines de l’Afrique et de les incorporer à Maurice, d’essayer de célébrer, d’avoir une certaine union. Même s’il y a beaucoup de descendants d’Africains présents à Maurice, nous constatons que la culture africaine n’est pas aussi célébrée comme nous le souhaiterions. Aujourd’hui, nous sommes présents ici, dans le cadre du développement durable et par rapport à Kcious. Nous avons habillé et stylisé les membres fondateurs de cette organisation présents aujourd’hui. Nous sommes aussi présents sur les réseaux sociaux, où nous faisons nos ventes ainsi que le marketing, les relations avec la clientèle. Nous n’avons pas forcément un magasin physique présent à Maurice. Nous avons adopté une approche assez dynamique et jeune. Notre marque prône le bien-être et le développement durable dans sa globalité.
Comment faites-vous en ce qui concerne le design ?
C’est un processus qui est basé sur l’individualisation. Par exemple, si un client souhaite faire une veste, je lui proposerai une panoplie de tissus dont je dispose. Je vais prendre ses mesures, je vais aussi lui donner des conseils par rapport au tissu et par rapport à sa taille, à sa morphologie, mais aussi par rapport à sa couleur de peau. Il y a plein de critères à prendre en considération.
C’est vraiment un Tailor-Made Process, un Tailor-Made Service, que nous sommes en train d’offrir à nos clients. Donc pour toutes nos vestes, par exemple, nous ne faisons pas de prêt-à-porter, mais beaucoup de sur-mesure. Nous voulons que nos clients ou clientes qui portent nos vêtements les sentent comme une deuxième peau. Cette approche nous évite de gérer un gros stockage.
Aujourd’hui cela peut constituer un fléau. Nous voyons des marques de fast fashion produites en Chine et qui inondent nos marchés et font de gros dégâts par rapport à la société, à l’environnement, etc. En tant que jeune entrepreneur mauricien, je prends à cœur toutes ces causes-là, et cela se vit dans la façon dont nous procédons avec nos clients, dans notre développement et dans notre façon d’envisager le futur.
Parlez-nous de votre parcours… Comment en êtes-vous arrivé là ? Quelle est votre formation ?
Je suis diplômé en droit et en criminologie à l’Université de Maurice. J’ai été plongé dans l’univers de la mode depuis mon enfance. Ma grand-mère était couturière et ma tante est couturière. J’ai aussi fait du mannequinat dans mes années d’université. Du coup, j’ai baigné dans la marmite de la mode. Étant très petit, j’aimais vraiment la mode.
Après, j’ai décidé de fonder ma marque, après mes années de mannequinat, en tenant en compte la culture et du fait que je suis très passionné de la culture africaine et à tout ce qui concerne la culture africaine. Aujourd’hui, je parle de mode de vêtements, mais demain, nous pourrions par exemple développer autre chose, un autre projet, je ne sais pas, culinaire par exemple, ou par rapport à un salon de coiffure qui prônerait la culture africaine, la façon de se coiffer et tout. Ou une autre institution qui parlerait de danses africaines.
D’où vous est venu le nom d’African Marquis ?
Ce nom vient du fait que, dans la société et dans la culture mauricienne, je ne voyais pas de représentation, de personnes qui me ressemblent, que ce soit dans le Mainstream Media, à la télé, dans les journaux, dans plein de choses…
Donc, quand j’ai créé ma marque, j’ai voulu utiliser cela pour créer une certaine plateforme pour des personnes comme moi, des personnes noires ou des personnes qui souhaiteraient se sentir représentées. Mais aujourd’hui, nous sommes quand même vers un élan de diversification, et donc plein de personnes s’intéressent à cette marque. Ce n’est pas de l’appropriation culturelle. Plein de personnes issues d’un autre Background culturel portent nos vêtements et sont devenues nos clients.
Ces couleurs-là, ce n’est pas très familier à Maurice. D’où importez-vous vos tissus ?
Tout ce qui est création de la marque est fait à Maurice. Cependant, vous avez raison, le tissu provient d’Afrique, parce que nous ne fabriquons pas ce genre de tissus. C’est quand même quelque chose de spécifique, parce que c’est une technique d’impression sur coton. Nous appellons cela de la Wax. Donc, c’est un tissu d’impression qui fait que c’est vif en couleurs, et quand vous le lavez, cela reste tel quel.
Comment vous approvisionnez-vous ?
Nous faisons de l’import. Il y a aussi beaucoup de magasins à Maurice, vu que c’est devenu à la mode. Il y a plein de magasins de tissus chez nous qui le commercialisent. Peut-être que certaines personnes, qui ne sont pas forcément dans le milieu de la mode ou ne sont pas vraiment conscientes de cela, croiront que c’est quelque chose de nouveau. Mais croyez-moi, sur le marché mauricien, nous pouvons l’avoir un peu partout.
Une grosse partie de la communauté mauricienne s’intéresse à la culture africaine veut porter des tissus hauts en couleur. Et surtout, sachant que je viens aussi d’un milieu, disons, un peu plus Corporate, je travaille dans l’offshore, beaucoup plus de personnes souhaitent aujourd’hui avoir un style très particulier, très personnel. Nous ne souhaiterions pas, par exemple, venir à un événement pareil et voir 40 000 personnes ne porter que du bleu. Chacun veut avoir un style individuel. C’est la direction que le monde est aussi en train de prendre.
Quels sont les produits que vous faites ?
Des robes, des vestes, des shorts, des chemises… Là, nous allons commencer à faire des chapeaux, des sacs, mais aussi tout ce qui est robe de mariée ou des vêtements à être portés à un événement spécifique. Nous pouvons vous habiller de la tête aux pieds, dans le style qui vous va, dans le style qui vous correspond, et afin que vous ne vous sentiez pas déguisé surtout.
Travaillez-vous principalement pour le marché local ?
Nous travaillons aussi bien pour les Mauriciens que pour les touristes ou les Mauriciens venant d’ailleurs. Maintenant, nous essaierons d’aller à l’international. Donc, nous croisons les doigts pour que ça marche pour nous. Sachant que ça fait cinq ans que nous existons, nous aimerions step up a little bit dans ce que nous sommes en train de faire. Parce que nous sommes quand même passés sur TF1, ou sur DWTV, la chaîne allemande. Sur pas mal de chaînes et de plateformes à l’international… Ce qui fait que nous avons quand même eu une certaine reconnaissance localement, mais aussi régionalement et internationalement. De fait, pour nous, le but ultime est de faire connaître notre île à travers la mode et d’essayer d’élargir notre business.
Qui sont vos designers ?
Cela demande quand même tout un travail derrière. Le design demande beaucoup de recherche. Moi, je suis le directeur artistique. Je suis celui qui Design les vêtements. Mais nous avons quand même une équipe derrière nous pour pouvoir produire si nous avons plusieurs commandes à la fois. Nous souhaitons quand même avant tout satisfaire à nos clients, et pour pouvoir le faire, comme tout business, il faut être bien entouré. Il faut savoir déléguer les tâches. Nous sommes très reconnaissants d’avoir une équipe qui nous aide, qui collabore avec nous depuis cinq ans déjà. Et comme on le dit souvent, on ne change jamais une équipe qui gagne.
Donc, vous êtes designer et légiste. Comment vous partagez-vous ? Est-ce que c’est un travail à plein-temps ?
Beaucoup de personnes me posent cette question parce que, c’est vrai, on me voit un peu partout dans pas mal d’événements. J’ai fait beaucoup de défilés aussi à Maurice. Nous sommes aussi très présents sur les réseaux sociaux, mais j’ai quand même mon travail dans le domaine de l’offshore et de la finance. Ce qui fait que ça me fait un emploi du temps assez chargé. Du coup, il faut avoir un planning. Par exemple, si on me propose des choses du jour au lendemain, pour moi, ce n’est pas possible. Moi, je cale ma semaine une semaine à l’avance. C’est un planning assez militaire en soi.
Si vious avez un planning et des heures de vie, et que vius êtes régulier dans ce que vous faites, alors rien n’est impossible dans la vie. Moi, je suis le style de jeune mauricien qui souhaite mettre en avant le fait que je n’ai pas envie d’être dans une seule case, que ce soit comme designer ou comme légiste.
Quel âge avez-vous justement ?
J’aurais 28 ans le 12 octobre.
Sentez-vous que vous symbolisez une génération de jeunes ? Quel message avez-vous pour eux ?
Je ne dirais pas que je me prends pour un modèle. D’ailleurs, je n’essaie pas de l’être. Cependant, j’essaie d’inspirer le maximum que je peux. Le message que j’ai pour les jeunes, c’est qu’il y a de l’espoir. Personnellement, je vois que beaucoup de jeunes aujourd’hui se dirigent vers des métiers pas forcément conventionnels, comme avocat ou docteur par exemple. Cette époque-là est révolue.
Il faut aussi avoir une discipline de travail. Et être régulier. Dans la vie de tous les jours, je ne fais pas de miracles. Il y a plein de personnes comme moi. J’ai aussi un cercle d’amis qui ont trois, voire quatre emplois. Moi, j’en ai deux. Donc, pour eux, c’est encore plus chargé que pour moi. Mais le message que je souhaiterais passer à ces jeunes, c’est surtout qu’il faut se diriger vers l’entrepreneuriat, prendre conscience qu’il y a beaucoup de talents à Maurice. Il y a énormément de talents à découvrir.
Normalement, quelqu’un qui a entrepris des études supérieures cherche un travail soit dans le domaine public, soit dans le privé. Mais vous, vous parlez d’entrepreneuriat.
Je pense que ça a toujours été inné en moi, surtout sachant que j’ai toujours voulu être dans le milieu artistique. J’ai eu des parents très stricts au niveau de l’éducation, et je les remercie d’ailleurs. Je ne dirais par exemple jamais assez merci à mon père d’avoir été aussi strict, parce qu’aujourd’hui, j’arrive à faire ce que je fais. Nous avons eu une ligne assez directive. Mon père m’a toujours dit que l’éducation me rapporterait quelque chose, que je pourrais faire ce que je veux après, mais qu’il fallait que je sécurise mon diplôme. Il m’a dit : « Fais ce que tu dois faire, après tu verras ! ».
Quel est le background de votre père ?
Il est maçon… dans la construction.
Où habitez-vous ?
Je viens d’un milieu rural, à Argy. Un quartier étiqueté par les médias comme étant difficile. Moi, je ne l’ai pas connu comme ça, honnêtement.
On sort d’une conférence consacrée à l’ESG. Comment vous inscrivez-vous dans ce projet ?
Comme je l’ai dit auparavant, nous, nous ne produisons pas en masse, et ce, pour pouvoir respecter les normes sociales et environnementales. Nous ne sommes pas dans la surconsommation, et donc pas dans la surproduction. Donc, je ne sais pas si cela rejoint les valeurs de l’ESG.
Un dernier message ?
Npuns avons beaucoup de projets. Mais comme je suis assez réservé de nature, je n’aime pas trop annoncer les choses avant qu’on ne le fasse. Mais ce que je souhaite, c’est que plus de personnes soutiennent les talents locaux qui sont présents aujourd’hui et qu’ils soutiennent la production locale, parce qu’il y a quand même beaucoup de personnes hypertalentueuses à Maurice. Il est temps, je pense, de donner un peu plus de valeur aux entrepreneurs mauriciens.
Propos recueillis par
Jean Marc Poché