Dans le cadre de la Journée internationale de l’alphabétisation, le Service diocésain de l’éducation catholique (SeDEC) a organisé un hommage à Dev Virahsawmy qui a consacré plus qu’une carrière, une vie, à valorisation du Kreol Morisien. C’était l’occasion d’annoncer un Dev Virahsawmy Award et de réfléchir sur le multilinguisme dans l’éducation, thème retenu par l’UNESCO cette année. Le lieu de cette annonce, soit le collège Saint-Joseph, est des plus appropriés, car c’était l’Alma Mater de Dev Virahsawmy. De son côté, le Dr Evelyn Kee Mew Wan Khin, Associate Professor au Mauritius Institute of Education, a partagé les conclusions de sa thèse à ce sujet. Le cardinal Maurice E. Piat a pris son bâton de pèlerin en réitérant son appel à la créativité pour trouver des solutions face au « désastre » de l’Extended Programme dans le cycle scolaire.
La World Literacy Day, observée le 8 septembre, a été célébrée hier, par le SeDEC, en raison du calendrier scolaire. C’était l’occasion de rendre hommage à Dev Virahsawmy, linguiste, poète, militant de la langue kreol, décédé l’année dernière. Une demi-journée de réflexion et de partage sur le multilinguisme à l’école, dans le contexte mauricien a aussi eu lieu, en présence d’enseignants et de responsables d’établissements du primaire et du secondaire.
Le SeDEC a également annoncé l’introduction d’un Dev Virahsawmy Award dans les collèges catholiques. Celui-ci sera attribué au candidat qui décrochera le meilleur résultat en Kreol Morisien au National Certificate of Education et au National School Certificate. De même, les écoles primaires et les collèges auront un espace réservé aux œuvres en Kreol Morisien et un espace spécial consacré aux œuvres de Dev Virahsawmy.
Retraçant le parcours de Dev Virahsawmy, le Dr Jimmy Harmon, directeur adjoint du SeDEC et responsable du secondaire, a souligné que c’est sous l’impulsion de ce dernier que l’éducation catholique a initié le projet Prevokbek, en 2004. « En tant que Project Manager, j’ai eu la chance de travailler avec Dev Virahsawmy et le cardinal Piat, pour mettre en place le Prevokbek, programme en Kreol. Lui rendre hommage aujourd’hui est une manière pour nous de rappeler son travail pour la litéracie », avance-t-il d’emblée.
Le cardinal Maurice Piat a, lui aussi, évoqué le « grand souvenir » de ses rencontres avec Dev Virahsawmy. Il a mis l’accent sur sa persévérance et sa détermination. « En bon professeur, Dev avait sans doute remarqué que je n’étais pas convaincu par son projet. Il est revenu me voir plusieurs fois. Linn byen sakouy mwa… », confie l’évêque émérite du diocèse de Port-Louis, qui s’est appesanti sur la ferme conviction de Dev Virahsawmy et de son espoir de rendre service aux enfants mauriciens. « Il disait que pour respecter une personne, il faut respecter sa culture et pour respecter sa culture, il faut respecter sa langue », ajoute-t-il.
Le cardinal Piat a indiqué que le programme Prevoc, qui était proposé à ceux n’ayant pas réussi le CPE à l’époque, n’était pas adapté à la culture des enfants : « Lerla nou plonz dan delo, nou fer Prevokbek. Nou pa ti kone kot sa pou amenn nou », fait-il comprendre.
L’Extended Programme, un désastre
Ce projet, a-t-il ajouté, a fait avancer beaucoup de personnes et de nombreuses choses jusqu’à l’introduction du Kreol Morisien dans le primaire. « Dev avait dit qu’il faut de la créativité. Le ministère, la PSEA, ils ont un cadre, mais nous ne sommes pas des Tape Recorders. Nous avons l’intelligence, nous avons un cœur, nous ne sommes pas des robots. S’il n’y avait pas eu de créativité, il n’y aurait jamais eu de Prevokbek », avoue-t-il.
Le travail n’est pas fini pour autant, a fait ressortir le cardinal Piat. Le Prevokbek a été un bon départ, mais il reste encore de la créativité pédagogique à développer. Face au « désastre » que représente l’Extended Programme, il a invité à faire preuve de créativité. « Pa kapav res lebra krwaze fas a sa. Pa atann something will come down… Nou bizin nou mem travay avek nou leker e nou kreativite », exhorte l’évêque émérite.
Le cardinal Piat a ainsi invité à partager ses convictions et à les mettre en pratique. L’enjeu est « terrible », a-t-il mis en exergue, car cela concerne 25% à 30% des enfants qui passent par ce système : « Le développement humain et intégral de ces enfants, dans leur culture, est primordial. Même si je suis un peu en retrait maintenant, je suis ce dossier du mieux que je peux. »
La demi-journée de réflexion du SeDEC s’est poursuivie avec la présentation du Dr Evelyn Kee Mew Wan Khin, Associate Professor du département de français du MIE. Elle a fait sa thèse de doctorat sur la manière dont les enfants mauriciens développent leurs compétences pour la lecture dans un contexte de multilinguisme. « Ce qu’il faut retenir c’est que nos enfants sont exposés à plusieurs langues. Ils apprennent principalement l’anglais et le français et pour certains, une langue optionnelle. L’étude a démontré qu’ils utilisent le transfert lexical d’une langue à l’autre et c’est multidirectionnel », dit-elle. Elle a ajouté que les enfants développent également des compétences multilingues par eux-mêmes. « Il est important de formaliser cela et leur donner le support nécessaire, pour qu’ils puissent s’en servir à l’école. »
Pour sa part, le Dr Pascal Nadal, directeur adjoint du SeDEC et responsable de la formation, a souligné que le multilinguisme à l’école a pris de l’ampleur depuis deux décennies. C’est un atout qu’il faut considérer. Le Père Alain Romaine, délégué épiscopal à l’éducation, a évoqué la situation contraignante des collèges privés et précisé que le combat est aussi pour la liberté pédagogique.
Loga Virahsawmy : « Le travail commencé par Dev doit se poursuivre »
« Dev avait le cœur brisé de voir qu’il y avait autant d’enfants à Maurice qui ne savaient ni lire ni écrire, même pas leurs noms. C’est pour cela qu’il a voulu faire un travail en profondeur à ce sujet lorsqu’il était à l’université d’Edimbourg. Il voulait changer les mentalités, car les gens ne croyaient pas dans la langue kreol à l’époque. On nous a insultés dans la rue à cause de cela.
« Mais Dev a lutté. Je pense qu’il a réussi grâce à l’Église catholique qui lui a donné l’occasion de faire le projet Prevokbek. Il a pu ainsi démontrer que lorsqu’on utilise la langue maternelle de l’enfant, on peut l’amener à progresser. Ce que l’on sait moins, peut-être, c’est que Dev a aussi travaillé en prison, auprès de personnes qui ne savaient pas lire et écrire.
« Cela amène aussi à réfléchir sur notre société. Pourquoi ces personnes se sont-elles retrouvées en prison ? Peut-être parce qu’elles n’ont pas pu s’adapter dans le système en place à l’école. Cela a sans doute commencé par de l’indiscipline pour finalement, finir sur un mauvais chemin.
« Cela va bien au-delà de la langue kreol. Je suis très fière du travail entrepris par Dev et je suis fière de voir où la langue kreol est arrivée aujourd’hui. Car Dev a été le premier à militer pour la reconnaissance du kreol. Le travail commencé par Dev doit se poursuivre. »