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Sécurité sur les chantiers de construction : 69 morts depuis janvier 2018

Selon les dernières statistiques compilées par l’Occupational Safety and Health Division (OSHD), de janvier 2018 à mai 2024, 69 accidents de travail ont coûté la vie à des ouvriers sur les chantiers de construction. Le plus grand nombre de morts est survenu l’année dernière (14). Durant ce laps de temps, 1 003 salariés ont été victimes d’accidents non-mortels. Le rapport annuel mentionne, de 2018 à 2024, que des enquêtes ont été menées dans le secteur de la construction et des actions prises dans au moins 200 cas.

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Procédures et indemnités

C’est l’employeur qui a la responsabilité d’informer le bureau du Travail de tout accident sur le lieu du travail par le moyen le plus rapide à sa disposition. Par la suite, il a un délai de sept jours pour soumettre un rapport détaillé des circonstances de l’accident. L’employé ou un de ses proches peut aussi signaler l’accident. Souvent, c’est la police qui se charge d’informer le bureau du Travail qui, en cas d’accident, mène enquête avec d’éventuelles poursuites ouvertes contre l’employeur s’il est fautif. En cas d’accident de travail, l’employeur doit payer à l’employé deux semaines de son salaire. Après ces deux semaines, c’est le ministère de la Sécurité sociale qui prend le relai. La personne touchera 80% de son salaire si elle présente un certificat médical. L’employé (ou sa famille s’il est décédé) peut aussi poursuivre l’employeur au civil pour obtenir une indemnisation du préjudice subi.

QUESTIONS À

Désiré Brelu-Brelu, professionnel du domaine de gestion de la santé et de la sécurité :

« Je ne peux supporter ce que je qualifie de lip service »

Sa thèse pour l’obtention du diplôme d’une université britannique, en 1994, a été utilisée pour améliorer les Construction (Design and Management) Regulations britanniques en 2007. Détenteur d’un Master in Science (MSc) dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail, Désiré Brelu-Brelu compte environ 50 années de métier dans le domaine de gestion de la santé et de la sécurité. Dans cet entretien, il nous livre son analyse sur la situation à Maurice. « We have to obey by the law surtout lorsqu’il s’agit d’une question de vie ou de mort. Sauf que j’ai l’impression qu’il y à Maurice ce qu’on peut appeler un management failure », dit-il.

Désiré Brelu-Brelu, on vous présente comme un professionnel du domaine de gestion de la santé et de la sécurité, avec plus de 50 ans de métier en Angleterre. Décrivez-nous votre parcours.

Faute de moyens financiers, j’ai dû arrêter mes études secondaires à l’âge de 17 ans, avec la boule au ventre, mais cette déconvenue aura finalement été un blessing in disguise, car après ça, j’ai atterri en Angleterre, en 1969, grâce à mes grandes sœurs qui ont remué ciel et terre pour m’inscrire à des cours techniques de construction et d’architecture. Enhardi par l’octroi du passeport britannique, quelques années plus tard, j’ai décuplé mes efforts pour renforcer mes capacités dans le domaine de gestion de la santé et de la sécurité dans la construction, en intégrant l’Université de Londres. Je travaillais en même temps pour payer mes études. J’ai fait mes gammes en tant que Technical Officer & Surveryor au London Regional Transport (LRT), an organisation responsible for most of the public transport network in London, between 1984 and 2000. À partir de 1985, j’ai poursuivi mon apprentissage dans le secteur du logement avant de franchir les échelons en intégrant une prestigieuse institution du domaine de gestion de la santé et de la sécurité en tant que Project Surveyor Manager et Team Leader, dans la construction notamment. Je portais deux chapeaux à la fois. Le travail que j’ai effectué dans les inner cities, où le phénomène de concentration de misère, visible d’abord dans les mauvaises conditions d’habitat, m’a beaucoup forgé. J’étais en charge des projets de régénération pour améliorer l’environnement de ces quartiers en général, en collaboration avec les mairies. J’ai fait mon petit bonhomme de chemin jusqu’à que ma thèse pour l’obtention du diplôme d’une université britannique, en 1994, a été utilisée pour améliorer les Construction (Design and Management) Regulations britanniques en 2007. Je suis détenteur d’un Master in Science (MSc) dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail.

Quels ont été les contours de cette thèse ?

J’avais mis l’accent sur les critères de compétence, un changement dans la terminologie définissant le rôle du Planning Supervisor sur un site de construction. J’ai pu faire accepter aux autorités britanniques que le Planning Supervisor doit, en fait, être un Construction Design & Management Coordinator. La différence majeure est que ce Coordinator doit être directement employé par le client qui commandite le projet de construction et non pas un employé du contracteur qui entreprend la construction.

Avez-vous eu vent, à cette époque, ou est-ce que vous êtes renseigné personnellement sur comment la gestion de la santé et de la sécurité dans le monde du travail s’effectuait à Maurice ?

Je suis venu en vacances à Maurice en 1983, je n’avais vraiment pas eu le temps de m’épancher sur cet aspect. Je profitais de mes vacances à fond. Mais en 2009, au cours d’un séjour au pays, je suis sorti de mon mutisme après avoir été choqué, comme beaucoup, devant l’ampleur de l’effondrement d’un échafaudage à la cybercité d’Ébène, qui avait causé le décès d’un ouvrier de la firme PADCO et fait plusieurs blessés. Comment a-t-on pu en arriver là ? N’avait-on pas affaire à des professionnels ? Je ne pouvais pas rester de marbre devant ce marasme. J’ai fait des recommandations au gouvernement mauricien pour une revue complète des règlements ayant trait à la gestion de l’industrie du bâtiment. J’ai adressé un document de deux pages au ministre du Travail de l’époque, Jean-François Chaumière, pour lui faire part des manquements que j’avais personnellement relevés sur les sites de construction. Sur la base de l’expérience que j’avais acquise après avoir travaillé sur le site du plus large réseau ferroviaire d’Europe, j’avais recommandé, en sus des critères de compétence et de ressources adéquates pour tous les stakeholders, que tout commanditaire devrait absolument fournir des pre-contract information au concepteur d’un projet et celui-ci doit échanger ces informations. J’avais recommandé que le recours à des plans de construction générique soit banni. Ces recommandations ont été balayées d’un revers de main. C’est triste. J’étais à Maurice, en octobre 2011, lors du drame sur le chantier de construction de la Bramer House, à Ébène, sous la responsabilité de la firme Ireko. Il y a eu un mort et des blessés. Ils procédaient au démantèlement de l’échafaudage. Les leçons n’avaient pas été tirées.

Pour réduire les risques au minimum, les échafaudages doivent être montés et utilisés conformément aux règles de sécurité en vigueur. Quelles observations avez-vous faites à l’époque, et maintenant à Maurice ?

Il existe plusieurs types d’échafaudages, mais que deux types étaient le plus souvent utilisés. L’échafaudage indépendant et l’échafaudage dépendant. J’avais conclu, dans mes recommandations, que PADCO avait utilisé l’échafaudage dépendant, c’est-à-dire des tubes encastrés dans le mur. Cependant, des rapports avaient suggéré que les tubes encastrés avaient été enlevés, tandis que l’échafaudage était toujours en service. Or, l’enlèvement aurait dû avoir été seulement au moment où la structure était démantelée et l’opération aurait dû être entreprise par des travailleurs formés et des cadres compétents. Je suis revenu à Maurice, en 2012, où j’ai participé à un séminaire sur les échafaudages (practice), en présence du ministre des Infrastructures publiques, Anil Bachoo. Il a été question des lacunes à ce sujet.

Les choses n’ont pas changé depuis, si l’on se fie à votre moue dubitative…

J’ai l’impression qu’il y à Maurice ce qu’on peut appeler un management failure. Le risque zéro n’existe pas. Or, si des instructions claires sont données aux ouvriers et que des formations et supervisions adéquates sont faites, la chute d’un échafaudage ne doit jamais survenir. Ceux qui commanditent des constructions de bâtiments et d’immeubles à Maurice ont trop tendance à se contenter de retenir les services d’un contracteur et puis d’attendre que ce dernier livre la commande clés en main. Quand il y a un accident sur un site de construction en Grande-Bretagne, la faute n’incombe pas nécessairement aux ouvriers, aux superviseurs ou même au contracteur, mais initialement au client. Il y a des directives européennes qui stipulent que les clients ont le devoir et la responsabilité d’employer des gens compétents et de déployer les ressources adéquates afin de s’assurer que la sécurité soit maintenue. En Europe, les directives exigent que chaque partie engagée dans une construction se voit assigner une tâche spécifique afin que, par exemple, à chaque palier d’un immeuble, les responsabilités soient assumées jusqu’à la livraison totale du produit.

Avez-vous pris connaissance des amendements apportés à l’Occupational Safety and Health Bill, en décembre 2022 ? La quasi-majorité des députés de l’opposition qui se sont exprimés lors des débats préliminaires ont noté des avancées significatives à cette loi…

Il y a, en effet, des points positifs à retenir mais en tant que professionnel, je ne peux supporter ce que je qualifie de lip service. Il y a de grandes entreprises qui ont fait des efforts considérables pour se plier à certaines exigences liées à une sécurité sans faille, mais on est loin du compte. J’ai eu beaucoup de temps, depuis que j’ai pris ma retraite il y a quelques années, d’observer ce qui se passe sur les sites de construction ou chez des particuliers. Certains chantiers constituent souvent un réel danger, d’abord pour ceux qui y travaillent, ensuite pour le simple piéton qui a eu la malencontreuse idée de les longer. Penchés sur leurs travaux, des ouvriers, dépourvus de tout accessoire de sécurité, notamment les casques, semblent livrés à eux-mêmes. Certains, torse nu, transportent des briques sur le dos, les savates aux pieds. Maurice n’est plus ce qu’elle était il y a 20 ans et plus. Elle veut s’ériger en une nation moderne et sérieuse, mais la mentalité doit changer sur certains aspects. We have to obey by the law, surtout lorsqu’il s’agit d’une question de vie ou de mort.

Dans ma lettre au ministre du Travail en 2009, j’avais fait remarquer que l’Occupational Health and Safety Act 2005 en vigueur à Maurice prévoit, certes, un cadre pour l’application de mesures de protection et de santé sur les sites de travail mais, toutefois, la loi ne se réfère pas spécifiquement au secteur de la construction de bâtiment. Or, c’est un fait connu et reconnu à travers le monde que c’est justement dans le secteur du bâtiment qu’il y a le plus fort taux d’accidents, de drames et de retombées sur la santé. Cela est en grande partie dû aussi au fait que c’est dans ce secteur qu’est employée une main-d’œuvre généralement peu instruite. Il y a des manquements à ce sujet. Nous avons environ 700 000 travailleurs à Maurice. Le département d’Occupational Health & Safety du ministère compte environ 70 officiers, pour plus de 7 000 sites de travail et quelque 1 800 lieux de résidence pour les travailleurs étrangers. Comment voulez-vous que le travail de vérification se fasse dans des conditions optimales ? J’ai fait un survey sur la prolifération de l’amiante à Maurice, chez les particuliers et les professionnels. Mon constat est sans équivoque. C’est une véritable catastrophe. Des milliers de Mauriciens vivent toujours dans des conditions précaires, exposés aux dangers de l’amiante. Voilà où on en est. C’est un exemple parmi tant d’autres.

L’occasion pour nous de sonder votre opinion autour de la polémique née en 2023 sur l’éventuelle démolition du bâtiment Emmanuel Anquetil, truffé d’amiante. Qu’est qui devrait être fait concrètement ?

Envisager la démolition d’un tel bâtiment historique, issu du style « brutalisme », qui est un courant de l’architecture moderne du 20e siècle, est une absurdité. We must improve the building en se lançant, au préalable, dans des études sérieuses. Les autorités ne peuvent pas se ranger derrière le prétexte de l’amiante car, d’une part, l’amiante se trouve sur une infime partie du bâtiment et, d’autre part, l’amiante se traite efficacement dans le monde entier. Encore faut-il y mettre les moyens.

Propos recueillis par

ANDY SERVIABLE

Légendes

1. L’effondrement d’un échafaudage, à Ébène en 2009, avait jeté une lumière crue sur les lacunes autour de la sécurité sur les chantiers

2. L’effondrement d’un échafaudage, le 19 octobre 2011, depuis un bâtiment de la Bramer House, à Ebène, avait aussi marqué les esprits

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