Cadress Rungen : « Mama papa bann toxikomann zame finn gagn okenn konsiderasion ! »

  • « En cette campagne électorale, que tous les politiciens prennent le temps d’écouter et de comprendre l’enfer qu’endurent ces citoyens…

La situation se détériore davantage chaque semaine pour des centaines de parents de toxicomanes. Ces derniers jours, la disparition, dans des circonstances brutales et violentes, de deux jeunes hommes, en l’occurrence, Nadeem Permessur, 48 ans, et Mohammad Safyuddin Sauterelle, 21 ans, qui, selon leurs proches et parents, avaient été confiés à des centres de traitements, est venue chambouler la donne. Ce qui amène Cadress Rungen, travailleur social engagé dans ce combat contre les drogues, et en faveur des droits des toxicomanes, à émettre un émouvant plaidoyer : « Les parents de toxicomanes n’ont jamais, depuis ces trente dernières années, été pris en considération, et encore moins, mis au centre des politiques élaborées. Zame personn pa finn donn sa bann mama, papa la okenn led. Et pourtant, parallèlement à leurs enfants qui se détruisent avec ces produits nocifs, ces parents sont tout aussi dévastés, meurtris, abîmés et cassés à tout jamais. »

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« Dans son cheminement naturel  au fil de l’évolution de nos prestations auprès du grand public, le Groupe A de Cassis et Lakaz A a, quasiment automatiquement, commencé des week-ends résidentiels destinés aux parents des toxicomanes qui fréquentent notre centre. Le besoin s’est rapidement fait sentir, il y a plus d’une décennie, quand de plus en plus de parents frappaient à notre porte et ouvraient leurs cœurs, vidaient leurs souffrances et témoignaient de l’enfer qu’ils vivaient auprès de leurs enfants, devenus esclaves des produits illicites, allant du classique Brown Sugar, aux drogues de synthèse qui ravagent depuis nos enfants dans les écoles primaires », confie Cadress Rungen. C’est de cette manière, précise-t-il, que « nos bénévoles et animateurs ont réalisé que ces parents souffraient le martyre et peut-être davantage que leurs enfants accros aux drogues ! »

« Paran met lake pou temwagne ! »

Cadress Rungen s’était engagé dans le combat contre les drogues mais en faveur du respect des droits des victimes de ces produits dans les années 80. Ces années-là, l’opium se faisait rapidement remplacer par le Brown Sugar (dérivé d’héroïne) qui inondait les rues de la capitale, et les quartiers de sa périphérie, principalement. D’autres régions, comme celle de Rose-Hill, devenaient également la proie des marchands de la mort.

Le travailleur social reconnaît que « l’urgence, dès le départ, a été de sauver nos jeunes des griffes des dealers. Pourtant, il y a une quinzaine d’années, quand nous avons démarré les Week-end SEL (Solidarité, Épanouissement et Liberté) pour les parents des toxicomanes, je me suis rendu compte à quel point les parents de ces victimes avaient été totalement ignorés dans tout le processus, des décennies durant ! » Graduellement, l’ONG a mis en place « des cellules d’écoute et de soutien à l’intention de ces parents. Nous en sommes déjà à une trentaine de Week-end SEL, à raison de deux week-ends par an, où nous accueillons une cinquantaine de parents venus de toutes les régions du pays, au Foyer Fiat, à Petite-Rivière ». Il avance que sans le soutien du diocèse de Port-Louis, jamais un tel travail aurait pu être abattu.

« Le résultat a été une énorme souffrance qui s’est exprimée, le dimanche 23 juin dernier quand le Groupe A de Cassis et Lakaz A, sous l’impulsion de Pouba Essoo et Marie-Michèle Etienne, nous avions organisé une demi-journée de rencontres des parents de toxicomanes, au collège Lorette de Rose-Hill. Nous avons tous, sans distinction, travailleurs sociaux comme parents qui étions présents, ce jour-là, été pris de court par l’énorme déferlante de détresse, de tourments et de supplices endurés par les centaines de parents qui s’étaient déplacés exprès et faisaient la queue, littéralement, pour prendre la parole, témoigner de leurs peines, et exorciser, en quelque sorte, leur douleur », poursuit-il.

Ayant à son actif plus d’une trentaine d’années de militantisme dans ce domaine, Cadress Rungen explique que « nous n’avons plus affaire à des parents quinquagénaires ou sexagénaires, comme il y a, disons, une quinzaine d’années. Les parents qui viennent frapper à la porte de Lakaz A, à Port-Louis, viennent de toutes les régions du pays, les villages comme les villes. Et ce sont de plus en plus de jeunes parents, des cadres d’entreprises et de bureaux, dont les enfants ont une vingtaine d’années, filles comme garçons. » Le profil du toxicomane a certes changé, convient le travailleur social, « tout autant que celui de leurs parents ! »

« Face au response totalement inattendu et qui a dépassé, largement, nos attentes, nos bénévoles et animateurs, de même que quelques parents qui souhaitent contribuer à ce projet, nous avons planché sur un document-plaidoyer que nous avons circulé aux partis politiques, surtout en cette année d’échéance électorale. (Voir plus loin) Ce qui a débouché sur « des prises de contact, de part et d’autre. »

« Pran letan asizer, ekouter, kompran »

Dans cette perspective, ajoute le travailleur social, « avec le calvaire subi au quotidien  par les parents, associé aux complications que rencontrent les victimes des drogues, elles-mêmes, nous lançons un vibrant appel au plus grand nombre de nos politiciens de prendre le temps d’écouter et de passer un peu de temps avec ces parents. Afin de saisir l’ampleur du problème… Fode pran enn letan, asize, ekoute ek konpran seki sa bann mama papa la pe traverser ek seki zot ena pou dir ». Il avoue qu’il n’aurait « jamais imaginé que le problème aurait pris de telles ampleurs et que nous nous retrouverions avec autant de souffrances autour de nous ».

Cadress Rungen renouvelle son appel aux décideurs politiques en faveur de l’élaboration d’« un plan d’action sur la prévention à tous les niveaux et partout ! Que ce soit dans les écoles et les collèges ; les lieux de travail ; la communauté… Partout. Hélas !, ce que nous, travailleurs sociaux, redoutions depuis des décennies, a fini par arriver. Les drogues ont envahi nos villes et villages, bureaux, usines, entreprises… Ladrog zis partou ! Ek sintetik pe fini lavi dimounn. Krim pe ogmante. Insekirite, violans partou.»

Il réclame une synergie nationale. Un lever de boucliers multisectoriel, avec le concours de tous les ministères : de l’éducation, de la Jeunesse et des Sports, des Arts, de la Sécurité sociale, de l’économie et des finances, des petites et moyennes entreprises… De tout le gouvernement en somme, pour élaborer une stratégie de lutte contre ce fléau qui gangrène lourdement la société.

« Le combat contre la toxicomanie passe inexorablement par les parents des victimes. La cellule familiale est un pilier dans ce combat : sans elle, les victimes, leurs enfants, ne peuvent retrouver le courage et la force nécessaires pour remonter la pente. La cellule familiale, c’est la matrice de la société. Pouvons-nous prendre le risque de la détruire ? Les conséquences seront irréversibles ! » conclut Cadress Rungen et son équipe avec un appel que « nous, travailleurs sociaux, sommes des partenaires et non des adversaires. Il ne faut, sous aucun prétexte, que la lutte pour les victimes des drogues, tant les accros que leurs proches et parents, soit politisée. Il s’agit de vies humaines, et non de cobayes ni d’objets jetables ! »

Le plaidoyer dans les grandes lignes

Développé et élaboré par ceux qui sont en première ligne au sein du Groupe A de Cassis/Lakaz A, le plaidoyer circulé aux partis politiques en marge de cette campagne électorale se décline en plusieurs thématiques. Le message des travailleurs sociaux est de donner priorité à « l’accompagnement des victimes et que l’approche de la République de Maurice place l’humain au centre ».

Sur le plan institutionnel, le plaidoyer préconise « la mise sur pied d’un mécanisme de coordination pour regrouper toutes les institutions gouvernementales et non gouvernementales afin d’assurer l’efficacité de l’implémentation des programmes et des projets initiés par les ministères et autres institutions internationales et de surveiller  et d’évaluer l’efficacité des interventions, des politiques et des programmes de lutte contre la drogue, et de fournir des retours d’information et des recommandations pour les améliorer. »

S’agissant des parents et de la cellule familiale, l’ONG suggère, entre autres mesures, que « soit créé un Parents Research and Training Centre on substance abuse pour accompagner les parents en amont et après, afin qu’ils soient équipés et orientés face aux problèmes liés  à la drogue au sein de la famille. »

Une part conséquente est dédiée à la nécessité d’avoir une campagne de prévention constante et continue. De fait, le plaidoyer met l’accent sur la tenue d’une campagne permanente « dans les écoles et établissements scolaires, sur les lieux de travail et dans la communauté. Associée à cela, la création d’un National Documentary Centre est réclamée, pour servir de réservoir central pour la collecte, le stockage et la gestion des documents et des données sur la drogue et les substances psychoactives. Toutes ces informations pourront être disponibles et accessibles. »

Les institutions pénitentiaires ne sont pas oubliées : « La spécificité du milieu carcéral doit être prise en considération dans l’implémentation des programmes et projets cités dessus. »

Réhabilitation et réinsertion : les grands oubliés des politiques

« Réhabilitation et réinsertion sont deux éléments complémentaires, mais qui nécessitent une approche entière et séparée », s’appesantit Cadress Rungen. « Si la réhabilitation fait partie intégrante des processus prônés dans des centres résidentiels, comme ceux du Centre de Solidarité et du Centre d’Accueil de Terre-Rouge, en revanche, pour la réinsertion, il faut une équipe à part et détachée des centres en question. Leur formation est différente et très spécifique sur les approches et les thérapies à mettre en oeuvre envers les patients. » Dans son plaidoyer, l’ONG propose ainsi qu’«une étude soit entreprise  pour évaluer la situation sur le terrain afin de pouvoir proposer les actions concrètes et efficaces à entreprendre pour le traitement  des personnes souffrant de l’addiction et qu’un programme de formation spécialisé et dans la durée soit introduit pour des travailleurs sociaux engagés dans ce domaine. »

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