Jeux de séduction

THARA SAVI

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Alors que le Premier ministre n’a toujours pas cru bon de partager avec son peuple la date des prochaines élections générales, la campagne électorale semble quant à elle déjà bien entamée sur le terrain comme dans les médias.

Mais bien que plusieurs journalistes de la radio et de la presse écrite se distinguent aujourd’hui dans leur mission d’informer, d’éclairer et de réclamer de leurs intervenants qu’ils jouent cartes sur table avec les électeurs, la prestation de nos politiciens laisse, elle, encore à désirer.

D’un côté, le MSM et ses alliés qui, dix ans après leur accession au pouvoir, redoublent d’efforts pour apporter ce « feel-good factor » si élusif, en brandissant des hausses salariales emballées dans du papier cadeau, sans trop sembler se soucier de leur impact économique. Sans parler du récent sondage d’Afrobarometer qui indique qu’ils seraient en chute de confiance auprès des électeurs, dont près de deux-tiers disent craindre leur tendance à la corruption.

De l’autre, une opposition vieillissante qui, tout en revendiquant le changement et la « politique autrement », ne parvient pourtant pas à changer ses discours, préférant la tactique de l’attaque contre ses adversaires, tout en passant à côté des occasions pour faire entendre au peuple des plans concrets et crédibles de renouveau.

Ensuite viennent les nouveaux partis qui se démarquent tantôt par des programmes plutôt bien réfléchis, tantôt par une telle déconnexion de l’échiquier politique qu’on a du mal à croire qu’ils sauront quel chemin emprunter pour accéder à l’hémicycle. Le Reform Party et Linion Moris insistent tous les deux, mais indépendamment, qu’il serait possible de vaincre les deux blocs traditionnels en une seule élection, malgré le système de First-Past-The-Post, cela au profit d’inconnus qui tiennent parfois de bons discours mais on arrivera à peine à reconnaître les symboles sur un bulletin de vote…

Et puis, il y a Rezistans ek Alternativ qui nous propose un changement plus pragmatique, plus conscient de la realpolitik mauricienne, à travers une alliance avec un bloc traditionnel. Cette démarche, on comprend, leur offrirait de meilleures chances d’obtenir un siège ou deux au Parlement, ce qui permettrait un changement du système de l’intérieur. Mais comment alors s’assurer que les « petits » d’une telle alliance tiendront tête cinq ans durant, sans se faire absorber, voire engloutir, par les « gros » ?

Et face à tous ces prétendants, il y a ceux qu’on courtise : nous, qu’on appelle la masse silencieuse, qui n’est ni orange, ni rouge, ni mauve, ni bleue – la vraie majorité dans le décompte du dernier scrutin. On compte parmi ceux-là une génération qui, autant elle a été la cheville ouvrière du pays, ne sait plus à présent de quoi sera faite sa retraite. On y compte aussi les jeunes Mauriciens qui n’ont connu que deux noms à la tête du pays mais qui voient bien que les Barack Obama et les Kamala Harris sont possibles de nos jours.

Au politicien qui chercherait aujourd’hui à nous séduire mais qui voit ses efforts systématiquement rabroués, voici quelques pistes qui pourraient être utiles…

Sachez d’abord que nous n’avons que faire des attaques lancées à vos adversaires, ou des dossiers que vous allez prendre de vieux tiroirs, tentant de prouver que, même si vous avez tort aujourd’hui, ils ont eu jadis plus tort que vous et c’est forcément pire quand c’était eux.

Sachez aussi que nous n’avons que faire de la taille des foules qui seraient venues ou non à un rassemblement. D’une manière ou d’une autre, cela ne nous fait pas plus d’effet que d’entendre Donald Trump déclarer que « nobody’s spoken to crowds bigger than me ».

Nous n’avons que faire de qui a été nommé Speaker, ou avec quel parti vous comptez ou non faire alliance aux prochaines élections. Ceci n’est pas une émission de télé-réalité ou nous sommes tenus en haleine durant toute une saison pour connaître le gagnant au dernier épisode.

Parlez-nous plutôt de vos plans pour réduire le coût de la vie, parce qu’aujourd’hui nous sommes forcés à compter nos sous simplement pour pouvoir faire quelques courses – et là encore sans même penser au casse-tête des œufs et du poulet.

Dites-nous si vous pourrez réunir des têtes pensantes qui sauront dresser une vraie stratégie pour faire grandir l’économie, et avec elle chaque Mauricien, qu’il soit entrepreneur ou employé – et sans utiliser les salaires comme bribe électoral, au détriment de la création de richesse et d’emplois.

Dites-nous comment vous vous assurerez que la transparence et le respect des lois primeront toujours et sans équivoque, et vous aurez le courage de redresser la gouvernance des institutions pour garantir la survie de cette démocratie encore si jeune, si précaire.

Parlez-nous de comment vous comptez défendre nos enfants contre l’infiltration des drogues les unes plus effrayantes que les autres, et comment vous pourrez les rassurer que le changement climatique ne viendra pas éroder leurs rêves d’avenir.

Dites-nous comment vous renforcerez l’indépendance de la police et du judiciaire afin que des crimes comme les meurtres de Kaya Kistnen et Manan Fakoo ne restent pas sans réponses, peu importe quelles seraient les personnalités impliquées.

Comprenez, enfin, que nous sommes en 2024 et que vos vieux discours remplis d’insultes, de vengeance, de rivalités anciennes et de rancunes datant du siècle dernier ne nous parlent pas.

Ce qui nous parle aujourd’hui c’est le langage de l’espoir, de la raison, de la grandeur d’âme, de l’amour du pays et de ceux qui y vivent. Dans vos jeux de séduction, si vous cherchez à nous prendre par les sentiments, sachez que c’est par ceux-là qu’il faudra commencer.

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