L’ex-ministre Anil Gayan s’engage ces jours-ci dans une campagne internationale en vue de soutenir sa candidature au poste de président de la Commission de l’Union africaine afin de succéder à Moussa Faki Mahamat, du Tchad, et dont le mandat arrive à terme. Il a d’abord accompagné durant le week-end la délégation mauricienne au sommet de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), se déroulant à Harare. Dans un entretien accordé à Le-Mauricien, il se dit confiant et affirme que Maurice a de bonnes chances d’être choisie à ce poste prestigieux et très convoité en Afrique. Outre Maurice, trois pays ont présenté des candidats – à savoir le Kenya, Djibouti et Madagascar. Anil Gayan ajoute que Maurice a été active au sein de l’OUA, devenue par la suite l’Union africaine. Il évoque son programme, qui comprend dix propositions articulées autour de la paix et la sécurité, car ce sont, dit-il, « des conditions indispensables pour assurer le développement et l’avenir de l’Afrique ». Il insiste également sur la nécessité que le continent, qui fait déjà partie du G20, soit représenté au Conseil de sécurité des Nations Unies en tant que membre permanent.
Vous êtes candidat au poste de président de l’Union africaine. Ce n’est pas la première fois que vous vous intéressez à ce poste…
Il y a une différence entre le président de la Commission de l’Union africaine et le président de l’UA. Le président de l’Union africaine est un chef d’État élu par ses pairs tous les ans. La présidence de la Commission de l’Union africaine est un poste permanent. Il occupe, en fait, la fonction de Chief Executive.
C’est vrai que j’ai toujours été intéressé par l’Afrique et je suis très reconnaissant envers le gouvernement et le Premier ministre, Pravind Jugnauthpour avoir proposé mon nom comme le candidat de Maurice.
C’est donc le Premier ministre qui propose votre nom, mais pas vous qui avez demandé le soutien du gouvernement ?
Nous avons eu un entretien avec le Premier ministre et il a proposé que je sois le candidat de Maurice. Il y avait une autre personne qui était intéressée, mais le Premier ministre a tranché et a fait son choix.
Déjà en 2016, votre nom avait été cité comme un éventuel candidat au même poste….
Oui, il y avait l’idée, mais en 2016, étant ministre, alors je n’étais pas trop intéressé. Maintenant, c’est le tour de la région Est d’Afrique de proposer un candidat et c’est pour cela que nous avons pensé que cela vaut la peine d’essayer parce que ce serait un grand honneur pour le pays d’avoir quelqu’un à la tête de la Commission de l’Union africaine.
C’est un grand défi que vous envisagez de relever. L’Afrique est immense avec ses problèmes…
Il y a beaucoup de problèmes mais il y a également beaucoup d’opportunités. Il faut être optimiste pour l’Afrique. Moi, je le suis. Il y a des problèmes en ce moment, notamment au niveau de la santé. L’OMS a décrété une urgence de santé publique de portée internationale (Usppi) contre la maladie mpox qui sévit depuis le début de l’année dans plus d’une dizaine de pays d’Afrique et qui constitue une menace pour la santé en Afrique. C’est un handicap pour le processus de développement normal. Il faut accepter les réalités.
L’autre problème, c’est qu’au moment où l’on parle, il y a une conférence à Genève pour essayer de trouver une solution au conflit qui secoue le Soudan. Malheureusement, la réunion n’a pas donné de résultats positifs. Le conflit se poursuit. Le but de l’Union africaine consiste à donner de l’espoir aux Africains et leur faire comprendre qu’il y a une institution qui peut aider à résoudre leurs problèmes et aussi à créer un environnement de paix, de sécurité pour que les Africains puissent se développer, s’épanouir et entamer le progrès et le développement du continent pour tout le monde. Le thème principal pour la campagne que j’ai lancée est la paix et la sécurité.
Vous parlez de paix et de sécurité. Cela ne semble pas être le cas dans plusieurs pays, dont le Mali et les pays du Maghreb…
Il y a le problème entre l’Algérie et le Maroc pour le Sahara occidental. Il y a toujours des problèmes dans les États d’Afrique centrale. Il y a le gros problème au Soudan où les populations sont menacées de famine. Il y a aussi des troupes de Wagner qui sont des mercenaires. Il y a beaucoup d’armes, les petites armes, les armes légères qui circulent en Afrique. Cela pose un problème immense pour la sécurité et la paix.
Sans la sécurité, sans la stabilité et sans la paix, l’Afrique aura à faire en effort considérable pour arriver à un niveau de développement raisonnable pour l’avenir.
Tout le monde est en train de regarder l’Afrique comme le continent de l’avenir. Mais il faut que les Africains réalisent aussi que sans la paix, la sécurité et la stabilité politique, il n’y aura pas de développement à un rythme nécessaire pour donner de l’espoir aux Africains.
Je suis de ceux qui disent qu’il faut faire taire non seulement les armes qui existent dans plusieurs pays, mais aussi ceux qui continuent à arriver sur le continent. Chaque arme qui entre dans un pays est potentiellement destinée à tuer des gens. Et ce sont les jeunes qui seront probablement les premières victimes alors que la jeunesse représente l’espoir et le progrès.
Maurice est après tout un petit pays situé dans la périphérie orientale de ce grand continent. Que comptez-vous proposer aux chefs d’État africains pour les convaincre ?
Il faut comprendre que dès notre accession à l’Indépendance en 1968, nous avons adhéré à l’Organisation de l’Unité africaine créée en 1963 pour permettre la décolonisation totale du continent africain et la chute de l’apartheid en Afrique du Sud. Nous avons même accueilli le sommet de l’OUA en juillet 1976 auquel avaient participé plusieurs chefs d’État africains dont le président Senghor. Sir Seewoosagur Ramgoolam avait assumé la présidence de l’organisation pendant une année. Donc, ce n’est pas maintenant que nous nous intéressons à l’Afrique.
Lorsque l’OUA s’est transformée pour devenir l’Union africaine, j’étais personnellement présent lors de son lancement à Durban en 2002. Plus récemment, Maurice a accueilli à au moins deux reprises la réunion de l’African Economic Platform à laquelle ont participé de hauts dirigeants africains.
Ma candidature s’inscrit dans le cadre de notre engagement pour l’Afrique. La question de petit pays ne se pose pas car nous sommes Africains à part entière. Nous appartenons à l’Union africaine à part entière, et nous avons contribué à son développement. Nous allons continuer à contribuer pour le progrès et le développement de l’Afrique.
D’ailleurs, le Mauricien Vijay Makhan a gravi les échelons pour devenir secrétaire général de l’OUA et commissaire de l’Union africaine. Notre engagement est sans faille. Nous avons toujours été avec l’Afrique, et nous sommes toujours avec l’Afrique. L’Afrique, c’est notre continent. Nous sommes une île en dehors du continent africain, mais nous appartenons au groupe politique africain.
Vous avez récemment présenté un programme avec dix propositions. Pouvez-vous élaborer ?
Les dix points sont les axes nécessaires pour accélérer le développement en Afrique. Ils s’articulent autour de la nécessité absolue d’avoir la paix et la sécurité. Sans la paix et la sécurité, nous ne pourrons pas avancer. Elles sont indispensables pour accélérer le développement.
Il faut reconnaître qu’il y a eu beaucoup de progrès qui ont été enregistrés en Afrique. Mais il y a eu également des événements qui interviennent et qui affectent le processus de développement. Dans les propositions que j’ai formulées, la santé, l’éducation, l’innovation, la technologie, l’agriculture, la sécurité alimentaire sont liées. Il y a le dérèglement climatique qui, malheureusement, touche de fermiers africains. Il y a aussi le déplacement des populations.
Au Soudan, des millions de personnes ont été déplacées en raison de la guerre. Dans certaines régions, les populations sont menacées de famine. C’est terrible. Mais on peut en Afrique éviter ces moments difficiles. Et c’est pour cette raison qu’il faut mettre en place un mécanisme de prévention des conflits et favoriser la réconciliation. Aujourd’hui, nous sommes obligés de gérer les conflits lorsqu’ils se produisent.
Chaque Africain doit pouvoir rêver d’un continent prospère. Mon rêve est que tous les États africains arrivent à un accord sur un passeport de l’Union africaine qui permettrait à n’importe quel Africain de circuler n’importe où en Afrique.
Est-ce que Maurice est suffisamment connue en Afrique ?
Maurice est très connue en Afrique, que ce soit au niveau des chefs d’État des pays membres de l’Union africaine, du SADC, de la COMESA, de toutes les autres instances en Afrique.
Nous avons tendance à penser que Maurice est isolée. Ce n’est pas le cas et d’ailleurs plusieurs dirigeants africains viennent passer des vacances dans l’île. Il ne faut pas oublier qu’il y a beaucoup d’entreprises mauriciennes dans les pays africains dont la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Mozambique, l’Afrique du Sud, le Rwanda, la Tanzanie, le Kenya et l’Éthiopie. Nous sommes engagés non seulement sur le plan politique, mais aussi sur le plan économique et industriel. D’ailleurs, les banques mauriciennes sont présentes sur le continent. Nous sommes un petit marché. Notre avenir économique, commercial et industriel se trouve en Afrique.
Sur le plan culturel, nous avons le Centre Nelson Mandela et le Musée de l’Esclavage qui permettent de sensibiliser les Mauriciens aux richesses culturelles et patrimoniales en Afrique.
Maurice fait également partie de l’Indiaocéanie. Pensez-vous pouvoir apporter cette dimension indiaocéanique dans la diversité africaine ?
Non, il ne faut pas cataloguer l’Afrique en dimensions. Nous sommes Africains, nous sommes excentrés du continent africain, mais nous sommes en Afrique, pour toutes les raisons que j’ai évoquées tout à l’heure.
Nous savons que beaucoup de pays asiatiques utilisent Maurice comme une porte d’entrée pour l’Afrique…
Oui, c’est une porte d’entrée pour les services, ce n’est pas une porte d’entrée politique. Ils utilisent Maurice parce qu’ils pensent qu’elle est bien située et surtout en raison de sa stabilité. Ils ne le font pas pour des raisons politiques, mais pour des raisons économiques.
Est-ce que cela représente un atout pour vous ?
Naturellement, c’est un atout parce que nous symbolisons la bonne gouvernance, la stabilité politique, la démocratie avec un service de judiciaire prévisible. Il y a aussi la sécurité dans l’ensemble du pays. Nous sommes également en tête de l’indice Mo Ibrahim.
En ce qui me concerne, je compte apporter mon expérience au niveau du gouvernement et m’assurer que la bonne gouvernance est un élément central au sein de l’Union africaine.
Trois autres candidats sont en lice pour ce poste, ils sont du Kenya, de Djibouti et de Madagascar. Comment évaluez-vous vos chances ?
C’est une compétition, nous allons voir, les chefs d’État vont décider. Je suis convaincu que nous avons de très bonnes chances pour pouvoir faire rayonner Maurice au niveau du continent africain. Mon association avec l’Union africaine et l’Afrique date de longtemps. Outre le fait que j’étais présent au lancement de l’Union africaine en 2012, j’ai été associé à un panel ministériel pour la nomination des commissaires.
J’ai même dirigé une délégation aux Nations unies au Soudan du Sud dans le sillage de l’assassinat d’un chef tribal connu. En tant que ministre, j’ai été en mission dans plusieurs pays africains. Mon nom résonne plus en Afrique qu’à Maurice.
Êtes-vous entouré d’une équipe lors de votre campagne ?
Ce samedi, j’accompagnerai la délégation mauricienne au Sommet de la SADC qui aura lieu à Harare, au Zimbabwe. Par la suite, je me rendrai dans toutes les instances internationales où il y a les conférences pour faire du lobbying. Et il y aura aussi probablement des visites ponctuelles dans certaines capitales africaines. Toutes nos ambassades sont déjà au courant de la candidature de Maurice et font du lobbying à leur niveau. En principe, il y aura une réunion au Japon. Je ferai partie de la délégation.
J’accompagnerai également la délégation mauricienne en Chine à l’occasion du Forum on China-Africa Cooperation. C’est le vice-président de la république qui dirigera la délégation. En plus des lobbyings à l’international, il y aura également des interviews publiques. Nous verrons bien mais je suis confiant. Et je m’informe de tout ce qui se passe en Afrique comme toujours, mais davantage en ce moment car je dois être au fait de tout ce qui se passe en Afrique.
Comment financez-vous votre campagne ?
L’État mauricien me finance. C’est une décision de l’État parce que c’est l’État mauricien qui est candidat. Je suis reconnaissant à l’État mauricien pour son soutien financier et diplomatique. En fin de compte, c’est le nom du pays. C’est l’image du pays qui est importante.
Vu que vous êtes candidat, vous serez absent de la scène politique à Maurice. Quel regard jetez-vous sur la campagne électorale en cours ?
Étant donné que je suis candidat pour un poste au niveau international, j’ai un droit de réserve sur tout ce qui va se passer à Maurice. Je n’ai pas à faire de déclaration sur ce qui se passe à Maurice. C’est le minimum que je dois faire.
D’autres ressortissants mauriciens ont déjà postulé à des postes internationaux. Les avez-vous rencontrés ?
Je projette de les rencontrer. Jayen Cuttaree qui avait postulé pour le poste de directeur de l’OMC est décédé. Jean-Claude de L’Estrac a été candidat au poste de secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie. Je compte le rencontrer parce qu’il a l’expérience d’avoir fait du lobbying à l’international. J’envisage de rencontrer également Vijay Makhan.
Est-ce qu’à travers votre candidature à la présidence de l’Union africaine, vous souhaitez inciter les jeunes Mauriciens à explorer les opportunités qui existent en Afrique ?
Je souhaite que les Mauriciens soient conscientisés davantage sur ce que l’Afrique représente en termes d’opportunités. Moi, je connais beaucoup de Mauriciens qui sont installés en Afrique. Ils sont enchantés. Certes, il y a des problèmes en Afrique, mais il y en a dans tous les pays. Il ne faut pas se laisser aveugler par les problèmes. Il faut voir les opportunités et les défis à relever.
Tout comme les Américains avaient un rêve, nous pouvons avoir un rêve africain où tout le monde vivra bien. Le message que je voudrais transmettre aux Mauriciens, c’est qu’il faut sortir de l’insularité et voir plus large parce que notre ambition doit avoir une dimension internationale. Maurice n’est pas le nombril du monde. Il faut qu’on s’intéresse à ce qui se passe dans le monde. Il faut qu’on s’habitue qu’à ce qui se passe en Afrique, en Asie aura un impact sur Maurice.
Qu’on le veuille ou pas, la guerre entre l’Ukraine, et la Russie affecte considérablement Maurice. De même, le conflit entre Israël et le Hamas nous affecte car il a entraîné une hausse considérable du fret maritime. Les navires doivent passer désormais par le sud de l’Afrique. Il ne faut pas croire que tout le monde a les yeux tournés vers Maurice. Nous, nous devons avoir le regard tourné vers les autres.
Pensez-vous que l’Afrique à un rôle à jouer au niveau international ?
Absolument ! L’Afrique est devenue membre permanent du G20. C’est un atout considérable car elle peut faire résonner sa voix au niveau de ce groupe. Mais il est important aussi que l’Afrique ait une présence permanente au sein du Conseil de sécurité parce que l’Afrique compte. Il faut que la voix de l’Afrique résonne également au niveau du Conseil de Sécurité.
Pour beaucoup de ses activités, l’Afrique dépend de l’aide de ses partenaires. J’espère qu’un jour l’Afrique pourra survivre avec ses propres moyens. Et, bien entendu, une collaboration avec les partenaires restera toujours d’actualité parce que l’Afrique ne veut pas vivre seule.
Au cas où vous seriez élu, un des dossiers que vous serez appelé à traiter est la décolonisation de l’Afrique avec la fin de l’occupation anglaise des Chagos…
Naturellement, c’est un problème qu’il faudra voir à ce niveau-là . Mais je dois aussi dire que l’Union africaine a toujours été aux côtés de Maurice sur le problème des Chagos.
En dernier lieu, quel message voulez-vous transmettre ?
Un message d’espoir. Que l’Union africaine devienne, dans l’esprit de chaque Mauricien, une institution importante et nécessaire ! Et il faut que les Mauriciens acceptent que leur avenir puisse également résider sur le continent africain.