Rodrigues ne compte qu’une avouée native de l’île en exercice à Port-Mathurin : Roxana Collet. Lauréate de la cuvée HSC 2007, elle a fait ses études à Londres, avant de rentrer au pays à 22 ans. Pour Roxana Collet, fille d’une mère à la fois éleveuse et gérante de sa tabagie, et d’un père maçon, il n’a jamais été question de faire carrière à l’étranger. Elle croit aux opportunités et a créé la sienne, espérant ouvrir la voie pour de futurs juristes rodriguais. Ex-députée à l’Assemblée régionale, Roxana Collet a trouvé dans la politique un moyen d’accomplir la mission qu’elle s’est donnée : œuvrer pour construire une île autonome.
Roxana Collet, bientôt 36 ans, se destinait à la médecine. Au Rodrigues College où elle a fait ses études secondaires, elle avait opté pour les sciences et les mathématiques au Higher School Certificate. Élève brillante, Roxana Collet n’a étonné personne lorsqu’elle a vu son nom dans la liste des lauréats de la cuvée 2007. C’est plutôt la filière qu’elle a choisie pour ses études à l’université qui allait surprendre ceux qui la voyaient plus tard dans un laboratoire ou en tant que médecin. Même elle ne se doutait pas qu’elle étudierait le droit et viserait un Bachelor of Laws !
Il aura fallu un exposé par des représentants de la Middlesex University de Londres pour que Roxana Collet change de plan de carrière. “Ils étaient à Rodrigues pour faire une présentation sur les études en droit. Ces personnes étaient tellement passionnées par les informations qu’elles transmettaient qu’elles ont captivé mon attention. Ils parlaient de la loi comme d’un outil puissant pour promouvoir le respect des droits. Cette idée du droit comme catalyseur de changement était en ligne avec ma vision et mes valeurs”, explique Roxana Collet. C’est ainsi qu’elle s’est retrouvée à Londres en 2008 où elle a étudié pendant trois ans à la Middlesex University.
Ouvrir la voie
Lorsqu’elle est rentrée à Rodrigues après ses études et après sa prestation de serment, Roxana Collet est devenue la première avouée de l’île. Depuis, elle est la seule native de Rodrigues à exercer dans l’île. À Port-Mathurin, quelques juristes mauriciens ont ouvert leur cabinet le temps d’une affaire d’odre légale sur l’île, mais cela ne dérange nullement Roxana Collet. En revanche, la jeune femme espère que d’autres Rodriguais lui emboîteront le pas. C’est même devenu un rêve pour elle. Un cabinet constitué uniquement d’avoués et d’avocats 100 % rodriguais serait, pour elle, un service extraordinaire à ses compatriotes. “Aujourd’hui, il y a des possibilités de bourses. La formation est beaucoup plus accessible. Il faut profiter des opportunités qu’offrent des institutions. Si on ne sait pas comment s’y prendre pour trouver une formation, il faut en parler autour de soi pour être canaliser vers les bonnes informations”, avance l’avouée.
Aux yeux de Roxana Collet, Rodrigues est l’île de toutes les possibilités. Le discours pessimiste sur le marché du travail et l’avenir des jeunes lui semble dépassé. “Si je reviens en arrière, à l’époque où je venais d’obtenir mes résultats de HSC, il n’y avait pas d’avoué chez nous. Il n’y avait qu’un homme de loi, en l’occurrence Joseph Chenlye Lam Vo Hee (ndlr : ancien magistrat et président de l’Assemblée régionale de Rodrigues), qui était devenu conseiller juridique. J’aurais pu me sentir découragée et me dire que, sans cabinet dans l’île, je ne pourrais pas avoir de pratique”, dit Roxana Collet. Elle a transformé les obstacles potentiels en défis. “Il faut combler le vide qui existe dans certains secteurs et qui rendrait service à la population. Il y a de la place, par exemple, pour des vétérinaires privés”, précise-t-elle. C’est à Maurice qu’elle a fait ses premières armes dans la profession pour se perfectionner après ses études en Angleterre. “Je n’ai jamais pensé à m’installer à l’étranger ou à Maurice en me disant qu’il n’y avait pas d’avenir pour moi à Rodrigues. J’ai toujours voulu revenir dans mon pays pour le servir et retrouver ma famille. Je dois aussi reconnaître que j’adore mon île. Sinon, comment aider au développement de son pays si l’on choisit de ne pas y retourner vivre ? Si moi, qui ai eu la chance d’être formée à l’étranger et d’avoir un contact précieux avec le monde légal ailleurs, je ne rentrais pas, j’aurais été égoïste. Je ne critique pas pour autant le choix de ceux qui ont décidé de travailler à l’étranger”, confie l’avouée.
Femme de loi et politique
Après deux ans passés à Port-Louis, la jeune Rodriguaise retrousse ses manches et se dirige vers le bureau de l’ancien Chef Commissaire, Serge Clair. Nous sommes en 2013. Elle y est allée avec détermination. “Je me suis présentée. Je lui ai dit que si le service public avait besoin de moi, j’étais là, disponible”, raconte-t-elle. Sa détermination a payé puisque peu de temps après, elle décroche un stage dans le cadre du Service to Mauritius Programme à l’Assemblée régionale, auprès du conseiller juridique de l’époque. Ce passage à l’Assemblée régionale sera également une porte d’entrée vers la politique. Elle fait son entrée dans l’arène aux côtés de l’OPR. Poussée par l’envie de voir son île se transformer pour le mieux, de rendre l’accès à l’eau possible et accessible à tous, et d’offrir une éducation de qualité aux jeunes, un logement à tous, elle s’engage dans un domaine qui, dit-elle, est en adéquation avec sa volonté d’œuvrer pour Rodrigues. Encore une fois, son ambition se concrétise lorsqu’elle devient députée sous la bannière de l’OPR en 2017. Elle y est restée jusqu’en 2022. Depuis, la politique fait partie de sa vie et elle voit encore plus grand. Elle tiendra bon jusqu’à ce que son île devienne autonome.
Un penchant pour le droit de la famille
Roxana Collet a ouvert un bureau à Port-Mathurin en 2019 et emploie deux clercs. Quand on lui demande comment elle accueille la présence de ses confrères juristes mauriciens qui ont un pied à Rodrigues, elle répond ne pas être dans l’optique de la concurrence. “Cela ne change rien pour moi”, dit-elle. À Rodrigues, elle est dans son élément et les habitants de l’île lui font confiance. Chaque mois, sans compter les affaires qu’elle prend sur une base pro bono, elle est appelée à traiter une dizaine de dossiers. Entre les réclamations, licenciements, troubles de voisinage, gardes d’enfants et divorces, son quotidien est rythmé par des problématiques présentes dans la société rodriguaise, qui la conduisent non seulement à l’unique Cour de l’île, mais font d’elle une observatrice de la société de son pays. Les divorces – note celle qui confie avoir un penchant pour le droit de la famille – ont augmenté à Rodrigues.
Un pied à Maurice
Parmi ses clients, il y a bien évidemment des Rodriguais, mais aussi des Mauriciens, ce qui explique, dit-elle, l’existence d’un bureau qu’elle opère avec la collaboration d’un collègue à Port-Louis. À l’ère de la globalisation, où l’Internet facilite les contacts, les rendez-vous et les discussions avec ses clients mauriciens se font par vidéoconférence. Et si, par malchance, il y a un souci informatique, Roxana Collet peut compter sur son frère, technicien dans le domaine, pour l’aider. Dans la famille, les trois enfants ont chacun épousé une carrière différente. “Ma sœur est formatrice dans le BPO à Port-Mathurin”, dit la jeune femme qui a construit sa vie au village de Cascade Jean-Louis.