La leçon des jeunes

Il y a les images, vivantes, énergisantes, galvanisantes, des Jeux Olympiques qui ont rassemblé à Paris, pendant deux semaines, un monde sportif mais aussi artistique et culturel capable de regroupement, de dépassement, d’unité, de beauté.
Et puis, en parallèle, il y a ces images atroces d’hôpitaux puis d’écoles qu’Israël bombarde avec une intensité croissante, dans la bande de Gaza. Selon l’ONU, Israël a mené, depuis début juillet, au moins 21 frappes contre des écoles (l’un des derniers refuges des habitants qui tentent de fuir les combats meurtriers), tuant plus de 300 personnes. Des bombardements dont la communauté internationale s’accorde à dire qu’ils constituent de très graves violations du droit international humanitaire. «Il est temps que ces horreurs qui se déroulent sous nos yeux prennent fin, s’exclame Philippe Lazzarini, chef de l’Unrwa, l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens. « Nous ne pouvons pas laisser l’insupportable devenir une nouvelle norme. Plus cela se répète, plus nous perdons notre humanité collective.»
Le chef de la diplomatie de l’Union européenne, Josep Borrell, s’est pour sa part déclaré «horrifié» par les images de ces attaques : «Au moins dix écoles ont été visées ces dernières semaines. Rien ne peut justifier ces massacres.». Les Etats Unis, eux, ont signifié leur «profonde préoccupation» face à ces frappes. Alors même que Washington vient de débloquer 3,5 milliards de dollars pour qu’Israël se fournisse en équipements militaires américains. Le 15 août dernier, le ministère de la Santé du Hamas a annoncé que le nombre de victimes de la guerre dans la bande de Gaza s’élevait désormais à plus de 40 000 morts, seuil que le Haut Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, considère comme une « étape sombre pour le monde entier”.
Un « monde entier » qui semble plus préoccupé à regarder ailleurs…
Jusqu’à ce que, peut-être, le conflit finisse par impacter notre propre quotidien. C’est en effet la crainte d’un embrasement total de la région, avec des répercussions internationales, qui sont à la base de tentatives, ces jours-ci à Doha, au Qatar, de négocier une trêve dans cette bande de Gaza pilonnée sans relâche par Israël depuis les attentats menés par le Hamas le 7 octobre 2023. Une crainte nourrie, depuis le 30 juillet, par l’assassinat revendiqué par Israël de Fouad Chokr, chef militaire du Hezbollah, parti libanais allié du Hamas et de l’Iran, le mouvement chiite libanais menaçant en conséquence Israël de prendre sa revanche. A cela est venu s’ajouter, le 31 juillet, l’assassinat du chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, tué à Téhéran par une frappe imputée à l’armée israélienne, l’Iran ayant promis dans la foulée d’infliger un “châtiment sévère” à l’Etat hébreu.
Israël contre Palestine. Bons contre méchants ? Tort et raison indiscutables ? Positions irréconciliables et discussions impossibles ? Prendre la part de l’humain est-il inenvisageable ?
Faut-il désespérer du monde ?
Sur les réseaux ces jours-ci circule une vidéo montrant une jeune universitaire américaine qui, lors d’une cérémonie de remise de diplômes dans la prestigieuse université d’Harvard, s’insurge avec véhémence contre la tentative de faire taire et de sanctionner des jeunes de son âge qui manifestaient contre les exactions commises contre le peuple palestinien dans la bande de Gaza.
Cette vidéo date en réalité du 22 mai 2024. Elle montre la jeune Shruthi Kumar, qui fait partie des trois étudiants ayantgagné, à travers un concours, l’honneur de prendre la parole lors de la prestigieuse graduation ceremony qui réunit les diplômés, le corps enseignant et l’administration de l’université de Harvard aux Etats Unis. Dans son discours intitulé « The power of not knowing », elle commence par évoquer son enfance dans les grandes plaines du Nebraska, au milieu des ranchs, du bétail et des champs de maïs, fille aînée d’une famille d’immigrants d’Asie du Sud, première de sa famille à aller à l’université. « Il y a beaucoup de choses que ma famille et moi ne savions pas » raconte-t-elle. « But, from Nebraska to Harvard, I found myself redefining this feeling of not knowing. I discovered a newfound power in how much I didn’t know” raconte-t-elle. “In reflecting on our collective moments at Harvard, I’ve realized it’s the moments of uncertainty from which something greater than we could have ever imagined grows”.
Outre le Covid, le renversement du droit à l’avortement et la remise en question de l’affirmative action, sa promo a en effet vécu quelque chose de particulièrement bouleversant.
« This semester, our freedom of speech and our expressions of solidarity became punishable” lance Shruthi Kumar. Et c’est là, à la 5ème minute de son discours qui en totalise 11, que la jeune femme renverse la table, prend le pouvoir. Sortant un morceau de papier du corsage de sa toge, elle laisse tomber le discours officiel pour se lancer dans une véhémente dénonciation de la prestigieuse université pour son traitement des étudiants protestataires pro-Palestine et de l’exercice de la censure de manière plus générale. Elle dit ainsi la nécessité de saluer les 13 undergraduates de la classe de 2024 privés de leur diplôme, décision prise par l’administration pour sanctionner leur participation à des manifestations sur le campus concernant la guerre à Gaza. 1 500 étudiants et 500 professeurs se sont pourtant élevés contre cette décision sans précédent. Sans succès. “I am deeply disappointed by the intolerance for freedom of speech and the right to civil disobedience on campus. The students had spoken. The faculty had spoken. Harvard, do you hear us? Harvard, do you HEAR us?” scande Shruthi Kumar.
Saluée par une standing ovation, Shruti Kumar a ouvert la porte à une manifestation renouvelée de protestation : après son discours, alors que le président de Harvard s’apprêtait à procéder à la remise des diplômes, des centaines d’étudiants présents ont brandi des drapeaux de la Palestine et ont formé une procession vers la sortie.
Mais au-delà du virulent coup de semonce, c’est la suite du discours de Shruthi Kumar qui fait sans doute qu’il continuera à être repartagé, en ce moment et des mois voire des années après ce 22 mai 2024. La suite d’un discours d’une puissante et profonde portée.
“We are in a moment of intense division and disagreement in our community over the events in Gaza. I see pain, anxiety, and unrest across campus. But it’s now, in a moment like this, that the power of not knowing becomes critical. Maybe we don’t know what it’s like to be ethnically targeted. Maybe we don’t know what it’s like to come face to face with violence and death. But we don’t have to know. Solidarity is not dependent on what we know. Because not knowing is an ethical stance. It creates space for empathy, humility, and a willingness to learn. I choose to say I don’t know, so I’m empowered to ask. To listen”, dit Shruthi Kumar.
“I believe an important type of learning takes place, especially in moments of uncertainty, when we lean into conversations without assuming we have all the answers. Can we see the humanity in people we don’t know? Can we feel the pain of people with whom we disagree? As we graduate, what we know, our material knowledge, may not matter so much anymore. The truth is, it’s what we don’t know and how we navigate it that will set us apart moving forward. Uncertainty is uncomfortable. But I encourage you to dive into the deep end of discomfort. Engage with the nuances. And bring with you a beginner’s mind, an ethic of not knowing”, poursuit Shruthi Kumar qui conclut en citant l’auteure Emily Dickinson qui disait “Not knowing when the dawn will come, I open every door.”
En ces temps sombres et menacés, voir des jeunes ainsi motivés à ouvrir grand portes et fenêtres vers l’autre est une bouffée d’espoir…

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour