Fire fighting permanent

Après les œufs, le poulet ! Les consommateurs étaient déjà confrontés depuis des mois à une pénurie d’œufs dans certaines régions avec des profiteurs qui achètent en grande quantité dans les points de vente où ils sont disponibles pour les revendre à un prix élevé. Après la ruée vers l’œuf, qui a créé un beau désordre dans le circuit de distribution, c’est maintenant au tour du poulet, frais, mais aussi congelé, de se faire rare sur les étagères de certaines grandes surfaces et d’être carrément introuvable dans les petits commerces de proximité.
L’œuf est la protéine la plus abordable, ce qui explique sa popularité auprès des petits comme des grands. Ceux qui ne disposent pas de grands moyens se satisfont souvent d’un bon mine bouilli et d’un œuf. Ce plat presque complet était celui qui était le moins onéreux de la place, Rs 8.50 pour le sachet de nouille instantanée et Rs 5.00 pour l’œuf. Or, avec les récentes hausses des prix, consécutives au renchérissement, entre autres, du coût de la main-d’œuvre, même ce plat bien mauricien à côté d’autres spécialités de la cuisine locale est devenu moins accessible aux familles pauvres. L’autre aliment protéiné qui a toujours eu les faveurs des familles mauriciennes est le poulet. C’est grâce à des visionnaires de la trempe d’un Michel de Spéville, qui avait fait le grand pari de la production locale il y a de cela près d’un demi-siècle, que le poulet s’est invité à la table des Mauriciens et qu’il n’est plus, depuis bien longtemps, le plat du dimanche, jour où, jadis, l’on se réservait les repas festifs en famille ou entre amis.
Le poulet aussi vient ces jours-ci à manquer malgré la diversification de la production locale. Bien qu’il ait lui aussi augmenté et que les meilleurs morceaux se vendent aujourd’hui à un prix supérieur à la dinde importée, le poulet demeure néanmoins la viande la plus facile d’accès au porte-monnaie du Mauricien moyen comparé aux autres sources de protéine comme le bœuf ou les fruits de mer.
Comme le fire fighting permanent a été érigé en méthode de gouvernement, la grande annonce est tombée hier : des permis d’importation de poulet seront délivrés pour faire face à la demande. Après les grains secs, le lait et le riz importés par la State Trading Corporation, le gouvernement a décidé d’autoriser sur une base temporaire l’importation privée de la volaille. Encore des importations alors que le déficit commercial se creuse, que la roupie se déprécie et que les devises étrangères sont toujours obtenues au compte-gouttes. Et qui dit importation dit évidemment prix plus élevés. Et ce n’est pas le réajustement salarial qui va suffire.
Le cercle vicieux inventé par le gouvernement consiste à annoncer des hausses de salaires et de prestations sociales, suivies de subventions payées par les mêmes contribuables pour ceux qui ne peuvent pas honorer les décisions gouvernementales. Et les commerçants, eux, prennent plus de marge pour honorer les ajustements salariaux et le 14e mois à venir comme ultime cadeau électoral. C’est un éternel recommencement dans lequel sort inévitablement perdant le consommateur.
Cette situation révèle une problématique sur laquelle on glose depuis des années et que l’on n’a pas encore vraiment pris à bras le corps : l’autosuffisance alimentaire. Pourquoi importe-t-on à prix fort des mangues en ce moment alors que c’est un produit de saison facilement accessible et qui aurait pu l’être toute l’année si ce fruit juteux était mis en boîte de conserve ou en bocal en verre ? Il trouverait non seulement un marché à Maurice même, mais il aurait aussi pu s’écouler à l’export.
Tout cela tient aussi à la disparition de la notion de prospective et de planification. On n’a pas su profiter du confinement, de l’absence de touristes et de pressions sur nos ressources pour remettre à plat les certitudes et les recettes éculées trop longtemps recyclées dans le même jus.
Qui en 2020 a pensé à ce que sera la demande intérieure, locaux comme touristes, en œuf et en poulet non pas pour les quatre prochaines années, ce qui nous aurait évité la situation de pénurie actuelle, mais pour les 10, 15, 20 prochaines années ? Certainement pas ceux à qui la gestion du pays a été confiée depuis 10 ans !
Il n’y a qu’à voir comment, dans la panique, ils organisent l’importation de pomme de terre, de carotte, d’ail, d’oignon, de produits parfois de très mauvaise qualité. Heureusement que pour certaines de ces commodités, le voisin de Rodrigues a été d’un grand secours, ce qui veut dire que là-bas, même en période de bonne fréquentation touristique, l’île est capable de suffire à ses besoins et à alimenter le marché mauricien.
Le poisson aurait pu et dû être de la table régulière des Mauriciens mais, hélas, ce ne peut être le cas parce que le frais est cher et l’importé de très loin n’est ni garantie de qualité ni de prix raisonnable. Depuis que l’on nous parle de l’économie bleue, on aurait pu penser avoir réalisé de gros progrès dans l’exploitation de notre immense zone exclusive. Non, le pillage de nos eaux se poursuit pendant que nous faisons venir du tilapia de Chine…
Au moment où les partis élaborent leur programme de gouvernement en prévision des prochaines élections générales, il serait judicieux qu’ils aillent au-delà du constant et de la réflexion, et qu’ils proposent de vraies solutions allant dans le sens de l’autosuffisance alimentaire.
Il arrivera un jour où même avec nos roupies supplémentaires, mais dévaluées, nous n’aurons plus les produits alimentaires qui nous sont essentiels. Et ce ne sera plus une blague que de dire que la drogue synthétique bon marché est plus accessible que certains produits de consommation courante.

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