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Alain Muneean : « Important de reconnaître les éléments culturels dans l’histoire du pays »

Lasosiasion Pratikan Sega Tipik a lancé un livre-CD sur le sega tipik. Les grandes figures du sega tipik et les générations qui ont suivi, ainsi que les différentes pratiques et les instruments, sont mis en valeur. Alain Muneean, l’une des chevilles ouvrières de ce projet, aborde l’importance du collectage et de la dissémination du patrimoine culturel intangible. Il déplore le fait que les historiens ont souvent marginalisé les aspects culturels de l’histoire. Il souligne également que le sega tipik, inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, a son authenticité qui mérite d’être valorisée.

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Lasosiasion Pratikan Sega Tipik (LaPrast) a lancé un livre-CD, faisant partie du processus de collectage et de dissémination du sega tipik. Pourquoi une telle démarche est-elle importante?

Le collectage est un exercice important pour recueillir certaines pratiques de la tradition orale. C’est ce qui permet de le sauvegarder, dans un premier temps et ensuite, le diffuser. Nous l’avons fait auprès des groupes constituant LaPrast, à travers un recording audio en live. Ce matériel a une grande valeur car cela nous permet de recueillir les pratiques pour les disséminer. Sans la dissémination, l’art demeure statique et ne relève plus d’un patrimoine vivant.

À travers ce collectage, nous avons aussi voulu retracer les différents enracinements présents dans le sega tipik à Maurice. Parfois, on ne réalise pas qu’il y a différentes traditions, différentes manières de présenter le sega tipik. Ce travail, nous a permis en effet de réaliser à quel point il y a une diversité dépendant des traditions. Il y a des régions qui ont été bien imprégnées de ces traditions. Les groupes faisant partie de l’association ont été porteurs de ces traditions.
Il était important de voir comment ils poursuivent leur cheminement et la transmission faite. Pour cela, nous avons discuté avec eux et mis en écrit leurs propres paroles. Il est important de respecter cette dimension dans le travail de collectage. Cela nous a permis d’exposer les traditions du sega tipik dans différentes régions de Maurice. Par exemple, à Mahébourg, à Poudre-d’Or, à Quartier-Militaire ou Petite-Rivière, entre autres. Il y a toute une diversité que les pratiquants ont exprimée.

Nous avons aussi réalisé une vidéo. Cela aura un meilleur impact sur la nouvelle génération. L’équipe audiovisuelle a réalisé onze capsules des différents groupes, mettant en valeur leurs traditions. Cela fait partie intégrante du travail de collectage, d’archivage et de dissémination.

Nous avons bénéficié de la collaboration de l’ingénieur du son Philippe de Magnée, qui a enregistré les groupes en live. Il est lui-même un grand collectionneur de matériels musicaux de l’océan Indien qu’il partage sur le site internet filoumoris. Nous avons voulu profiter de la présence de Philippe de Magnée pour organiser un colloque, afin de partager sur l’importance et la manière de collecter le patrimoine oral.

Notre grande crainte était que de grands « spécialistes » se présentent, enregistrent les groupes, leur donne une petite somme d’argent, puis disparaissent. Cela ressemble à un genre de pillage. Il faut prendre des mesures contre ce pillage de notre patrimoine. Nous avons aussi lié la pratique du sega tipik avec le patrimoine culturel immatériel (PCI). La Convention de l’Unesco 2003 sur le PCI nous donne les outils nécessaires pour cela.
Le patrimoine immatériel est lié à l’histoire de Maurice, dans sa généralité. C’est pour cela que nous avions aussi invité l’historienne Stéphanie Tamby, directrice du Morne Heritage Trust Fund, à nous faire le point à ce sujet. Il est difficile de retrouver l’art dans l’histoire. Je dirai même que l’histoire culturelle a été marginalisée. Ou alors, on le présente de manière folklorique et même avec mépris.

Les historiens doivent pouvoir regarder l’histoire de manière différente. On ne réalise pas que l’apport culturel a permis aux gens de survivre et se développer. Par exemple, la médecine traditionnelle, la langue… À travers la langue kreol, les Mauriciens ont un patrimoine en commun. Le Storytelling a permis de faire face à la vie, de transmettre des valeurs. Nous ne retrouvons pas ces traces dans l’histoire. Il est important de reconnaître les éléments culturels dans l’histoire du pays. C’est ce que nous essayons de faire avec LaPrast. Afin que le sega tipik trouve son importance dans l’histoire du pays. Certes, le sega tipik est inscrit au Patrimoine immatériel intangible de l’Unesco. Mais comment les appareils oeuvrent-ils pour le promouvoir? Ou représentent-ils des freins plutôt ?

Le patrimoine culturel intangible a-t-il aussi sa place à l’école?
Tout à fait. Malheureusement il n’y a pas eu grand-chose à ce jour. Toujours est-il qu’il y a des progrès. Par exemple, pour l’introduction du Kreol Morisien en grade 11, il y avait des discussions très profondes à ce sujet, avec une équipe du Mauritius Institute of Education (MIE), dirigée par Nicholas Natchoo. J’ai eu l’occasion de collaborer à l’élaboration du curriculum.

Je crois que c’est l’un des plus jolis programmes d’études qui a été fait. Cela a été une grande opportunité d’introduire une bonne dose du patrimoine culturel dans le programme scolaire. D’abord, il y a la langue kreol elle-même, mais aussi l’oralité et la manière dont on articule l’oralité avec l’écriture et les compétences. Je ne sais comment se fait la mise en pratique dans les collèges, mais l’enseignant a le loisir d’utiliser beaucoup d’éléments du patrimoine culturel pour contribuer au développement des enfants.
Par ailleurs, le livre que nous avons lancé, Sega tipik atraver regar bann zenerasion, est aussi un outil pédagogique. Les institutions ou les individus, qui veulent développer un matériel pour les enfants, peuvent y puiser des éléments.

Vous ne vous sentez pas un peu seul dans ce combat ?
D’une certaine manière oui, mais en réalité, non. Certes, nous sommes ceux qui prennent les initiatives, mais nous nous rendons compte qu’il y a beaucoup de personnes qui nous suivent, car elles ont les mêmes sensibilités. Cela va des personnes dans la communauté jusqu’aux artistes. Là où il y a encore des difficultés, c’est au niveau des institutions. Nous ne savons pas jusqu’à quel point elles peuvent faire remonter l’utilisation du patrimoine culturel intangible dans l’éducation. Cela à travers le chant et le jeu, par exemple.
Une telle démarche peut faire une grande différence dans l’acquisition des concepts importants dans l’éducation. C’est-à-dire, amener les enfants à développer des compétences, en utilisant des outils du patrimoine culturel intangible. Il y a un gros travail à faire au niveau des institutions, mais aussi sur le plan des Outlets.

Je prends l’exemple de l’hôtellerie. C’est un endroit où les étrangers pourraient découvrir l’authenticité de la culture mauricienne. Mais c’est plutôt une caricature de la culture qui leur est présentée. C’est une question de Policy. Il faut permettre aux pratiquants authentiques, d’avoir aussi accès à ces endroits. Et non pas se limiter à zip afler lev anler, ravanne synthétique, etc.

Les décideurs doivent donner aux pratiquants les Incentives nécessaires pour démontrer la pratique du sega tipik authentique. Beaucoup de touristes qui viennent à Maurice, par exemple, veulent apprendre à jouer de la ravanne ou à la maravanne. Les hôtels auraient pu aménager de telles activités, soit sur place, ou dans la communauté.
Il est temps pour les acteurs économiques également de reconnaître la valeur de nos richesses. Les pratiquants du sega tipik en font partie. Il faut que les gens se sentent valorisés.

Comment se passe la transmission aux jeunes générations?
Étonnamment, tous les groupes de LaPrast ont une composante jeune. Les anciens ont beaucoup d’espoir car ils sentent qu’ils ont su assurer la transmission. Il y a de belles histoires également à découvrir. Fanfan, par exemple, n’a pas reçu de transmission biologique. Ses parents ne jouaient pas à la ravanne. Mais il a bénéficié de l’intelligence collective culturelle. Il y a des personnes issues de la génération de Ti-Frer. Il a une nièce, dont la famille n’était pas d’accord qu’elle pratique le sega tipik, mais qui a pris la relève.
Ce n’est qu’à la mort de Ti-Frer et aussi la mort de son époux, qu’elle a pu avoir le courage de faire du sega tipik. Elle a fait un groupe avec ses enfants. C’est inscrit dans l’ADN. Il faut simplement créer les conditions nécessaires, pour qu’il se développe. Il y a beaucoup de familles où les traditions ont été perdues parce qu’il n’y a pas eu de transmission. Il y a d’autres cas où la flamme ne s’est pas éteinte complètement. Il y a encore des braises. Il suffit de souffler dessus pour que ça reprenne. C’est justement ce que nous sommes en train de faire.

Votre livre est-il un répertoire des pratiquants du sega tipik?
Non, il ne s’agit pas d’un répertoire. Nous avons présenté onze groupes pratiquants, ainsi que la transmission de cette forme d’expression que nous appelons le sega tipik. Nous avons retracé les origines et ses différentes Journeys, de génération en génération. C’est une manière de démontrer également à quel point ces personnes étaient des monuments dans leurs domaines, dans leurs réalités complexes.

Quelle est la prochaine étape pour LaPrast?
Ce projet précis est arrivé à terme. Nous avons reçu un financement du National Arts Fund pour cela. Plusieurs compagnies privées ont complété les coûts. Nous passons maintenant à l’étape de dissémination. De même, nous avons suffisamment de matériels audiovisuels de ce projet pour aborder un autre projet. Nous pensons réaliser un film à partir des témoignages recueillis. Il nous faudra trouver les fonds nécessaires pour cela. Déjà, les cinémas stars sont prêts à collaborer avec nous, en mettant la salle à notre disposition. Cela fera partie du processus de dissémination.

Le gouvernement a décrété une Journée du Séga. Pensez-vous que cela puisse aider à promouvoir la tradition?
Je crois qu’il faut une bonne réflexion quand on décrète ce genre de choses. Comment positionner le sega tipik, par rapport au séga que l’on connaît? Il ne faut pas mélanger les choses. Il y a le risque de noyer des aspects importants. Quand on parle du séga, cela inclut-il le sega tipik? À mon avis, le sega tipik, c’est la matrice. Il comporte tellement d’authenticité et de spécificités, qu’il ne faut pas le prendre à la légère. Pour maintenir ces dimensions, il faut des mesures pour les préserver. Nous n’en avons pas pour le moment. Tout comme cela n’existe pas pour le séga tambour ou le séga chagossien.

Le séga, dit moderne, peut être envisagé dans le cadre d’une indiaocéanie. C’est une réalité historique, culturelle et sociale. Il y a eu des voyages entre les îles, qui ont permis cette dimension indianocéanique. Le sega tipik doit être reconnu comme le fondement des autres styles de sega. Certains diront que le seggae est une forme de séga et ce n’est pas faux.

 

Sega tipik atraver regar bann zenerasyon

Ce livre-CD est un album de référence pour le Sega Tipik. Les textes sont en kreol morisien, anglais et français. Les illustrations graphiques colorées, signées James Rajabally, apportent, elles, une touche contemporaine au thème du patrimoine ancestral.
Le contenu s’articule autour des 11 groupes constituant Lasosiasion pratikan sega tipik, de leurs origines et leurs pratiques. Il s’agit des : Group Ala mo la, Group Abaim, Group Mazavarou, Group Rosemonde Verloppe, Group Etwal Filant, Group Zans Anba, Group Revelasion Ti Frer, Group José Legris, Group Korperasion Tipik, Group Zenerasion Osean et Group Zenerasion Cassambo.

Plusieurs d’entre eux ont hérité la pratique du Sega Tipik de leurs familles. À l’exemple de Magdala Joseph St Mart, fille de Fanfan et de José Legris, fils de Michel Legris. Dans la foulée, ces pionniers sont aussi mis en valeur. Les spécificités des régions sont aussi mises en avant. Le Sega Tipik de Mahébourg, par exemple, a ses influences propres et ne ressemble pas à celui du Morne.

Le CD accompagnant le livre comprend 11 titres, chaque groupe présentant un morceau. Cet élément a été incorporé afin de garder la tradition vivante. Les paroles de ces chansons sont aussi publiées dans le livre. Sega tipik atraver regar bann zenerasyon est en vente à Rs 700 en librairie et dans les magasins Super U.

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