Le Guide - Législatives 2024

Arvind Bhojun : « Corrigez au plus vite les injustices qui ont été commises »

Le président de l’Union of Private Secondary Education Employees (UPSEE), Arvind Bhojun, déplore qu’il n’y ait « aucun calcul scientifique qui vienne rétablir le déséquilibre salarial créé par la hausse du salaire minimum » et que les 5% de hausse annoncée la semaine dernière soient considérés comme « une avance sur le prochain PRB ». Dans un entretien accordé à Le-Mauricien, il dira : « si le Premier ministre sent qu’une injustice a été commise envers nous, il devrait la corriger au plus vite. Ne mélangez pas les choses ! En tant que syndicalistes, nous disons non à l’injustice. » Il fait aussi le point sur la participation de l’UPSEE au festival de contes, qui s’est tenu au Centre Nelson Mandela pour la culture africaine, et sur les enjeux du secteur éducatif.

- Publicité -

Une augmentation de 5% des salaires des fonctionnaires a été annoncée par le gouvernement. Cela concerne aussi le personnel des établissements éducatifs privés. Comment l’UPSEE réagit-elle à cela ?
Il ne faut pas mélanger le réajustement salarial et le rapport du Pay Research Bureau (PRB) qui paraît tous les cinq ans. Nous demandions un réajustement salarial par rapport à la distorsion créée par le minimum salarial. Cela est une bonne chose mais il ne faut pas que cela crée un déséquilibre.

Le premier salaire minimal est arrivé en 2018 et le ministre des Finances a eu suffisamment de temps pour plancher sur la distorsion que cela a créée et pour venir avec une solution. Le salaire minimal a été revu à la hausse, ce qui est encore une fois une bonne chose mais vous ne faites aucun effort pour les autres ! Aucun travail scientifique n’est fait pour ajuster le salaire des autres professions régies par des cadres existants, selon des qualifications requises précises et des responsabilités imparties ! Ce n’est pas possible que nous ayons le même salaire que ceux qui n’ont aucune qualification alors que nous avons investi dans des qualifications additionnelles. Nous devons être réalistes.
Et aujourd’hui, vous parlez d’une avance de 5% sur le prochain PRB. Nous réclamons le même traitement que le reste de la population lorsque vous avez apporté le salaire minimal qui visait à assurer une meilleure condition de vie à tous. Le ministre du Travail, Soodesh Callichurn, a failli à sa tâche. Il prend la population pour dupe. Et nous sommes endettés parce qu’il n’y a aucun plan pour nous qui avons un revenu de la classe moyenne. Il y a des plans et des bourses pour ceux qui sont au bas de l’échelle mais rien pour la classe moyenne.

Nous contractons des prêts pour que nos enfants entreprennent des études. Avec l’inflation et le niveau du Repo Rate à 4,50%, il devient difficile de joindre les deux bouts et vous dites qu’il n’y a pas de réajustement pour nous. Le ministre du Travail a failli à sa responsabilité, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, a pris le Premier ministre à contre-pied. Si le Premier ministre sent qu’ils ont commis une injustice envers nous, il devrait la corriger au plus vite. Ne mélangez pas les choses ! En tant que syndicalistes, nous disons non à l’injustice.

L’UPSEE se sent-elle interpellée par le litige opposant la PSEA à la Fédération des managers des collèges privés ?
Oui, tout comme cela interpelle tous les partenaires du secondaire privé. Il est important d’avoir une bonne ligne de communication entre tout le monde. Or, tel n’est pas le cas. Chacun, de son côté, pense qu’il fait bien, mais il n’y a pas de synchronisation et chacun est à couteaux tirés. Les différents partenaires sont les enseignants et le personnel non enseignant, les managers, la PSEA, les syndicats et MEDCO. Et nous sommes chapeautés par le ministère de l’Éducation. Certains managers pensent que l’UPSEE est contre eux. Nous, nous prenons position pour voir comment faire les choses autrement pour protéger les collèges privés à l’avenir. Quand nous ne sommes pas d’accord avec la PSEA, nous le disons et quand nous le sommes, nous le disons aussi.

Il est important qu’il y ait de la transparence dans l’utilisation des différents fonds. Par exemple, il n’est pas normal qu’on utilise l’argent de l’Association des parents enseignants pour acheter des ventilateurs ou pour peindre le bâtiment. Il y a un autre fonds pour cela. S’il y a un manque, le chef d’établissement doit pouvoir justifier cela et en faire une demande auprès du ministère avec des arguments valables. Nous avons besoin de personnels professionnels à la tête des établissements pour les gérer, sinon cela crée la frustration chez les enseignants et ce sont les élèves qui paient les frais.

Aujourd’hui, les établissements secondaires privés subventionnés et leurs personnels sont supposés avoir les mêmes facilités que les écoles publiques. Les conditions de travail sont alignées et les enseignants devraient bénéficier des mêmes conditions que leurs confrères du public, selon le rapport du Pay Research Bureau (PRB). Or, nous constatons que beaucoup préfèrent partir en laissant derrière eux leurs acquis au fil des années, pour rejoindre le secteur public et recommencer de zéro. Pourquoi ? Il y a une mauvaise gestion et un problème de leadership dans le privé, dans bien des cas.

Nous n’attaquons pas les gens mais nous luttons pour un changement de ce système archaïque et qui fonctionne mal. Nous avons eu des réunions avec les managers. Si nous souhaitons un meilleur futur pour le pays et que l’enfant mauricien sorte gagnant, il faudra un changement en profondeur.

Depuis plusieurs années, les nouveaux enseignants déplorent le non-paiement des salaires pendant les vacances scolaires…
Nous ne sommes pas d’accord avec la manière de faire de certains Managers. Et parfois, la PSEA prend des décisions qui vont à l’encontre de ses paramètres de fonctionnement. Par exemple, si un Manager d’école dit qu’il a besoin d’un enseignant, la PSEA doit respecter cette décision et procéder au paiement du salaire pendant les vacances.

La PSEA ne devrait pas être un obstacle à la confirmation d’un employé, non plus. Ce n’est pas humain. Le salaruié a besoin de vivre, de manger pendant les vacances scolaires. Comment est-ce qu’elle fait ? Vous ne la payez pas pendant les vacances d’été et en janvier vous refaites appel à elle. Les enseignants préfèrent finalement aller ailleurs.

Dans les collèges d’État, les professeurs sont payés pendant les vacances. Le problème se pose aussi dans le public avec les Supply Teachers, à la différence que le ministère avise à l’avance de ses conditions. Il faudrait trouver une formule pour que ces gens-là aient un salaire afin qu’ils puissent vivre en novembre et en décembre.

Il y a aussi un gros problème de gestion administrative à la PSEA. Il est grand temps d’y mettre de l’ordre, que ce soit dans les départements de l’administration, de la finance, ou des ressources humaines. Il y a une lenteur extraordinaire. L’UPSEE estime que s’il faut recruter du personnel, le directeur doit aller de l’avant avec. Il doit pouvoir amener son projet devant le ministère pour le faire. Nous sommes victimes des retards de la PSEA et cela se répercute sur les familles et les enfants.

Il y a des Managers qui font fi de la mise en place des conditions nécessaires pour le bon fonctionnement de l’établissement. Certains établissements demandent au personnel d’effectuer des tâches qui ne relèvent pas de ses responsabilités. Il y a des cas où les enseignants sont contraints d’imprimer des papiers d’examens de leurs poches malgré le fait que l’établissement bénéficie des facilités nécessaires pour le faire. Il faut avoir un Health and Safety Officer et qu’il y ait un contrôle de ce qui se passe dans ces établissements.

L’UPSEE a participé activement au festival de contes, qui s’est tenu la semaine dernière au Centre Nelson Mandela pour la culture africaine. Pourquoi un syndicat d’enseignants s’engage-t-il dans un tel projet ?
Ce projet est le deuxième auquel on participe en moins d’un mois. Le premier a été un symposium sur l’indiscipline à l’école. Notre engagement est motivé par la volonté de pourvoir de meilleures conditions de travail à nos membres. Nous devons faire face et être connectés à la réalité. S’il y a quelque chose qui ne marche pas dans notre système éducatif, c’est la manière dont on enseigne : on est toujours très traditionnel. Or les élèves d’aujourd’hui ont du mal à s’engager dans les leçons, ce qui provoque des problèmes d’indiscipline en classe. Et encore plus chez ceux qui sont dans l’Extended Stream. Nous devons continuer à nous former.

En quoi consiste la méthode traditionnelle ? Et qu’est-ce que le conte y apporte de nouveau ?
C’est ce qu’on appelle le Board and Chalk. Nous avons le cahier et le livre, nius donnons des explications, nius écrivons au tableau, nous demandons aux élèves d’écouter et de faire des devoirs en classe ou à la maison, ou de préparer le travail. Or, il y a des enfants qui n’ont personne pour les aider dans cette tâche.

Certains vivent dans des familles éclatées et d’autres avec des grands-parents. Parmi ces élèves, il y en a qui ne savent pas lire. Ils ont de gros problèmes d’apprentissage. Quand ils voient des amis qui font bien, ils sont frustrés et souvent ça les empêche de travailler. Cela les décourage aussi à venir l’école.

La technologie est une manière de rendre la classe intéressante mais il manque le côté affectif. Et les enfants ont besoin de cette dimension émotionnelle que le Storytelling apporte. Raconter des histoires est une manière de capter l’attention des élèves et il est important que les enseignants sachent comment faire et quoi dire. D’où l’organisation de Masterclass sur l’art de conter qui ont attiré 200 personnes. Ces techniques peuvent être utilisées dans toutes les matières. Par exemple, au lieu d’utiliser des formules pour les maths, nous amenons les enfants à des situations problématiques réelles et nous les invitons à proposer des solutions. C’est une des manières de contrer l’indiscipline aussi.
Le Storytelling n’est pas une formule magique, mais c’en est une qui marchera. Même les surveillants peuvent s’engager dans le Storytelling : les élèves peuvent s’asseoir et les écouter raconter des histoires. Il y a un lien qui est créé, ce qu’on appelle le Parental Care. Le conte permet de créer un nouvel environnement de travail. C’est aussi une manière de transmettre le patrimoine oral que nos grands-parents ont apporté.

Quant aux élèves, ils apprennent à s’exprimer, à faire montre de créativité et à développer leurs talents de conteurs. Nous avons eu deux réunions avec le ministère de l’Éducation pour parler de l’aspect pédagogique du storytelling au secondaire. Au primaire, nous avons déjà le Performing Art et nous voulons y inclure le Storytelling. À moyen terme, nous voulons travailler sur des textes et à long terme, avoir un Curriculum bien établi du Mauritius Institute of Education.

Vous avez évoqué l’indiscipline à l’école. Pouvez-vous nous en brosser un tableau ?
Avec la Government Secondary School Teachers Union (GSSTU), nous avons organisé ce symposium sur l’indiscipline à l’école, fin juillet. C’est un problème grave et concerne même les écoles primaires.

C’est souvent causé par un manque d’encadrement parental à la maison. Beaucoup de parents ont démissionné de leurs responsabilités. Certains ont fait leur vie ailleurs, laissant les enfants avec les grands-parents. Il y a des enfants qui grandissent dans des familles monoparentales. Après les heures de classe, ils sont souvent laissés à eux-mêmes et nous connaissons tous les fléaux auxquels ils font face : délinquance, drogue synthétique.
L’indiscipline, c’est aussi à la gare d’autobus, et le protocole établi par les autorités ne marche pas. C’est trop théorique ; le processus est trop long à mettre en place. Et les élèves ne sont pas bêtes : pour se sortir des difficultés dans lesquelles ils se mettent, ils n’hésitent pas à faire des allégations à l’égard des enseignants ou du personnel non enseignant ou même des policiers.

Qu’est-ce qui ressort de ce symposium ?
Nous avions invité une dizaine de personnes-ressources de différents secteurs concernés par l’indiscipline à l’école – représentants du ministère, élèves, inspecteurs, psychologues, représentants de l’université de Maurice, et même des parlementaires – pour en parler. Nous avons proposé des solutions et maintenant nous allons préparer un Blueprint que nous distribuerons à tous.

Quelles seront les grandes lignes de ce Blueprint ?
Le degré d’indiscipline à l’école varie. Aussi, elle est différente dans un établissement pour filles, pour garçons, ou mixte. Les problèmes principaux sont la pauvreté, la frustration, un manque de guide parental et l’influence des médias. Il n’y a pas de Role Model au sein de l’établissement qui puisse inspirer les jeunes, non plus. Il faudrait avoir un mécanisme pour relever de bons exemples parmi les élèves et les présenter à l’assemblée en disant aux autres : « Voilà ce qu’ils ont fait et si vous faites cela, vous aurez tel ou tel traitement. » Nous parlons d’uniforme, il faudrait que cela dépasse les vêtements et que tout le monde puisse avoir un repas équilibré, du matériel scolaire nécessaire, des chaussures, entre autres. Il est important de trouver des moyens pour engager les élèves dans les leçons.

Nous avons vu plus haut, la technologie et le Storytelling, comme partie de la solution.
Les élèves doivent être mieux encadrés et là, il y a un travail à faire au niveau pédagogique. Aujourd’hui, même si le Post-Graduate Certificate in Education est une réalité, ce qui est une très bonne chose, il faudrait avoir un module qui outillerait les professeurs qui travaillent avec les élèves de l’Extended Stream, par exemple. Il n’y a rien pour le moment dans la formation offerte par le MIE qui forme les enseignants à s’occuper des problèmes d’indiscipline. Il faudrait avoir des programmes de Continous Professional Development régulièrement, et non pas que des demi-journées d’atelier.

Beaucoup d’élèves sont livrés à eux-mêmes après les heures de classe. Le gouvernement, quant à lui, injecte des millions dans le système. Pourquoi ne pas mettre en place des Boarding Schools qui permettraient de prendre en charge ces enfants ? Nous pouvons aussi proposer des activités après l’école.

Cela impliquerait-il du personnel et des infrastructures additionnels ?
Définitivement pour le personnel si nous voulons offrir une éducation de qualité pour nos enfants. Il y a un manque accru de Discipline Masters, de psychologues et de travailleurs sociaux pour un meilleur encadrement des enfants. Cependant, nous ne pensons pas qu’il faille avoir plus de salles de classe. Il y a une baisse de la population estudiantine. Il y a de la place dans les collèges privés subventionnés par l’État. Ce qu’il faudrait, c’est une distribution équitable des élèves. Mais pour cela, il est important que ces établissements se mettent à niveau pour les accueillir. Ils doivent investir dans les infrastructures qui sont aujourd’hui déplorables, dans bien des cas, alors qu’ils reçoivent des millions de l’État.

Selon vous, faudrait-il revoir les formations pédagogiques ?
Tout à fait. J’ai un Master en Comparative Education et j’ai tendance à faire des comparaisons. La Suède et la Finlande, deux pays dont le système éducatif nous inspire, nous montrent qu’il faudrait une éducation globale. En d’autres mots, il ne faut pas qu’il y ait de barrière entre l’éducation et la vie de l’enfant. C’est-à-dire que lorsque nous parlons politique, l’enfant doit comprendre de quoi nous parlons, quand nous disons recherche, il comprend que cela implique la découverte…

Une éducation holistique forme l’élève dans sa globalité et à comprendre son monde. Malheureusement, à Maurice, nous n’accordons pas suffisamment d’importance à cela. Il n’y a quasiment pas de changement au niveau de la formation depuis des années. Beaucoup de choses sont dites mais lorsque c’est le moment de passer à l’action, rien ne marche parce que les décisions sont prises par des bureaucrates et les formations ne répondent pas aux exigences du jour avec des changements qui opèrent dans la société.
Il est grand temps que le MIE sache quelle est sa responsabilité. Il en a trop : il forme les enseignants du primaire et du secondaire et travaille sur les Vurriculums en même temps. Une seule institution ne peut pas tout faire. Il faudrait réinventer le MIE et que les paramètres soient clairs.

Quels sont les autres dossiers prioritaires de l’UPSEE ?
L’UPSEE et la GSSTU sont membres de l’Association of Nonaligned Teacher’s Union of Southern Africa. Nous travaillons sur un programme d’échange avec des pays africains pour nos membres. Nous approcherons le ministère de l’Éducation pour qu’il soit partenaire du projet avec nous car nous souhaitons que tout le monde sorte gagnant. Pour nous, il n’y a pas de différence entre le public et le privé.

Nous organiserons un symposium sur l’Online Teaching Today pendant le troisième trimestre, et éventuellement un autre sur les conditions de travail et les droits des travailleurs dans les collèges.

Le mot de la fin…
L’UPSEE est un syndicat avant-gardiste et nous regardons le secteur avec un esprit ouvert. Nous n’avons pas toujours besoin de faire du bruit pour nous faire entendre et nous espérons que cette fois-ci, en ce qui concerne le réajustement salarial, nous n’aurons pas à le faire. Nous espérons que le Premier ministre reverra la décision prise concernant le réalignement salarial.

Avec nos membres, nous travaillons ensemble pour trouver des solutions concrètes à des problèmes sans faire de la démagogie. Tout le monde doit sortir gagnant et nous pourrons créer une meilleure île Maurice si nous collaborons. Il ne faut pas qu’il y ait de distorsion ou de discrimination. C’est cela la bonne gouvernance et la bonne planification. En tant que syndicat, nous sommes prêts à travailler avec tous nos partenaires.

« Nous réclamons le même traitement que le reste de la population lorsque l’on a apporté le salaire minimal, qui visait à assurer de meilleures conditions de vie à tous. Le ministre du Travail a failli à sa tâche. Il pense que la population est dupe »

« Il y a de la place dans les collèges secondaires privés subventionnés par l’État. Ce qu’il faudrait, c’est une distribution équitable des élèves. Mais pour cela, il est important que ces établissements se mettent à niveau pour les accueillir. Ils doivent investir dans les infrastructures, qui sont aujourd’hui déplorables dans bien des cas, alors qu’ils reçoivent des millions de l’État »

« Tout le monde doit sortir gagnant, et nous pourrons créer une meilleure île Maurice si nous collaborons »

- Publicité -
EN CONTINU ↻

l'édition du jour

- Publicité -